mardi 14 juin 2016

Orlando = Polytechnique

L'insistance de certains commentateurs de voir la main noire de l'islam derrière le massacre à Orlando (voir Joseph Facal dans le Journal de Montréal, 14 juin ) est incompréhensible à la lumière des dernières révélations: le tueur était vraisemblablement un homosexuel réprimé. En plus d'avoir été vu à plusieurs reprises dans le bar en question, on sait que'Omar Mateen fréquentait des réseaux sociaux gais.

Bien sûr, l'islam radical ne peut être radié complètement de l'équation puisque Matteen lui-même a voulu s'y associer. Mais c'était une manoeuvre désespérée de dernière minute afin de donner plus de tonus à son geste. Il s'est d'ailleurs allié à tous les organismes islamistes en vue, ne sachant plus à quel saint se vouer. Or, il est de plus en plus évident que la nature de son crime est celle que nous-mêmes connaissons, plutôt que les machinations diaboliques inspirées de Daesh. 

Le geste barbare d'abattre des gais parce qu'ils sont jeunes, gais et ont la vie devant eux ressemble à s'y méprendre au crime haineux commis par Marc Lépine contre les femmes à l'École Polytechnique de Montréal. D'ailleurs, la réaction de la communauté gaie aujourd'hui est exactement celle des femmes à l'époque : on ne pensait jamais qu'on pourrait en arriver là. Il y a un sentiment d'effroi qui tient au faite de se sentir ciblé en tant que groupe. De la part de quelqu'un, de surcroît, qui vit ici parmi nous. Qui fait partie de la même communauté, n'en déplaise à Donald Trump. Cette constatation, que la haine est parmi nous, est bien pire que de savoir que ISIS déteste et abat impunément femmes, gais et bons vivants. 


C'est facile, comme le démontre Donald Trump à tous les jours, d'accuser les méchants islamistes venus d'ailleurs. Plus difficile de voir en quoi ce crime dégouline d'américanité.

mercredi 8 juin 2016

Adieu aus zoos

Le zoo de Cincinnati n’avait guère le choix. Devant un gorille de 205 kilos, tirant un bambin de trois ans comme une catin, on n’hésite pas longtemps. On ne saura jamais si l’animal voulait protéger le petit intrus, comme il semblait vouloir le faire dans les premières minutes, ou, au contraire, l’abîmer. Devant les cris horrifiés de la foule, le gorille paraît de plus en plus agité, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais peu importe. La question n’est pas de savoir qui devrait porter la responsabilité de la mort de l’animal. La question est bien davantage de se demander si ces « jardins de merveille »n’ont pas fait leur temps.

Le zoo moderne est né en 1826 à Londres sous les auspices de la Société zoologique. Il s’agissait alors d’un lieu où les scientifiques pouvaient observer différentes espèces à leur guise. Mais des demandes répétées de gens voulant voir les animaux ont rapidement transformé les lieux en attrait touristique. Les zoos se répandent vers le milieu du siècle, au moment où on se découvre un appétit accru pour le colonialisme et l’exotisme en tout genre : de la femme à barbe aux Pygmées africains, en passant par le tigre du Bengale. C’est un geste de puissance et de richesse que d’exhiber des choses rares venues de loin. Se préoccuper des conditions de cet esclavage n’entre pas dans l’équation.

Les zoos aujourd’hui ont évidemment évolué. On délaisse les petites cages et les enclos miteux pour les grands espaces et les plans d’eau. On professe la conservation et la protection animale la main sur le coeur. On ne doute pas non plus du déchirement qu’a dû ressentir le gardien du zoo après avoir abattu le gorille, un compagnon de longue date. Mais peu importe le décor, ou les intentions, il s’agit toujours de quelque chose d’artificiel et, ultimement, de contestable : forcer des animaux à vivre l’anormale afin d’épater la galerie.

Rien n’illustre ce dilemme mieux que les pirouettes de baleines dans les parcs aquatiques, les dénommés Sea World, qu’on retrouve dans plusieurs grandes villes américaines et canadiennes. En 2010, la mort d’une entraîneuse à Orlando a fait couler beaucoup d’encre, en plus de susciter un film documentaire absolument bouleversant,Blackfish. Si vous voulez voir qu’est-ce que c’est que de passer de la liberté et l’insouciance de l’état sauvage à la contrainte et la psychose de l’enclos, regardez ce film (disponible sur Netflix).

Le film retrace le parcours de l’orque Tilikum, responsable de la mort de Dawn Brancheau à Orlando, mais également de deux autres entraîneurs, dont un à Vancouver où la vie captive de la baleine a débuté. Bien qu’on les surnomme les baleines tueuses, « on ne connaît pas d’incident agressif [envers les humains]impliquant des orques à l’état sauvage », dit un biologiste. D’ailleurs, les images des orques sautant et pirouettant dans leur enclos, portant l’entraîneur sur leur nez, ouvrant grande la gueule pour qu’il y passe la tête, sont du pur Disney, féeriques et innocentes à souhait. Jusqu’au jour où — et les images sont également au rendez-vous — Tilikum attrape le bras de son entraîneuse et la traîne au fond de la piscine, un geste punitif qu’il répétera à quelques reprises. Le monde de l’innocence vient de basculer. Dawn meurt « mutilée » et noyée après 10 minutes. Tout comme la scène où Marion Cotillard se fait bouffer les deux jambes par son Moby Dick à elle (De rouille et d’os de Jacques Audiard), c’est totalement horrifiant. « Erreur de l’entraîneuse », dira Sea World pour toute explication. Mais le film de Gabriela Cowperthwaite, une femme qui avait souvent fréquenté les parcs aquatiques avec ses enfants et voulait en avoir le coeur net, montre bien autre chose. On comprend que « toutes les baleines en captivité sont traumatisées » à partir du moment où elles sont arrachées de leurs mères — les baleines vivent en famille tissée serrée, on entendra une mère crier d’angoisse à la capture de ses petits — et mis en enclos pour le restant de leur vie,« l’équivalent d’être pris dans une baignoire pendant 25 ans ».

