« Nous nous sentons trahies, humiliées et notre coeur est brisé en mille morceaux. »
La réaction des femmes autochtones à la décision de ne pas déposer
d’accusations contre des policiers de Val-d’Or n’est pas sans rappeler
tous les coeurs fendus à la suite du verdict de non-culpabilité de Jian
Ghomeshi en mars dernier. Voici, dans les deux cas, des femmes qui
prennent leur courage à deux mains, qui osent raconter ce qui leur est
arrivé tard un soir, des femmes encouragées dans leurs dénonciations par
tout un choeur médiatique, seulement pour se briser, un an plus tard, contre les angles pointus du droit criminel. « En raison du principe de la présomption d’innocence, rappela le Directeur des poursuites criminelles et pénales, la poursuite doit faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé. »
Cette preuve irrécusable n’existait pas contre Ghomeshi, elle
n’existe pas non plus contre les policiers de la SQ qui, dans 21 des 38
cas retenus, « n’ont même pas pu être identifiés »,
dit l’observatrice indépendante, Fannie Lafontaine. Lire : on ignore
toujours de qui il s’agit. Plusieurs années s’étant écoulées, comment
savoir qui vous a poussé en dehors de la voiture de police, qui vous a
rudoyé ou sauté dessus ce soir-là ? Comment déterminer avec précision le
jour, l’année, la personne ? Il faisait noir, souvent froid, et les
victimes n’avaient pas toujours toute leur tête. Les difficultés à
amasser la preuve nécessaire étaient sans commune mesure.
À un moment où les corps policiers en prennent plein la gueule, il
est important de souligner que la justice n’est pas fautive ici. On
pourrait même dire que le processus judiciaire s’est illustré, dans le
cas des femmes autochtones, par sa rigueur et son empathie. Tant le DPCP
que le SPVM, chargé de l’enquête, y ont mis le paquet. « Normalement, on n’aurait pas tout fait ça », dit celle dont le mandat était d’assurer « l’intégrité et l’impartialité » de l’enquête. Du « sérieux et exhaustivité de l’enquête », en passant par « l’établissement d’un climat de confiance avec les victimes », et bien d’autres mesures encore,
tout y était, de dire Me Lafontaine. Bien sûr, on est toujours ici en
présence de « la police qui enquête sur la police », mais le Bureau des
enquêtes indépendantes n’étant pas en fonction au moment de lancer
l’enquête, la présence d’une observatrice neutre, une première au
Québec, devait justement pallier ce manque éthique.
On note la même rigueur du côté du DPCP, qui a réaffirmé que la crédibilité des victimes n’était pas en cause ici. « Ce n’est pas parce qu’on ne dépose pas d’accusations que cela signifie que l’événement n’a pas eu lieu »,
répéta-t-on. Déplacé exceptionnellement à Val-d’Or pour livrer son
verdict, le message du DPCP aux femmes autochtones était « on vous
croit ». À noter que parmi les procureurs choisis pour évaluer
l’enquête, tous trois expérimentés « en matière de crimes à caractère sexuel », on trouve Nadine Haviernick, la soeur d’une des femmes tuées à l’École polytechnique. Un fait éloquent en soi.
Mais tout ce beau travail n’empêche pas la colère et la frustration,
toute cette exemplarité ne peut rien pour les coeurs brisés. Le même
gouffre qui existait entre prouver la culpabilité de Jian Ghomeshi et
lutter contre le fléau des agressions sexuelles existe à nouveau entre
les dénonciations des Algonquines et le redressement de la situation
autochtone en général. Comme dans le cas Ghomeshi, justice a été rendue
mais justice n’a pas été faite, du moins est-ce l’impression, étant
donné l’étendue des torts à redresser. Devant ce cul-de-sac judiciaire,
comment ne pas se sentir floué, à plus forte raison si vous êtes une
femme autochtone, une femme invisible, une femme qui « ne parle jamais », précise la journaliste derrière toute cette histoire, Josée Dupuis.
Comme le soulignent le rapport de Fannie Lafontaine et celui du DPCP,
ce n’est pas le rôle du système judiciaire que de redresser des torts
collectifs. Soit. Mais vu l’ampleur du découragement, ce sentiment
tenace que rien n’a changé et que rien ne pourra changer, on se demande
si l’heure n’est pas venue pour le droit criminel de tenir compte
davantage de ce type de fléaux collectifs. Une réforme ne serait-elle
pas envisageable ?
En attendant, il est impératif que le gouvernement se débouche les
oreilles en reconnaissant à son tour l’existence du « racisme
systémique » et en honorant la requête pour une commission indépendante.
Si notre système judiciaire n’a pu, pour des raisons évidentes, poser
un geste réconciliateur vis-à-vis des Premières Nations, qu’attend donc
le gouvernement pour le faire ?
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