Troisième déception en trois ans, troisième cas d’agression sexuelle alléguée qui fait patate. Après l’affaire Ghomeshi, les femmes autochtones de Val-d’Or, les allégations contre le député Gerry Sklavounos tombent à leur tour. La Direction des poursuites criminelles et légales va en fait plus loin : « Aucun acte criminel n’a été commis », dit-elle, insinuant que, contrairement aux Algonquines d’Abitibi, on n’a tout simplement pas cru les allégations de la plaignante Alice Paquet.
Alice rejoint donc le lot des femmes hachées menues, les plaignantes discréditées dans l’affaire Ghomeshi, des femmes qui, à trop vouloir jouer les Jeanne d’Arc, se sont enfargées dans leur version des faits et, parfois, carrément menti. Comme celles qui ont témoigné dans le procès de l’ex-animateur de radio Jian Ghomeshi, Alice Paquet s’est fait avoir, elle aussi, par les feux de la rampe. Ragaillardie par la manifestation à l’Université Laval, elle s’est sentie l’obligation, on devine, de monter au front pour mieux dénoncer ce qui est théoriquement considéré comme un crime, mais rarement traité comme tel. Rappelons que l’agression sexuelle est le crime le moins dénoncé et un des moins condamnés (moins de 50 %) par la justice.
On peut comprendre l’envie — et il faut saluer le courage — de ces jeunes femmes de dire « ça suffit ». Si on ne saura jamais ce qui s’est réellement passé entre Alice et le député de Laurier-Dorion, on sait que l’homme a une réputation de harceleur et que des Don Juan de sa trempe sont encore légion. Au moment où l’on se parle, un autre député libéral fait face, lui aussi, à des allégations d’inconduite sexuelle. Combien d’autres dérapages de ce genre enfouis dans les alcôves de l’Assemblée nationale dont on n’entendra jamais parler ? Il y a certainement quelque chose qui mérite ici d’être dénoncé.
Alice Paquet a raison, de plus, de décrier un système qui privilégie les « victimes parfaites ». Une enquête récente du Globe and Mail démontre combien le système judiciaire échoue, encore aujourd’hui, malgré des réformes importantes dans les années 80 et 90, à traiter adéquatement les plaintes pour agression sexuelle. Couvrant 92 % des juridictions canadiennes, y compris les québécoises, l’enquête démontre que bon an mal an, les services policiers rejettent 20 % des plaintes pour agression sexuelle, environ 5500 par an. Une fois sur cinq, et malgré le témoignage de femmes alléguant le contraire, on juge qu’aucun crime n’a été commis. Ces chiffres sont en flagrante contradiction avec les statistiques officielles concernant les fausses déclarations d’agression sexuelle : entre 2 et 8 % par an. Que ce soit au Canada, aux États-Unis, en Australie ou en Europe, les chiffres demeurent les mêmes. Le taux de fausses déclarations d’agression sexuelle demeure très bas pour des raisons évidentes : qui veut aller parler de sa vie sexuelle devant un policier, étaler ce type d’humiliation très intime, au risque, en plus, de ne pas être prise au sérieux ?
Pourquoi alors ce décalage entre les statistiques officielles et celles des corps policiers ? L’enquête du Globe révèle de graves lacunes dans la façon dont les plaignantes sont interrogées par les policiers. Les victimes qui vont immédiatement à la police, qui se sont débattues, qui ont dit non d’emblée, qui paraissent suffisamment bouleversées et en même temps capables de bien raconter leurs expériences, sans omissions ni trous de mémoire (ce qui, disent les psys, est quasi impossible pour quelqu’un sous le choc) sont vues comme crédibles. Les autres ? Bonne chance. Le vieux stéréotype voulant qu’une femme, vu des inclinations sexuelles évidentes, au fond « le voulait bien », est toujours très présent, notamment chez certains policiers de petites villes.
Mais revenons à Alice. Elle s’est contredite à plus d’une reprise. Jamais une bonne idée dans la vie, et encore moins après avoir engagé des procédures judiciaires. C’est particulièrement pénible de voir qu’en voulant trop impressionner, elle s’est non seulement tirée dans le pied, mais elle a tiré sur la cause qu’elle voulait tant défendre. Il y a eu deux spectaculaires embardées au cours des dernières années, il faut voir de toute urgence à mieux encadrer les femmes voulant dénoncer les agressions sexuelles. Et il faut, plus urgemment encore, former des escouades policières spécialement entraînées en la matière.
En attendant, le gouvernement Couillard doit résister à la tentation de réintégrer le député honni dans ses rangs. Les citoyennes du Québec ont besoin d’une preuve que la « sécurité des femmes en milieu de travail », comme ailleurs, est prise au sérieux. Ce n’est pas les déclarations de M. Sklavounos, main sur le coeur, qui sauraient nous rassurer.
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