On voudrait tellement l’aimer. Un peu comme Eugenie Bouchard, une autre belle blonde à la carrière en dents de scie, on voudrait applaudir ses exploits. On voudrait la remercier d’être faite forte et combien têtue et d’avoir normalisé l’idée d’une femme à la tête du plus puissant pays au monde. Et pourtant, comme notre star de tennis nationale, Hillary Clinton finit toujours par décevoir un peu, beaucoup, passionnément. À l’heure actuelle, 70 % des électeurs américains n’aiment pas l’ex-première dame, exactement le même nombre qui voit d’un mauvais oeil l’imbuvable Donald Trump. C’est tout dire.
On a beaucoup expliqué les problèmes de Hillary par son manque d’humanité. « Sait-on ce que Hillary Clinton fait pour s’amuser ? écrit un chroniqueur du New York Times.Il est difficile de voir un autre aspect à sa vie, outre sa carrière. » On a fait le même reproche à Pauline Marois, soit dit en passant, de se cacher derrière un masque. Mais on pourrait en dire autant de Stephen Harper, François Hollande, Robert Bourassa, Richard Nixon, Winston Churchill… C’est vrai de la grande majorité des leaders masculins, en fait. Sait-on ce qu’ils font/faisaient pour s’amuser ? Les femmes en politique paient chèrement cette absence de transparence — qui, chez elles, passe pour un manque de naturel alors qu’on trouve parfaitement normal qu’un homme politicien soit fermé comme une huître. Un deux poids deux mesures qui en dit long sur la pérennité de vieux stéréotypes : on veut nos hommes endurcis, des tough (l’étalage de testostérone de Trump est éloquent à cet égard), et nos femmes humaines, compatissantes et vulnérables.
Mais les dernières cabrioles sur la scène politique américaine auront révélé un problème plus grave encore pour Clinton : un manque de flair politique étonnant. On pourrait d’ailleurs dire la même chose de Pauline Marois qui, malgré une feuille de route impressionnante elle aussi, a commis quelques grosses bévues : la chasse au pétrole sur l’île d’Anticosti, la charte des valeurs et PKP. Le fait de devoir travailler deux fois plus fort et trois fois plus longtemps pour arriver à bon port, de devoir se protéger d’attaques constantes, expliquerait-il cette difficulté à prendre le pouls ? Peut-être. Chez Hillary Clinton, cette insensibilité à ce qui se passe sur le plancher des vaches, cette incapacité de voir autre chose que sa propre ligne de pensée, s’est traduite d’abord par son utilisation d’un serveur personnel comme secrétaire d’État et puis, comme le démontre le tout dernier scandale, par le traitement cavalier réservé à Bernie Sanders.
On sait maintenant que l’establishment démocrate n’avait que faire de la « révolution »Sanders, cherchant à discréditer le sénateur socialiste en insinuant son « athéisme », et quoi encore. Si Mme Clinton n’était pas directement impliquée, elle devait sans doute être au courant de ses manoeuvres ou, du moins, du favoritisme dont elle bénéficiait au sein du parti. Comme pour son serveur personnel, Clinton croyait sans doute qu’elle méritait ce traitement de faveur.
Et puis, que dire de son choix de Tim Kaine comme colistier ? Une décision qui fait davantage l’affaire de la base républicaine que de l’aile gauche démocrate. Un choix aussi timide démontre un parti pris pour l’establishment dont Mme Clinton est l’incarnation ultime, mais aussi de la « vieille politique », cette façon de dire simplement ce qu’on croit que les électeurs veulent entendre. Précisément ce qui a été mis en joue durant cette course à la Maison-Blanche.
Ce que le bouillant mouvement derrière Bernie Sanders — tout comme le volcan nommé Donald Trump — révèle, c’est que de larges pans de l’électorat sont en colère vis-à-vis d’un système politique qu’ils perçoivent comme « truqué ». Pour les berniacs, c’est la mainmise du 1 % au détriment des plus pauvres qui rend fou. Pour la horde des angry white males derrière Trump, ce sont les politiques qui favorisent l’immigration et le libre-échange, au détriment des emplois dans le secteur manufacturier et agricole, qui indisposent. Dans un tel contexte, Hillary Clinton, loin d’offrir une solution, fait partie, en fait, du problème. Elle est l’incarnation même d’un système qui favorise et récompense certaines castes.
Selon le cinéaste Michael Moore, c’est précisément ce ras-le-bol vis-à-vis d’un système politique en panne qui explique pourquoi Trump pourrait l’emporter. « Pas nécessairement parce qu’on aime le bonhomme ou parce qu’on entérine sa bigoterie, mais simplement par besoin de bouleverser l’ordre établi et d’envoyer un message à papa et maman. »
Maman Clinton, on le voit, a toute une côte à remonter.
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