Hillary Clinton a raison, finalement, d’être fermée comme une huître
et méfiante comme une belette. Le dernier séisme dans la campagne
présidentielle prouve que la candidate a plus de détracteurs
qu’elle-même aurait imaginé. À Donald Trump et aux hordes de
« déplorables » s’ajoutent aujourd’hui le chef du FBI, James Comey, pour
ne rien dire du grand fomenteur derrière la saga des courriels, l’homme
de WikiLeaks, Julian Assange. Même les paranoïaques ont de vrais
ennemis, dit-on. En voici la preuve.
Avouez que la sortie sibylline de M. Comey, annonçant qu’il relançait
l’enquête sur l’utilisation d’un serveur privé par l’ex-secrétaire
d’État, a de quoi décrocher une mâchoire. Disant ne pas avoir encore lu
la nouvelle mine d’informations, ni connaître sa signification, ni même
avoir obtenu un mandat (!), le directeur du Bureau fédéral d’enquête a
cru bon néanmoins de rappeler, à quelques jours seulement de l’élection,
le comportement possiblement suspect de la candidate démocrate. Ça
s’appelle un coup en bas de la ceinture, exactement là où Trump rêve de
mettre les pattes.
Pour bien comprendre l’énormité du geste, rappelons que rien n’est
plus secret, règle générale, qu’une enquête policière. Pour ne pas nuire
à l’enquête, pour garder la nécessaire distance entre le judiciaire et
le politique et parce que les forces de l’ordre sont de nature
essentiellement cachottière de toute façon, la police ne parle jamais de
ses enquêtes. Si elle le fait, c’est en prenant d’infinies précautions —
ce qui, ici, n’est visiblement pas le cas. Selon un membre du FBI parlant à Newsweek sous couvert de l’anonymat, « il
n’y a aucune indication voulant que ces courriels aient été cachés par
Clinton lors de la première enquête ni qu’elle ait commis quoi que ce
soit d’illégal ». Pire, la divulgation du
directeur du FBI contrevient à la fois aux avis qu’il aurait reçus du
ministère de la Justice et d’une loi aux États-Unis (Hatch Act) qui interdit aux hauts fonctionnaires d’utiliser leur position pour tenter d’influencer une élection.
« On peut penser que le public a besoin de cette information, mais le public n’est pas en mesure de l’absorber, dit l’ex-directeur des affaires publiques au ministère de la Justice Matthew Miller.
Les gens reçoivent plutôt une impression qui peut être fausse et qu’ils
ne peuvent contre-vérifier. En apprenant que le FBI enquête, on tient
pour acquis qu’il y a un problème, alors qu’il ne pourrait s’agir de
rien du tout. C’est pourquoi on ne peut pas agir ainsi. »
Apprécions l’ironie : l’homme devant enquêter sur un possible « abus
de pouvoir » de l’ex-secrétaire d’État en est lui-même coupable
aujourd’hui. Pour se défendre, le chef du FBI dit qu’il se devait de
tenir les membres du Congrès informés. Mais entre un soi-disant devoir
de transparence — auquel les forces de l’ordre ne sont d’ailleurs pas
tenues — et une interférence dans le processus électoral, devinez ce qui
fait le plus mal et à qui ?
On trouve la même logique tordue chez le pourfendeur en chef de
Hillary Clinton, Julian Assange, le responsable des milliers de
courriels révélés en juin dernier. Le geek venu du pays d’en bas affirmait récemment avoir une « surprise d’octobre » qui pourrait bien mener Clinton « en prison ».
Il disait aussi compter sur le FBI pour ce dernier tour de vis. On est
loin ici de la mission déclarée du lanceur d’alerte qui, en 2006, disait
cibler « les régimes oppressants de la Chine, de la Russie et des pays d’Eurasie centrale ».
Depuis les accusations d’agression sexuelle qui pèsent contre lui
(encore un autre…), et qui le forcent à vivre reclus à l’ambassade de
l’Équateur à Londres, Julian Assange s’est au contraire beaucoup
rapproché du pays de Poutine, ce dernier ayant pris la défense de
l’Australien, en plus de lui offrir une tribune télévisée. Comme par
hasard, Assange met aujourd’hui toutes ses énergies à dénoncer
l’immoralité et corruption de l’Amérique, en commençant par Clinton
elle-même. Tout indique d’ailleurs que les courriels révélés en juin
sont d’abord l’oeuvre de Moscou que WikiLeaks aurait volontiers
« blanchis » en prétendant en être le fournisseur.
Que Hillary Clinton ait fait une monumentale erreur en utilisant un
serveur privé est évidemment incontestable. Qu’elle ait tout d’une
politicienne de la vieille école, aussi. Mme Clinton est manipulatrice
et trop souvent aveugle aux conflits d’intérêts. Mais elle n’est pas une
criminelle. La chasse aux sorcières dont elle est la cible n’est
certainement pas étrangère au fait qu’elle soit la première femme à oser
atteindre l’inaccessible étoile.
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