« À tous ceux qui adorent ce film : vous êtes en train de regarder une femme de 19 ans se faire violer par un homme de 48 ans. »
Les réactions aux propos du cinéaste Bernardo Bertolucci concernant
la fameuse scène de sodomie « au beurre » n’ont pas tardé à exploser sur
les réseaux sociaux, dont celle de la comédienne Jessica Chastain. « Le réalisateur a planifié l’attaque. J’en ai la nausée », écrit-elle en conclusion.
Les propos du réalisateur de Le dernier tango à Paris,
enregistrés à la Cinémathèque parisienne en 2013 et dévoilés la semaine
dernière, ne sont pas sans rappeler ceux de Donald Trump admettant
tambouriner les femmes à sa guise. Encore une bombe qui invoque « la toxicité de la domination masculine », écrit le critique de cinéma Peter Bradshaw. Celle qui sévit, dans ce cas, dans l’industrie du film.
Avec la même candeur, Bernardo Bertolucci dit avoir eu l’idée du
viol, par livre de beurre interposée, de concert avec Marlon Brando, la
vedette masculine du film, le matin du tournage. La scène n’était pas
dans le scénario et il n’était pas question non plus d’en discuter avec
la jeune comédienne, Maria Schneider. « Je voulais
que Maria sente la colère et l’humiliation, non pas qu’elle le joue. Je
voulais la réaction de la fille, pas de l’actrice », explique Bertolucci. Tout en concédant que son plan était « horrible », le cinéaste ne regrette pas sa décision. « Je pense qu’il faut être complètement libre », dit celui dont le film, considéré comme « révolutionnaire » à l’époque (1972), a certainement marqué les annales du cinéma.
L’effarement qu’on lit sur le visage de la jeune femme dans le film est donc bien réel. « Maria, t’inquiète pas, ce n’est qu’un film »,
lui aurait dit Brando au moment de tourner la scène. L’un comme l’autre
seraient sortis de ce tournage traumatisés, dit-on, mais nul davantage
que l’actrice qui en aurait parlé à plusieurs reprises, mais sans,
évidemment, l’effet de bombe qui est en train de rattraper le cinéaste
aujourd’hui. Après ce film culte, Maria Schneider a connu une carrière
très houleuse, marquée par la dépression, la toxicomanie et des
tentatives de suicide. Il ne sera plus jamais question pour elle de
jouer nue par la suite. Elle est décédée d’un cancer en 2011 à l’âge de
58 ans.
Ce que les aveux de Bertolucci révèlent, surtout, ce sont les dessous
de la révolution sexuelle. Avec l’arrivée de la pilule contraceptive
quelques années auparavant, ça devait être la fête pour tout le monde. « Faites l’amour, pas la guerre »,
disait fameusement le slogan des années 70. En ouvrant grand les vannes
de la sexualité, on s’attaquait au puritanisme des décennies
antérieures, aux contraintes du mariage et jusqu’aux politiques
américaines au Vietnam. S’il s’agissait pour les femmes d’un premier
pied de nez à l’obligation de maintenir leur « vertu », et en ignorant
tout de leur corps, on se doutait que le party était bien
davantage pour les hommes — dont la réputation n’a jamais été écorchée
du fait qu’ils s’envoyaient en l’air, bien le contraire.
Le dernier tango à Paris est le véhicule parfait, on le voit
aujourd’hui, de ce deux poids, deux mesures. Dans le film, Marlon
Brando joue un homme qui exorcise le traumatisme laissé par le suicide
de sa femme en s’éclatant avec une étrangère, une femme « libre » qui,
affublée de boas, de fleurs et de grands chapeaux, est l’incarnation
même de la vie de bohème d’alors. En fait, il s’agit d’un homme qui
réalise un fantasme sexuel aux dépens d’une jeune femme, les
explications de Bertolucci, 40 ans plus tard, ne pourraient rendre la
chose plus claire.
La révolution sexuelle a camouflé bien des abus de pouvoir vis-à-vis
des femmes qui, comme Maria Schneider, n’ont pas toujours trouvé
l’exercice très libérateur. De la même façon, l’industrie du cinéma a
passé l’éponge sur les abus, aujourd’hui bien documentés, de grands
réalisateurs, d’Alfred Hitchcock à Stanley Kubrick en passant par
Bernardo Bertolucci, qui ont souvent fait des martyres de leurs jeunes
protagonistes féminines.
Heureusement, le temps, loin d’obscurcir le regard, n’a fait que préciser l’odieux de la transgression.
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