Usant de ce mélange de charme et d’audace qui lui a beaucoup réussi jusqu’à maintenant, Justin Trudeau a demandé des excuses formelles au pape François cette semaine. Sa Sainteté étant un bon gars, déjà disposé à reconnaître les dérapages au sein de son troupeau, un mea culpa pontifical pour les pensionnats autochtones est dans le sac, croit-on. M. Trudeau a le don de poser des gestes symboliques qui frappent, c’est clair. Mais il est beaucoup moins doué, on commence à le comprendre, pour s’attaquer concrètement aux problèmes.
Exemple patent : l’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Un des premiers gestes posés par le gouvernement Trudeau, cette commission a été annoncée en grande pompe en décembre 2015. La commission dispose d’un budget de 54 millions, de cinq commissaires, dont quatre autochtones, d’une pré-enquête menée par les ministres de la Justice, des Affaires autochtones et de la Condition féminine, ainsi que d’une quantité de rapports, dont ceux de la GRC, sur la question.
Selon la police, au moins 1200 femmes autochtones auraient vraisemblablement été tuées depuis 1980. Selon les communautés autochtones, c’est probablement quatre fois plus. Les jeunes Amérindiennes sont cinq fois plus susceptibles de mourir d’un acte de violence que les autres Canadiennes du même âge. Pour ce pays, qu’on aime croire au-dessus de tout soupçon, il n’y a pas de situation plus honteuse que celle-là.
Mais, malgré l’urgence d’agir, tout indique que ladite commission pédale dans la choucroute. C’est seulement cette semaine, à Whitehorse au Yukon, neuf mois après le lancement de l’enquête, qu’ont débuté les premières audiences. Pourquoi tout ce temps à ne rien faire ? D’abord, la commission croule sous le poids d’un mandat beaucoup trop large, disons-le, soit celui de déterminer « les causes sociales, économiques, culturelles, institutionnelles et historiques qui contribuent à perpétuer la violence [auprès] des femmes et des filles autochtones ».
Ensuite, la commission ne dispose toujours pas de plan de travail et n’a réussi à rejoindre qu’environ 300 familles sur plus de 2000 touchées. Outre Whitehorse, aucune autre séance n’est prévue ailleurs pour l’instant. Les auditions qui auraient dû normalement se tenir cet été ont été annulées pour respecter les activités de chasse et de pêche des autochtones. Le respect des habitudes amérindiennes est bien sûr une bonne chose, et est d’ailleurs inscrit explicitement dans le mandat de la commission, mais il semble aussi servir d’excuse à un manque d’organisation et de transparence. À tel point que ce sont les autochtones eux-mêmes qui aujourd’hui s’en plaignent.
Dans une lettre ouverte adressée à la commissaire en chef, Marion Buller, et signée par plus de 100 leaders autochtones ainsi que des membres des familles de femmes disparues, l’artiste métis Christi Belcourt se plaint du manque de leadership, d’expertise et de communication de la commission. La sommant de « repenser son approche », Mme Belcourt évoque« l’anxiété, la frustration et la confusion » au sein des familles. L’ex-journaliste et militante féministe Sue Montgomery, qui a travaillé pour la commission, est plus pointue encore. « Les familles veulent et méritent de l’information concrète. Que se passe-t-il une fois qu’elles sont inscrites pour témoigner ? À quel moment la commission sera-t-elle dans leur communauté ? À quoi surtout peuvent-elles s’attendre une fois leur témoignage enregistré ? » Rien de tout ça n’a été clairement communiqué pour l’instant.
Frustrée par l’imbroglio qui dure depuis des mois, Sue Montgomery (connue pour la campagne #AgressionNonDénoncée, dans la foulée de l’affaire Ghomeshi) a démissionné de son poste de directrice intérimaire des communications cette semaine. « Les cinq commissaires ne voient pas souvent les choses de la même façon et ne semblent pas souhaiter communiquer », dit-elle.
Si l’objectif déclaré de cette enquête est de « trouver la vérité », la commission est bien mal partie. Sa rectitude politique manifeste, d’abord, en plus d’être un frein au bon fonctionnement, empêche de voir l’éléphant dans la pièce : la part de responsabilité des hommes autochtones, voire des conseils de bande eux-mêmes, dans des cas de disparitions souvent liées au trafic sexuel. Il est temps que cette réalité soit éventée. Seulement, on n’y parviendra pas sans restreindre le mandat de la commission aux cas répertoriés par la police ainsi que directement liés à la traite des femmes. Et sans finir, aussi, avec les paroles creuses.
Qu’attend le gouvernement fédéral pour intervenir ? Cette commission, visiblement, tourne en rond.