Harembe le gorille pouvait se compter chanceux : il bénéficiait d’un peu plus d’espace, en plus d’être né en captivité. Mais de là à prétendre qu’on agit pour le bien de l’animal, ou même pour la conservation de l’espèce, un instant. Mettre un animal en cage, le couper de son habitat naturel ne sera jamais rien d’autre que de la torture, mais qu’on égrène ici comme un chapelet, à petite dose et sans trop se rendre compte de ce qu’on fait.

mercredi 1 juin 2016

Ce qu'il reste de nous

C’est parti pour un nouveau round de « qui sommes-nous », « que voulons-nous » et « où allons-nous » grâce à la course à la chefferie du Parti québécois. Exercice qui fait toujours un peu peur mais qui n’est certainement pas superflu, notamment après l’exercice bâclé de la dernière fois, pour ne pas dire du dernier référendum.
 
Premier constat : celui qui a le plus à dire sur ces questions demeure toujours très impopulaire. Jean-François Lisée continue d’indisposer comme pas un. Toujours étonnant de constater combien quelqu’un qui a le mérite de voir clair — personne, c’est vrai, ne veut un référendum bientôt — se fait rabrouer. Ce n’est pas seulement une question de ton ou de nez en l’air. Au sein du PQ, il faut aussi qu’il y ait une peur de dire les choses comme elles sont, une impossibilité de voir la réalité en face, sans mentionner une capacité infinie d’interpréter les sondages à sa guise.
 
Deuxième constat : la social-démocratie est de nouveau à l’honneur au PQ. Tout le monde a le « bon gouvernement » quand ce n’est pas le « projet de pays » a la bouche. Seulement, on reste dans l’approximation. « Pour ce qui est de la social-démocratie, on est tous les quatre pas mal au même diapason », disait Martine Ouellet. Sans plus. Comme si tout ça allait de soi, comme si le PQ n’avait pas fait des beaux yeux au pétrole lors du dernier mandat, sans parler d’épouser le nationalisme identitaire de son ancien adversaire l’ADQ. (Et comme si le projet de constituante n’était pas une idée piquée à Québec solidaire.) L’ambiguïté, en d’autres mots, n’est pas seulement le problème de ceux toujours prêts à remettre le référendum à plus tard, il est le problème d’à peu près tous les candidats à l’heure actuelle.
 
Troisième constat : le problème de fond du PQ, celui qui, depuis 1980, le hante, le divise et le rend parfois un peu ridicule, ne pas savoir à quel « axe » se vouer, n’est plus la seule grande difficulté. Il y a une nouvelle embûche, d’ailleurs partagée avec l’ensemble du mouvement souverainiste aujourd’hui. La suivante : personne ne semble reconnaître que la raison profonde de l’indépendance a changé.
 
Quand les bombes se sont mises à exploser à Montréal à la fin des années 60, nous étions des Nègres blancs d’Amérique, des porteurs d’eau, nés pour un petit pain. Il fallait idéalement avoir un nom anglais pour réussir en affaires et des curés se mêlaient de la procréation des femmes. René Lévesque tenait tête aux Rhodésiens de Westmount et aux compagnies minières et forestières qui saccageaient l’Abitibi, promettant de « les civiliser ». Bref, la raison de faire l’indépendance était enracinée dans un siècle d’assujettissement et de désarroi. Ça coulait de source de la même façon que briser ses chaînes, pour n’importe quel animal normalement constitué, est un réflexe sain et nécessaire.
 
Mais cette mythologie, ce combat épique, n’a plus cours. Au pays de Maria Chapdelaine, à peu près tout a changé depuis 30 ans (à l’exception peut-être des compagnies de ressources naturelles qui font toujours à leur tête). René Lévesque et ses successeurs nous auront donné l’indépendance de corps et d’esprit, mais sans nous donner « le flag sur le hood ». N’ayant plus de dragon crachant du feu à abattre, on a droit régulièrement à des tactiques de diabolisation de Pierre Elliott Trudeau, du fédéral ou encore de la « pétrocratie canadienne ». La proposition cette semaine de tenir un référendum à double volet — indépendance ou « Canada renouvelé », faites vos choix — n’est autre chose que ce désir manichéen d’insuffler une nouvelle vie à l’ennemi de toujours, la méchante Ottawa, en l’obligeant à bouder une démarche qu’il récuse (le renouvellement constitutionnel) et donc, à cracher sur le drapeau québécois, forçant ainsi l’animal normalement constitué en nous à enfin voter « oui » !
 
Ça s’appelle se tortiller le derrière pour marcher droit. Il faut de toute urgence trouver mieux, la désaffection des jeunes au projet indépendantiste est là pour nous le rappeler.
Il faut redonner des proportions héroïques au combat en incluant évidemment tout le monde, pas seulement les tricotés serrés, mais aussi en en faisant un projet d’envergure internationale. De la même façon « qu’on ne peut pas faire la France dans un seul pays », comme dit le politicien français Jean-Luc Mélenchon, on ne peut pas faire l’indépendance à l’intérieur d’une seule province. Il faut inscrire la démarche à l’enseigne des grands enjeux planétaires. Autant le mouvement à ses origines était lové sur lui-même, circonscrit à une époque, à un endroit, à une population, autant il faut le faire éclater aujourd’hui et voir bien plus grand que soi.