Mieux vaut l’avouer d’emblée : je ne fais pas partie des Québécois qui ont en horreur la salutation montréalaise par excellence, ce petit refrain quelque part entre le rap et le haïku japonais qui résonne d’un bout à l’autre de la rue Sainte-Catherine, le fameux « bonjour-hi ». Au contraire, je le trouve plutôt charmant, un désir à la fois d’affirmer la prédominance du français, comme le voulait Camille Laurin, sans oublier le continent sur lequel on se trouve et les anglophones avec qui on cohabite, comme le voulait René Lévesque. Un comportement qui, à mon avis, est en droite ligne avec la loi 101 ainsi qu’avec le caractère accueillant et flexible du Québécois moyen.
Je ne suis évidemment pas insensible au danger d’une bilinguisation tous azimuts, mais les chiffres ne sont-ils pas là pour nous rassurer ? Oui, les Québécois sont beaucoup plus bilingues qu’il y a 45 ans (à 44,5 % en 2016 c. 27,6 % en 1971), mais, non, la langue maternelle ne se perd pas. Si elle a fléchi légèrement au cours d’un demi-siècle (1,6 %), il n’y a aucun lien direct entre la montée considérable du bilinguisme et la baisse légère du français comme langue maternelle. Ce ne sont pas des vases communicants, en d’autres mots. Le fléchissement est dû au fait qu’à partir des années 1970, on a cessé de faire des enfants en grand nombre. La courbe démographique du Québec, voilà une baisse en dents de scie qui aurait pu avoir une incidence catastrophique sur la prépondérance du français. Remercions encore une fois Laurin et Lévesque d’avoir eu la bonne idée de franciser les enfants d’immigrants qui portent désormais une partie du fardeau de la survivance. Le réel coup de génie de la loi 101, il est là.
Je ne dis pas qu’il faille s’asseoir sur nos lauriers ni que la vigilance n’est pas de mise. Seulement, quand vient le temps de discuter de notre avenir linguistique, l’angoisse ne m’apparaît pas placée tout à fait au bon endroit. On compte le nombre de personnes qui parlent français plutôt que de mesurer la viabilité ou l’attractivité (comme disent les Français) de la culture francophone en Amérique. Ce n’est pas assez d’avoir des gens capables de s’exprimer dans la langue de Molière ; il faut qu’ils veuillent également s’y identifier. Il faut que parler la langue ne soit pas seulement pratique ou rentable, il faut aussi que ce soit valorisant. Une langue est intéressante à partir du moment où elle est l’expression d’une façon d’être, de penser, de cohabiter avec les autres et d’interpréter le monde. À partir du moment qu’elle vous grandit, qu’elle vous permet de voyager en quelque sorte. Bref, à partir du moment où elle n’est pas seulement des sons qui vous sortent de la bouche, mais une véritable culture dont les oripeaux sont, bien au-delà de l’affichage commercial, des livres, de la musique, du théâtre, des journaux, des bars, des amis, et j’en passe.
Un exemple : Ottawa, au moment où j’y ai grandi, comptait une population francophone très élevée (près de 45 %, si je ne m’abuse). Le bassin de gens comptant le français comme langue maternelle se portait très bien merci. Mais la qualité du français, sa visibilité comme sa viabilité, était dans un état lamentable. Le flambeau de la langue ne se transportait guère à l’extérieur des foyers parce que les supports culturels du français étaient, sinon inexistants, moins nombreux et, surtout, moins inspirants souvent que ce qui se conjuguait dans la langue de Shakespeare. Tout francophones que nous étions, c’était non seulement plus simple, mais finalement plus valorisant de parler anglais. On sentait que cette monnaie-là avait de la valeur. L’autre, beaucoup moins.
Bien que maintenir une masse critique de gens parlant la même langue est essentiel à la production d’une culture, il faut arrêter de simplement mesurer les têtes de pipe francophones et s’inquiéter davantage de l’état de la culture elle-même, inévitablement le parent pauvre de chaque budget gouvernemental. Il faut arrêter aussi de culpabiliser les Québécois qui veulent apprendre l’anglais, un réflexe on ne peut plus normal dans le continent qui est le nôtre. Le Québec n’est pas menacé du fait que de plus en plus de francophones connaissent l’anglais. Il sera menacé le jour où ces mêmes francophones cesseront de s’identifier à leurs origines, cesseront d’être fiers de qui ils sont. Le véritable défi du Québec, il est là : au-delà du maintien de la langue, c’est notre amour-propre qu’il faut conserver.
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