La petite brise qui vous balaie le front, le soleil qui vous chauffe la nuque, l’air qu’on respire à pleins poumons… Ah, le temps des petits fruits qui vous barbouillent le menton. Fermons les yeux et tentons d’oublier — c’est l’été, après tout — que ces bontés de la nature sont hypothéquées depuis lundi dernier. Le 8 août marque cette année la limite des ressources naturelles planétaires. C’est donc dire qu’on est, à partir de maintenant et pour le restant de l’année, dans le rouge pour ce qui est des bienfaits de la terre. On consomme des choses qui ne sont pas tout à fait gratuites.
Tentons d’oublier aussi que 2015 a été « la pire année de l’histoire moderne » pour l’environnement. « Les températures à la surface de la terre et au-dessus des océans, le niveau des mers et les émissions de gaz à effet de serre ont battu des records établis juste l’année précédente », disent 450 scientifiques. Oublions que 42 % des amphibiens, 13 % des oiseaux, 26 % des mammifères (dont le tigre, le panda et l’éléphant), 31 % des requins et raies, 33 % des coraux constructeurs de récifs et 34 % des conifères sont menacés d’extinction. Oublions vite, car 2016 s’annonce pire encore. « Il faudra en 2016 l’équivalent de cinq planètes pour soutenir la consommation d’un Nord-Américain », écrit Karel Mayrand de la Fondation David Suzuki.
Tout se passe comme si l’« historique » sommet de Paris sur le climat n’avait jamais eu lieu. On aurait cru qu’un accord liant 195 pays aurait eu un impact évident. Il s’agit de 99,5 % de la planète, après tout. Mais non. Il y a d’abord tous les pays qui n’en ont rien à cirer : la Syrie, l’Afghanistan, le Soudan, le Koweït… La Chine a déjà signifié qu’elle n’a aucune intention de bouger avant une décennie ou deux. Ensuite, tous ceux, comme le nôtre, qui font de belles promesses, investissent dans des « fonds verts », puis continuent comme si de rien n’était — Énergie Est ? Anticosti ? Une cimenterie à Port-Daniel ? Par ici, les investisseurs ! —, c’est-à-dire sans vraiment tenir compte du fait qu’on fonce dans un mur — « effondrement économique et déclin démographique » à prévoir d’ici 15 ans — et qu’il faudrait vraiment changer de modèle économique.
Le Fonds vert mis en place par le gouvernement Couillard est un exemple patent des voeux pieux vis-à-vis de l’environnement. Notre principal outil dans la lutte contre les changements climatiques, ce programme a « un effet incertain, voire inexistant sur les émissions de gaz à effet de serre », révélait La Presse cette semaine. On jette de l’argent par la fenêtre — près de 800 millions de dollars — pour des initiatives dont on ne connaît pas l’efficacité et qui, dans bien des cas, n’ont même pas lieu. Ou si peu. Chauffez vert n’a utilisé que 31 % de sa subvention, Roulez électrique, 30 %, Branché au travail, 23,5 %, et la réduction des GES dans le transport intermodal, un gros 6 %. À ce rythme, il est évident que notre objectif de réduction de GES de 20 % d’ici 2020 est inatteignable.
Il va falloir des mesures autrement plus contraignantes, en commençant par une taxe sur le carbone plutôt qu’un autre marché bonasse, celui d’encourager la réduction de GES auprès de l’industrie lourde en la faisant payer les niveaux trop élevés. Le « marché du carbone », tel que présentement conçu, transforme la pollution en espèce de prostitution : il est toujours possible de s’adonner à ce type de commerce, mais en payant. C’est encore une fois mettre la charrue avant les boeufs, traiter l’environnement comme une « externalité », en faire quelque chose de secondaire à l’activité première qu’est l’économie.
Or, de pair avec les inégalités sociales, l’environnement est la problématique de l’heure, rien n’est plus urgent. À quand les publicités, les initiatives et les politiques gouvernementales qui reflètent adéquatement cette urgence ?
En attendant, on peut toujours aller voir ce qui se trame du côté de la société civile. Montréal a le privilège d’accueillir, pour la première fois en Occident, le Forum social mondial, « le plus grand rassemblement de gens voulant relever les défis de notre temps ». Ce regroupement de syndicalistes, d’écologistes et d’altermondialistes ne changera rien du jour au lendemain. Mais il sème des graines, explore de nouvelles avenues, envisage des solutions. Comme dirait John Lennon, il faut s’imaginer ailleurs avant de s’ouvrir sur d’autres horizons.
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