Le zoo de Cincinnati n’avait guère le choix. Devant un gorille de 205 kilos, tirant un bambin de trois ans comme une catin, on n’hésite pas longtemps. On ne saura jamais si l’animal voulait protéger le petit intrus, comme il semblait vouloir le faire dans les premières minutes, ou, au contraire, l’abîmer. Devant les cris horrifiés de la foule,
le gorille paraît de plus en plus agité, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais peu importe. La question n’est pas de savoir qui devrait porter la responsabilité de la mort de l’animal. La question est bien davantage de se demander si ces
« jardins de merveille »n’ont pas fait leur temps.
Le zoo moderne est né en 1826 à Londres sous les auspices de la Société zoologique. Il s’agissait alors d’un lieu où les scientifiques pouvaient observer différentes espèces à leur guise. Mais des demandes répétées de gens voulant voir les animaux ont rapidement transformé les lieux en attrait touristique. Les zoos se répandent vers le milieu du siècle, au moment où on se découvre un appétit accru pour le colonialisme et l’exotisme en tout genre : de la femme à barbe aux Pygmées africains, en passant par le tigre du Bengale. C’est un geste de puissance et de richesse que d’exhiber des choses rares venues de loin. Se préoccuper des conditions de cet esclavage n’entre pas dans l’équation.
Les zoos aujourd’hui ont évidemment évolué. On délaisse les petites cages et les enclos miteux pour les grands espaces et les plans d’eau. On professe la conservation et la protection animale la main sur le coeur. On ne doute pas non plus du déchirement qu’a dû ressentir le gardien du zoo après avoir abattu le gorille, un compagnon de longue date. Mais peu importe le décor, ou les intentions, il s’agit toujours de quelque chose d’artificiel et, ultimement, de contestable : forcer des animaux à vivre l’anormale afin d’épater la galerie.
Rien n’illustre ce dilemme mieux que les pirouettes de baleines dans les parcs aquatiques, les dénommés Sea World, qu’on retrouve dans plusieurs grandes villes américaines et canadiennes. En 2010, la mort d’une entraîneuse à Orlando a fait couler beaucoup d’encre, en plus de susciter un film documentaire absolument bouleversant,
Blackfish. Si vous voulez voir qu’est-ce que c’est que de passer de la liberté et l’insouciance de l’état sauvage à la contrainte et la psychose de l’enclos, regardez ce film (
disponible sur Netflix).
Le film retrace le parcours de l’orque Tilikum, responsable de la mort de Dawn Brancheau à Orlando, mais également de deux autres entraîneurs, dont un à Vancouver où la vie captive de la baleine a débuté. Bien qu’on les surnomme les baleines tueuses, « on ne connaît pas d’incident agressif [envers les humains]impliquant des orques à l’état sauvage », dit un biologiste. D’ailleurs, les images des orques sautant et pirouettant dans leur enclos, portant l’entraîneur sur leur nez, ouvrant grande la gueule pour qu’il y passe la tête, sont du pur Disney, féeriques et innocentes à souhait. Jusqu’au jour où — et les images sont également au rendez-vous — Tilikum attrape le bras de son entraîneuse et la traîne au fond de la piscine, un geste punitif qu’il répétera à quelques reprises. Le monde de l’innocence vient de basculer. Dawn meurt « mutilée » et noyée après 10 minutes. Tout comme la scène où Marion Cotillard se fait bouffer les deux jambes par son Moby Dick à elle (De rouille et d’os de Jacques Audiard), c’est totalement horrifiant. « Erreur de l’entraîneuse », dira Sea World pour toute explication. Mais le film de Gabriela Cowperthwaite, une femme qui avait souvent fréquenté les parcs aquatiques avec ses enfants et voulait en avoir le coeur net, montre bien autre chose. On comprend que « toutes les baleines en captivité sont traumatisées » à partir du moment où elles sont arrachées de leurs mères — les baleines vivent en famille tissée serrée, on entendra une mère crier d’angoisse à la capture de ses petits — et mis en enclos pour le restant de leur vie,« l’équivalent d’être pris dans une baignoire pendant 25 ans ».
Harembe le gorille pouvait se compter chanceux : il bénéficiait d’un peu plus d’espace, en plus d’être né en captivité. Mais de là à prétendre qu’on agit pour le bien de l’animal, ou même pour la conservation de l’espèce, un instant. Mettre un animal en cage, le couper de son habitat naturel ne sera jamais rien d’autre que de la torture, mais qu’on égrène ici comme un chapelet, à petite dose et sans trop se rendre compte de ce qu’on fait.