mercredi 14 décembre 2016

Climatosceptiques unis d'Amérique

Philippe Couillard s’inquiète de Donald Trump. Notre premier ministre craint le « penchant climatosceptique » du président désigné, qui, on le sait, n’a rien de constructif à dire sur le réchauffement de la planète. Trump a déjà écrit, en 140 caractères ou moins, qu’il s’agissait d’un « canular inventé par les Chinois pour freiner le secteur manufacturier américain ». Mais, rassurez-vous, le sauveur du Québec n’a pas l’intention de s’en laisser imposer par l’éléphant (dans tous les sens du mot) dans la pièce. Il restera ferme, dit-il, en matière de lutte écologique.
 
On hésite entre rire ou pleurer. L’homme qui vient d’imposer sa loi sur les hydrocarbures au moyen du bâillon, qui vient d’offrir le sous-sol québécois, à 10 ¢ l’hectare, à tous les prospecteurs gaziers et pétroliers, qui a mis seulement quatre jours à étudier la question énergétique en commission parlementaire cet été, écartant d’emblée beaucoup d’écologistes qui auraient dû prendre la parole, l’homme dont la feuille de route en matière d’environnement suinte le business as usual, voudrait qu’on le considère comme un preux défenseur de la planète ? On savoure.
 
La sortie du premier ministre a toutefois le mérite de nous alerter à un tout nouveau péril nommé Trump. Appelons-le le baobab qui cache la forêt néolibérale. Le diable qui fait des anges de tous ceux qui l’entourent. Le recul qui nous fait perdre de vue ce qui nous pend au bout du nez. Le 45e président menace tant de choses — de l’environnement à la diplomatie étrangère, en passant par les droits des minorités et les institutions démocratiques — qu’il est facile d’avoir l’air progressiste à ses côtés. C’est vrai de Philippe Couillard, qui profite des pattes d’éléphant de Trump pour montrer un beau mollet écolo, et c’est vrai aussi de Justin Trudeau.
 
Le PM canadien nous a passé tout un sapin récemment en bénissant le pipeline Kinder Morgan en Colombie-Britannique. Avec l’air de celui qui sait donner d’une main tout en prenant de l’autre, Justin Trudeau nous a assuré que sa décision était à la fois (refrain connu) « bonne pour l’économie et bonne pour l’environnement ». Mais c’est tout le contraire. La décision n’est pas seulement mauvaise pour l’environnement, elle l’est également pour l’économie, pour ne rien dire de l’angélisme de M. Trudeau, déjà passablement écorché par cette histoire de lobbyisme à coups de 1500 $.
 
D’abord, contrairement à ce qu’avait promis le chef libéral en campagne électorale, l’oléoduc en question n’a jamais été proprement évalué par l’Office national de l’énergie.
 
On n’a pas mesuré l’impact environnemental de possibles déversements de bitume sur la côte pacifique, on a omis d’évaluer une partie des émissions de gaz à effet de serre et on n’a jamais considéré « la pertinence d’un tel projet dans le marché pétrolier actuel ». Bancal à souhait, le processus d’évaluation était biaisé en faveur de Kinder Morgan, disent de nombreux observateurs.
 
La justification économique, maintenant. Le gouvernement Trudeau maintient que l’accès aux ports de mer est la clé qui permettra d’écouler les réserves albertaines. Un plus pour l’économie du pays comme pour l’Alberta. Mais c’est ignorer que « le marché est saturé actuellement, en partie à cause du bitume albertain et du pétrole de fracturation du Texas et du Dakota du Nord », écrit le spécialiste en énergie Andrew Nikiforuk dans The Tyee. De plus, le pétrole des sables bitumineux est un produit inférieur qui nécessite davantage de traitement. À cause de sa forte concentration en acide, en soufre et en métaux lourds, le produit est intraitable dans bien des raffineries asiatiques, notamment en Chine. Or, à quoi sert l’accès au Pacifique si le marché asiatique demeure une vue de l’esprit ?
 
Et, finalement, la justification écologique. Le feu vert à Kinder Morgan était conditionnel, dit M. Trudeau, à l’imposition par l’Alberta d’un plafond de 100 mégatonnes de gaz toxiques. Le hic ? Non seulement cette limite est-elle dérisoire pour la production albertaine, lui permettant en fait de croître de 40 % (!), mais elle obligera les autres provinces à des miracles de contraction énergétique — si l’engagement de réduire nos émissions de 30 % d’ici 2030, du moins, est maintenu. Il n’y a donc aucune bonne raison derrière ce projet si ce n’est celle de plaire « à un petit secteur de la population », le secteur pétrolier, au détriment de tous les autres.
 
Bref, il n’y a pas que Donald Trump qui se trouve aujourd’hui « du mauvais côté de l’histoire ». Nos propres leaders politiques ne sont pas encore très convaincus de l’impérieuse nécessité de sauver la planète.

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