En 2015, le gouvernement français invitait le milieu de la restauration parisienne à plus de civilité. L’air bête de ses garçons de table étant devenu aussi imperméable que leurs fameux tabliers, il fallait intervenir. La campagne a porté ses fruits et on peut aujourd’hui dîner à Paris sans, du même coup, cultiver un complexe d’infériorité.
Peut-être le gouvernement québécois devrait-il émuler le geste pour ce qui est des immigrants ? Un reportage de Danny Braun à l’émission Désautels le dimanchesouligne à gros traits ce qu’un rapport de l’OCDE effleurait récemment : le Québec peine à garder ses immigrants, même francophones. « Beaucoup quittent la Belle Province faute de trouver un travail, une situation et une culture qui les intègrent. »
On parle ici de personnes sélectionnées après un long et fastidieux exercice par le gouvernement du Québec. Des personnes éduquées, choisies en fonction des besoins du marché, des personnes triées sur le volet qui ne demandent que ça : travailler. Jusqu’à 25 % de ces personnes-là partent pour l’Ontario (en majorité) après un ou deux ans passés ici. « J’aurais mieux fait de me diriger tout de suite en Ontario », dit le Camerounais Patrick Bertholin, qui a tenté sa chance d’abord à Montréal, ensuite à Gatineau, pour enfin se retrouver à Mississauga, en banlieue de Toronto. « Le gouvernement québécois devrait réaliser qu’il y a un problème. »
Et comment. Quand ces immigrants soigneusement sélectionnés parlent français, par-dessus le marché, il faut se poser des questions. Qu’y a-t-il à Toronto qu’il n’y a pas à Montréal ? Qu’est-ce qui explique, surtout, que le taux de chômage des immigrants torontois s’estompe après 10 ans, devenant à peu près égal à celui des Canadiens de souche, mais pas à Montréal ? Dans le reportage, l’Ivoirien Gérard Kouassi parle de deux catégories de gens : « les Québécois et les autres ». La Française Marine Sibileau renchérit : « Il y a un regard un peu plus accusateur au Québec. »
Est-ce à dire que Montréal est plus raciste, plus xénophobe que Toronto ?
Pour avoir vécu six ans là-bas, je n’y crois pas pour deux secondes, bien qu’il soit vrai qu’on y trouve beaucoup plus de gens de différentes origines, pas seulement dans la rue mais également au Toronto Star et à la CBC. La Ville reine, morne et sans relief il y a à peine 30 ans, s’est trouvé une personnalité, voire une identité, en ouvrant grand les bras à l’immigration. Devenue aujourd’hui une des villes les plus multiculturelles au monde — près de la moitié de ses habitants sont nés ailleurs —, c’est à elle qu’on pense quand Justin Trudeau s’épanche sur la diversité canadienne.
Montréal, elle, a une tout autre personnalité. Comme l’ensemble du Québec, sa force c’est son histoire, sa langue et sa culture. C’est son côté latin, un peu échevelé, qui fait qu’elle vous saute dans les bras alors que Toronto, malgré son étonnante diversité, demeure toujours un peu retenue, froide, toujours un peu WASP (white anglo-saxon protestant). C’est cruel à dire, mais ce qui précisément rend le Québec plus intéressant, culturellement parlant, toutes ces questions identitaires combien essentielles mais aussi, combien compliquées, militent contre nous pour ce qui est de l’intégration immigrante. Mme Sibileau ne s’y est pas trompée : « Au Québec, les gens sont toujours sur la défensive pour la protection de la langue. C’est bien, mais il y a une carapace dure à percer. On laisse moins entrer d’autres cultures. »
On peut même se demander si ce repli sur soi n’explique pas également ce que l’OCDE établit comme le « paradoxe » montréalais. Pourtant jeune, universitaire et culturellement vivante, la ville traîne de la patte pour ce qui est de la création d’emplois. Nous donnons trop dans de « petites entreprises peu innovantes tournées exclusivement vers le marché local », dit le rapport.
Pour des raisons identitaires, on est davantage intéressé par son nombril à Montréal qu’on l’est à Toronto. Les Ontariens ne sont pas plus vertueux, ouverts ou tolérants pour autant. Seulement, l’immigration leur a donné quelque chose plutôt que de leur enlever, a ajouté à leur réalité plutôt que d’y soustraire, comme c’est trop souvent perçu au Québec.
À l’instar de la France, le gouvernement a donc toute une campagne de sensibilisation à faire pour percer cette « carapace », pour amadouer les peurs et les appréhensions vis-à-vis de l’étranger. Si c’est possible de se faire servir une blanquette de veau avec un sourire à Paris, il doit bien être possible d’être Québécois sans froncer les sourcils face à l’Autre.
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