Les membres de Québec solidaire ont beau agiter les doigts comme des marionnettes — plutôt que d’applaudir comme tout le monde pour exprimer leur accord —, on sentait beaucoup d’émotion flottant sur cette mer de phalanges surexcitées lors du récent débat sur la convergence. De la conviction à revendre, bien sûr, mais aussi de la fébrilité, celle qui découle du sentiment que les choses bougent, que le vent se lève. Mais de quel côté ? À un moment où les sondages favorisent la CAQ mais où les médias semblent plus intéressés par ce qui se passe à l’autre bout de l’échiquier politique, rien n’est encore joué.
Mais revenons au débat déchirant de dimanche. Un débat qui, à bien y penser, concerne tout le monde. En couple, en affaires ou en politique, qui ne s’est pas un jour demandé s’il ne valait pas mieux tendre la joue plutôt que tracer sa ligne dans le sable ? Faire une concession aujourd’hui pour mieux respirer demain. Pour la gauche, en particulier, toujours partagée entre le rêve et la réalité, c’est un débat qui revient comme le coucou de l’horloge.
Fait intéressant, plus de femmes que d’hommes ont maintenu la ligne dure vis-à-vis du PQ. « No pasaran », clamaient-elles à la queue leu leu. Si jamais on cherchait encore la preuve que le PQ a fait l’erreur de sa vie en jouant la carte identitaire, elle était ici étalée au grand jour. Comment s’allier à un parti qui dresse une partie de la population contre les autres ? disaient-elles. Plus que de la simple méfiance, on sentait chez ces femmes, notamment racisées, chez les anglophones aussi, un sentiment de colère amplement partagé par l’assemblée.
Le meilleur argument pour refuser une alliance était certainement de cet ordre-là. Onze ans après sa fondation, le « petit parti de gauche » a de véritables assises là où le Parti québécois pâtit : chez les minorités, chez de plus en plus d’anglophones et chez les jeunes. Il ratisse large, bien qu’encore peu profond. Faire alliance avec le PQ risquait de mettre cette diversité en péril, en plus de démotiver les militants qui oeuvrent dans l’ombre depuis des lunes. Et puis, en acceptant de faire « le gros mambo avec le PQ », n’était-ce pas justement commettre l’erreur qu’on lui reproche ? Tourner le dos à ses principes par pur calcul électoral.
Moins surprenant, plus d’hommes que de femmes ont défendu la notion de « stratégie », celle de s’allier ponctuellement au PQ pour mieux avancer. Si l’émotion était moins évidente à ce micro, les opinions n’étaient pas moins convaincantes. Argument massue : une alliance électorale concrétiserait, advenant la prise du pouvoir du PQ, la réforme du scrutin, la seule façon de préparer la voie à une députation solidaire importante. Et puis, le progrès réalisé par QS au cours des dernières années repose notamment sur sa visibilité à l’Assemblée nationale. C’est bien beau « l’alliance avec les mouvements sociaux », seulement personne ne doute de la capacité de QS à cet égard. Mais gérer l’économie ? Prendre les commandes ? Gouverner ? C’est là que le parti doit convaincre et c’est seulement les deux pieds dans le temple du pouvoir qu’il y parviendra.
L’option B, celle du pacte électoral, venait aussi avec la garantie que toute entente avec le PQ tomberait à l’eau s’il avait le malheur de « rejouer la carte xénophobe ». Il s’agissait moins d’un beau risque, en fait, que d’un beau geste, celui de l’ouverture et du dialogue. Voyez comment on est capable, nous aussi, de prendre notre place dans un gouvernement de coalition, dirait le message à la population. De toute façon, l’entente n’aurait jamais abouti, selon plusieurs, vu les divergences nombreuses avec le PQ. Alors, qu’avait-on à perdre ?
Le dilemme était parfaitement cornélien. Il n’y avait pas de « bon » choix, car les deux l’étaient. Il faut que QS préserve ses acquis et garde la tête haute. Il ne peut pas, à la première occasion, échanger ses valeurs pour des pions de Monopoly. Mais il faut aussi qu’il puisse avancer. Rendu à un moment charnière de son histoire, sentant peut-être pour la première fois le vent dans ses voiles, il doit s’extirper du « rien qu’icitte qu’on est bin », de la pureté idéologique un peu trop étouffante. Pour l’instant, l’idéalisme à QS garde légèrement les devants, et c’est tant mieux vu le cynisme que suscite la politique aujourd’hui. Mais le défi d’allier la théorie à la pratique ne fait qu’attendre de plus belle.
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