Il va me manquer. Sa façon de marcher, de parler, de danser collé avec sa belle Michelle, sa façon même de sermonner. « Don’t boo. Go vote ! »
(Arrêtez de chahuter. Allez voter!), s’exclamait-il devant un
rassemblement démocrate qui s’en prenait à un supporteur du Donald égaré
dans les rangs. Tout un contraste avec ce qui se passait dans le camp
républicain, alors qu’un homme portant une pancarte anti-Trump a été
frappé et étranglé avant d’être sorti menotté par la police.
Je parle bien sûr du Fred Astaire de la politique américaine, Barack
Obama, l’homme qui nous a instruits dans l’art du calme, du respect, de
la déambulation lente et fluide et de la réflexion posée. En plus
d’avoir tourné le dos au statu quo et initié un certain goût du
changement. L’histoire nous dira si le 44e président sera retenu parmi
les grands, mais on sait déjà qu’il fait partie des plus cool, des plus respectés et des plus charismatiques.
Ce n’est pas rien. On pourra toujours dresser la liste de toutes les
choses qu’Obama n’aura pas réussies durant ses deux mandats (fermer
Guantánamo, réduire les inégalités, ramener l’harmonie entre
républicains et démocrates…) mais, au lendemain d’une élection qui aura
été marquée par le retour de l’homme des cavernes, par le mensonge,
l’insulte, l’ignorance et le fanatisme, rendons hommage au gentleman
président, au type d’homme qu’il est et au modèle qu’il demeurera,
espérons-le, pour des générations à venir.
« Il faut admettre qu’Obama l’être humain s’est révélé être un modèle de grande classe et de dignité, écrit le chroniqueur Timothy Egan. Si,
comme on dit souvent des pionniers noirs dans le domaine sportif, il
faut être deux fois meilleur pour réussir, alors le comportement
personnel d’Obama a été bien au-delà de celui de bien des présidents. »
L’image, pour moi, qui incarne le mieux la grandeur d’Obama, mieux encore que lui chantant Amazing Grace
devant la communauté noire endeuillée de Charleston ou « bon
anniversaire » à sa fille Malia, c’est celle où il accueille un petit
Noir américain, fils d’un de ses employés, dans son bureau à la Maison-Blanche. « Je voudrais savoir si vos cheveux sont comme les miens »,
lui demande le petit garçon de cinq ans. Et le président de se pencher
tout bonnement pour permettre à l’enfant de toucher et constater par
lui-même qu’ils étaient, en fait, pareils.
Une image vaut mille mots ? Un geste comme celui-là vaut mille
déclarations de principe sur les minorités raciales, pour ne rien dire
de la grande leçon d’humilité de la part de l’homme le plus puissant de
la planète. Le contraste est saisissant, encore une fois, avec le
vantard spécialisé en humiliation de toutes sortes qui pourrait, sait-on
jamais, lui succéder. Au moment d’écrire ces lignes, la crampe au
ventre est au niveau 10 et on ne sait toujours pas qui sera le prochain
président ou présidente des États-Unis.
On peine à croire que le modèle de masculinité toxique que représente
Donald Trump pourrait chasser le modèle de « grande classe » signé
Barack Obama. Mais, même si Hillary l’emporte — et, ô, on le souhaite —
la toxicité ne disparaîtra pas de sitôt. Trump a donné une voix à toute
une partie de la population qui se tenait coite jusqu’à maintenant, ceux
qui en veulent aux femmes et aux minorités d’avoir volé leurs jobs, les
hommes blancs peu éduqués, victimes des changements culturels et
technologiques des 30 dernières années. En plus d’avoir amplifié la voix
de tous ceux qui fustigent « le système » et jugent l’ensemble de la
classe politique « pourrie », il a révélé l’autre visage du changement,
le fameux backlash, qui prend toujours beaucoup plus de temps à se manifester que le changement lui-même. Étant l’incarnation même de l’establishment
politique, en plus d’être une femme qui prend la place d’un homme,
Hillary Clinton, si jamais elle remporte son pari, ne peux que prêter
flanc à cette déferlante de ressentiments.
Raison de plus de s’accrocher, encore un instant, à l’héritage
personnel laissé par Barack Obama, sa droiture, au propre comme au
figuré, sa compassion et son élégance, avant de plonger tête première
dans cet interrègne où le vieux n’est pas tout à fait mort et le nouveau
pas tout à fait arrivé et où l’invective et la menace flotteront dans
l’air sans doute encore longtemps.
Allez, M. le président, Let’s Face the Music and Dance.
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