Les accusations fusent toujours. Une semaine après le « cafouillage » du siècle, lors de la tempête qui a causé six morts au Québec, les ministres du Transport et de la Sécurité, les responsables à la SQ (pour ne rien dire de l’agent qui ne serait jamais sorti de son autopatrouille), les chargés du déneigement, les camionneurs qui ont supposément joué les mauvais citoyens et, bien sûr, tous ceux qui ont regardé leurs petits écrans pendant des heures sans rien dire… tous sont montrés du doigt. Comment a-t-on pu manquer si cruellement de jugement ? La question se pose.
Mais ne manque-t-il pas un coupable à ce pilori ? Les changements climatiques. Bien sûr, lorsqu’il s’agit de météo, difficile de jurer qu’un dérèglement inusité de la nature est en cause. La revanche de l’hiver, on connaît ça, après tout. Il faudrait une accumulation de données pour pouvoir prouver que les fainéants ne sont pas seulement ceux qu’on pense. Ce qu’on sait, par contre, c’est que les changements climatiques ne font pas que réchauffer l’atmosphère. Ils favorisent également « les phénomènes météo extrêmes à travers le monde ». Pensons à la vague de chaleur en Europe en 2003 (70 000 morts), à l’ouragan Katrina en 2005 (1836 morts), à la sécheresse en Afrique en 2011 (258 000 morts), aux inondations au Pérou pas plus tard qu’avant-hier (75 morts).
Bien qu’ils fussent décidément moins mortels, le Québec a aussi connu des phénomènes extrêmes, particulièrement en hiver. La tempête de verglas de 1998, l’accumulation record de neige de 2007-2008, l’hiver particulièrement clément de 2011-2012 (comment oublier ces invraisemblables 24 degrés le 22 mars 2012 ?), les inondations en Montérégie la même année, l’érosion soudaine des berges aux îles de la Madeleine en 2010…
On peut d’ailleurs remercier les dieux de la météo de ne pas faire davantage de morts au Québec, puisque l’augmentation de la température est ici plus élevée qu’ailleurs. Saviez-vous que la même concentration de gaz à effet de serre résulte, en sol québécois, en plus de degrés Celsius ? Selon les chercheurs qui ont réussi à établir un lien entre la production de GES et la hausse de température, « une augmentation d’une tératonne (1000 milliards de tonnes) de CO2 dans l’atmosphère se traduit par une hausse de 3 degrés Celsius au Québec, alors que la moyenne mondiale est de 1,7 degré Celsius ». Pourquoi ? À cause de notre proximité avec l’Arctique, qui se réchauffe beaucoup plus vite qu’ailleurs, la disparition des glaces ne faisant plus écran aux rayons du soleil.
Ce qui nous amène à ceux qui « dormaient au gaz » la nuit du 14 mars 2017. De toute évidence, ils n’étaient pas seuls. Malgré une accointance profonde avec notre pays l’hiver, la majorité d’entre nous ronflions sur le dos, dorlotés par une saison sans grand froid ni grand neige, exceptionnelle encore une fois — un phénomène qui a été encore plus marqué chez nos voisins. À Chicago, une ville pourtant connue pour ses hivers difficiles, il n’y a eu aucune chute de neige en janvier et février cette année. Du jamais vu en 146 ans.
Insouciance généralisée, donc, créée par une situation inusitée. C’est le premier facteur à mettre dans l’équation. Deuxièmement, la tempête s’est avérée être un blizzard. Des vents atteignant « parfois 100 kilomètres à l’heure » ne font pas exactement partie de l’inconscient collectif, de ce à quoi on s’attend quand on nous annonce une tempête de neige. Comment expliquer la mort de deux hommes relativement jeunes autrement ? Morts, non pas dans un fossé, non pas happés par une souffleuse, mais assis dans leur camionnette dans la rue principale de leur village ! Le temps de se rendre compte qu’ils étaient en train de se faire ensevelir vivants et il était trop tard.
« Ça fait 37 ans que je reste ici, dit une résidente à Radio-Canada, c’est vraiment la première fois que je vois un gros vent comme ça. On ne voyait pas le garage en avant. Le vent était déchaîné. »
Les dérèglements climatiques ont donc très probablement participé au dérapage de la semaine dernière. Les désignés coupables n’en sortent pas blanchis pour autant. Tout le contraire. Au-delà de la bêtise du fonctionnaire, de l’irresponsabilité du ministre, de l’égoïsme du camionneur, le comportement véritablement scandaleux n’est-il pas plutôt celui des gouvernements qui, en ne respectant pas leurs promesses de réduction de CO2, en n’investissant pas suffisamment dans l’énergie verte, en ne croyant pas (vraiment) qu’il est possible de bâtir un autre type d’économie, tiennent en otage, non pas quelques centaines d’automobilistes, mais la population tout entière ?
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