Plutôt que de déclarer la guerre au burkini, deux écoles secondaires ont choisi de respirer par le nez, cette semaine, en rangeant le controversé maillot dans la catégorie des « accommodements raisonnables ». Mieux vaut encourager les étudiantes musulmanes à se baigner emmitouflées, croit la Commission scolaire de Montréal, que de les reléguer à la marge et à l’isolement. Applaudissons à sa sagesse et à son courage, le geste étant sûr de susciter la condamnation chez ceux qui maudissent le voile musulman, n’y voyant qu’une « propagande islamiste » éhontée.
Permettre le port de ce maillot, rappelons-le, ne veut pas dire applaudir à celui-ci. Cela dit, si c’est l’islamisme qui inquiète, si c’est le recul de l’égalité hommes-femmes qui fait peur, mettons au moins l’opprobre au bon endroit. Pourquoi toujours s’en prendre à de simples citoyennes plutôt qu’aux véritables prosélytes, aux vrais coupables d’un credo moyenâgeux ? L’Arabie saoudite. Il est toujours un peu troublant de constater combien le vitriol se répand devant des femmes un peu trop habillées alors que l’indifférence perdure envers un régime connu non seulement pour ses tortures et ses exécutions, mais également pour avoir exporté l’extrémisme religieux.
Si l’ensemble des pays musulmans aujourd’hui — du Moyen-Orient à l’Asie du Sud-Est en passant par l’Afrique — plonge dans le fondamentalisme, c’est beaucoup à cause de l’islam pratiqué au royaume des Saoud. Né il y a trois siècles en plein désert, le wahhabisme — du nom du clerc qui lui a donné son nom, Mohammed ben Abdelwahhab — a été façonné « par un environnement austère et xénophobe, opposé à l’art, aux sanctuaires et à la musique, à mille lieues de l’islam cosmopolite de Bagdad ou du Caire », dit une enquête du New York Times sur l’extrémisme saoudien.
Rapidement, ce type de salafisme exacerbé devient la religion d’État. La découverte en 1938 des plus importantes réserves de pétrole au monde, par des prospecteurs américains, fera le reste. Les pétrodollars donnent aux autorités religieuses un« budget extravagant pour exporter leur courant sévère de l’islam ». Selon un rapport de l’U.S. Council on Foreign Relations (2004), des douzaines de mosquées sont construites dans le monde, y compris au Canada. Aujourd’hui, on trouve des mosquées financées par l’Arabie saoudite à Toronto, à Ottawa, à Calgary, à Québec, et jusqu’au « pôle Nord », à Inuvik et à Iqualuit.
Et quand le béton n’est pas l’oeuvre de la monarchie du désert, la littérature disséminée à l’intérieur des murs, elle, l’est très souvent. « Certains livres distribués par le gouvernement [saoudien] propagent des idées ouvertement hostiles à la science, à la modernité et aux droits des femmes. » D’autres applaudissent « ceux qui combattent les infidèles pour répandre la parole d’Allah ».
Malgré son totalitarisme évident, des pays comme le Canada, les États-Unis et la France, grands défenseurs de la modernité et des droits fondamentaux (en temps normaux), sont toujours étroitement liés à l’Arabie saoudite. Au nom de vieilles alliances économiques, de la stabilité au Moyen-Orient et de la « lutte contre le terrorisme » — car, et c’est bien l’ironie, la péninsule arabique y est engagée aussi —, on lui vend des armes et des chars d’assaut, on se donne même des claques dans le dos.
En mars dernier, François Hollande a remis la Légion d’honneur au prince héritier saoudien. « C’est à la demande de l’Arabie saoudite que la distinction a été remise le 4 mars en catimini au prince Mohammed ben Nayef, ce dernier souhaitant “renforcer sa stature internationale” », écrivait l’AFP repiqué par L’Obs. Pourtant, comme le dit l’auteur algérien Kamel Daoud, lui-même visé par une fatwa, l’Arabie saoudite n’est qu’un « Daech [acronyme arabe du groupe armé État islamique] qui a réussi ».
« Daech noir, Daech blanc. Le premier égorge, tue, lapide, coupe les mains, détruit le patrimoine de l’humanité, et déteste l’archéologie, la femme et l’étranger non musulman. Le second est mieux habillé et plus propre, mais il fait la même chose. L’État islamique et l’Arabie saoudite. Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre […] Si on ne comprend pas cela, on perd la guerre même si on gagne des batailles. On tuera des djihadistes mais ils renaîtront dans de prochaines générations, et nourris des mêmes livres. »
À quand la fin d’une telle hypocrisie ? À quand un combat contre l’islamisme qui met l’accent aux bons endroits ?
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