Les États-Unis offrent tout un spectacle actuellement. Menace d’expulsions massives, stigmatisation des immigrants et des musulmans, diabolisation et censure des médias, pour ne rien dire de l’ingérence russe lors des dernières élections. Le plus pénible dans tout ça ? L’effritement de la notion même de l’Amérique, la subversion du mythe fondateur du pays par le nouveau domicilié à la Maison-Blanche.
L’idée d’une terre refuge pour ceux qui fuient l’oppression et la misère — « Give me your tired, your poor, your huddled masses yearning to breathe free », dit l’inscription de la statue de la Liberté — est en train de mordre sa queue. Né avec l’arrivée des premiers colons en 1629, victimes de persécution religieuse en Angleterre, le fameux « rêve américain » veut que tout le monde, peu importe le statut social, le pays d’origine ou la religion, trouve sa place. Mieux, tout le monde peut réussir dans un pays qui d’emblée renie le système de classes et les hiérarchies rigides typiques des grandes monarchies européennes.
Bien sûr, nos voisins n’ont jamais été ni aussi ouverts, ni aussi imperméables au statut social qu’ils le prétendent, l’esclavage des Noirs le crie à tue-tête, mais l’idée d’une terre pour tous (« this land is my land, this land is your land », comme le chantait Lady Gaga au Super Bowl) est néanmoins au coeur des grands principes américains. « Nous tenons ces vérités pour acquises », dit la Déclaration d’indépendance (1776), « tous les hommes naissent égaux et sont dotés de droits inaliénables, dont celui de la Vie, de la Liberté et de la Poursuite du bonheur ».
La poursuite du bonheur comme droit fondamental. Disons que c’est une façon assez inspirée de démarrer un pays. En comparaison, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB, 1867) fait figure de petite poutine administrative ennuyante à souhait. « Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union fédérale… » Pas de propos édifiants, pas de grande mission humanitaire à l’horizon. On s’en tient à l’idée de « la prospérité » et de « favoriser les intérêts de l’Empire britannique ». Élémentaire, mon cher Watson.
Il faut dire que le Canada n’a jamais eu de mythe fondateur autre que celui de relier coûte que coûte et coast to coast les petits forts de résistance éparpillés le long de cet Atlantis frigorifié. Rien de comparable aux Américains qui partent, eux, sur les chapeaux de roue avec un sens biblique de leur destinée, sous un soleil de plomb, des Colt Walker collés aux fesses et des meutes de bisons à l’horizon. Au sud, on a une civilisation à défendre, au nord, il faut juste construire un chemin de fer et trouver le moyen de ne pas « péter au frette ».
Au Canada français, la survie, évidemment, n’est pas uniquement physique ; elle est linguistique, culturelle et morale. Depuis les plaines d’Abraham, la colonisation française s’est miraculeusement maintenue et doit être sauvée. Il s’agit là, au même titre que la trajectoire américaine, d’une noble mission. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si ce sont des Québécois, encore cette année, presque jamais des Canadiens, qui prennent le podium aux Oscar. Comme les Américains, nous avons un sentiment aigu de qui nous sommes, d’où on vient et, à défaut de savoir où l’on va, le sentiment d’être dotés d’une mission salvatrice. « The stuff that dreams are made of », dirait Shakespeare.
Jusqu’à maintenant, les Canadiens anglais ont été les grands perdants de ce jeu d’identité nationale. Mais tout ça est en train de changer. D’abord, en larguant, en 1982, l’indigeste AANB pour une Constitution bien à lui, le Canada a commencé à se doter de sa propre belle parure : le multiculturalisme. Vous êtes légion à croire, je sais, qu’il s’agit là que d’une basse manoeuvre pour neutraliser le Québec. Loin d’être uniquement mesquin, le geste à mon avis cherchait à reconnaître la nouvelle réalité canadienne. À partir de ce moment, mais sans trop y porter attention, le Canada chantera le même refrain que les Américains : la « terre de lait et de miel », Messieurs-Dames, c’est ici que ça se passe.
La fermeture des frontières américaines par Donald Trump n’a fait que concrétiser ce transfert de flambeau d’une nation à l’autre. Les États-Unis ayant officiellement tourné le dos à ce qui les a toujours caractérisés, voire inspirés, il revient au Canada maintenant de tenir le fort. Mais si l’identité tant canadienne qu’américaine est en mutation, pourquoi pas l’identité québécoise ? La survivance, c’est bien beau, mais n’y aurait-il pas un aspect plus dynamique à y ajouter aujourd’hui ?
À suivre dans une prochaine chronique.
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