Chaque semaine ramène la même interrogation, seulement avec quelques brûlements d’estomac en sus. Comment tout cela va-t-il se terminer ? Combien de déclarations de guerre, de missiles, d’essais nucléaires, d’insultes et de provocations deux grands potentats — égocentriques à souhait, sans empathie aucune et imbus de pouvoir tous les deux — peuvent-ils se lancer avant qu’un des deux se sente obligé de passer aux actes ?
Le bras de fer actuel entre Kim Jong-un et Donald Trump n’est pas sans rappeler la crise des missiles cubaine qui avait opposé John F. Kennedy et Nikita Khrouchtchev. Treize jours d’angoisse totale pendant lesquels une partie du monde a bien failli sauter. J’ai d’ailleurs des souvenirs impérissables d’être couchée sous mon pupitre à l’école en prévision du gros boum ! On peut évidemment s’interroger sur l’utilité de savoir faire l’escargot devant la perspective d’une déflagration nucléaire. Mais bon. À défaut de pouvoir contrer la menace pour vrai, on nous donnait les moyens d’avoir peur pour vrai. Avec raison. Le 22 octobre 1962, les troupes déployées en Floride équivalaient à l’effort de guerre de l’oncle Sam lors du débarquement en Normandie. Quelques jours plus tard, les bombardiers américains étaient en état d’alerte avec 3000 armes nucléaires à leur disposition. C’est toute la planète qui aurait pu y passer, a-t-on fini par apprendre des décennies plus tard.
Le pire fut évité quand un des trois officiers à bord d’un sous-marin soviétique refusa de tirer sur un navire américain avec une ogive nucléaire. L’offensive nucléaire exigeait l’accord des trois officiers. Ensuite, Kennedy, sachant pertinemment qu’il détenait neuf fois la puissance nucléaire de son adversaire, eut la bonne idée d’offrir une porte de sortie aux Soviétiques : en échange du retrait de leurs missiles nucléaires à Cuba, le président américain accepta, en secret, de retirer ses propres missiles de la Turquie.
Officiellement, Kennedy eut l’air de Gary Cooper dans High Noon (Le train sifflera trois fois), le bon cow-boy aux nerfs d’acier qui, sous le soleil brûlant de midi, le revolver bien en évidence, ne bronche pas d’un poil, prêt à défendre son village devant les bandits et malappris de ce monde. En fait, il s’était lui-même acculé à ce bourbier, d’abord par ses propres déclarations guerrières et intempestives durant l’élection qui le porta au pouvoir, ensuite par son invasion bâclée de la baie des Cochons, « la plus importante opération clandestine dans l’histoire de la CIA », mafia et paramilitaires à l’appui, et, finalement, en plaçant d’immenses missiles en Italie et en Turquie. Sans parler des mensonges sciemment entretenus sur la force dite supérieure des Soviétiques.
Heureusement, John F. Kennedy, contrairement à Donald Trump, était un grand lecteur. Il avait pour livre de chevet The Guns of August de Barbara Tuchman, une lecture qu’il avait imposée d’ailleurs à son entourage. Le livre raconte comment une série de mauvais calculs de la part des dirigeants européens a mené à la Première Guerre mondiale. La leçon lui était restée : de grandes nations pouvaient accidentellement déclencher une guerre funeste. Ne voulant pas être celui qui déclencherait par inadvertance celle-ci, JFK, à la dernière minute, tint tête à ses généraux qui, eux, conseillaient l’affrontement avec l’URSS.
Mais revenons à Kim Jong-un et à Donald Trump. Le consensus, à l’heure actuelle, est que même « Rocket Man » ou « Orange Man » ne seraient pas assez fous pour commettre l’irréparable. Le prix politique en serait trop grand, comme le dit le Machiavel des temps modernes, Steve Bannon. J’ai tendance (les bons jours) à le croire aussi. Cela dit, il n’y aura pas de résolution à ce conflit sans que l’un et l’autre puissent prétendre, comme Kennedy et Khrouchtchev en 1962, à la victoire. Vu les personnalités en jeu, il est encore plus important que nos deux cow-boys puissent « sauver la face ». Or, plus l’escalade se poursuit — la Corée du Nord menace aujourd’hui de mener un « essai nucléaire atmosphérique » en plus d’abattre des avions américains en dehors même de son propre territoire —, plus la possibilité de glisser sur une pelure de banane accidentelle est grande. Selon le directeur de l’US-Korea Institute au John Hopkins School of Advanced International Studies à Washington, Jae H. Ku, une attaque entre les deux pays pourrait bien être imminente.
Le train, dans le cas qui nous occupe, a depuis longtemps sifflé ses trois coups.