Carmen est cette enfant thaïlandaise qui a vécu dans les limbes
pendant quinze mois en attendant que l’on décide qui, de la mère
porteuse ou du couple homosexuel, devait en hériter. Une histoire digne du roi Salomon, mais transposée dans l’ère du village global et de la haute technologie.
Comme dans l’Ancien Testament, les coeurs balancent à savoir laquelle
des deux parties est la plus méritante : Patidta Kusolsang, la femme
qui a porté l’enfant pendant neuf mois, mais qui aurait viré son capot
de bord en constatant que le couple n’était pas « normal » ;
ou alors les deux hommes, l’Américain Gordon Lake et l’Espagnol Manuel
Valero, légalement mariés et déjà parents d’un autre enfant in vitro,
né en Inde il y a deux ans ? Pour ajouter à l’imbroglio, M. Lake est le
père biologique (il a fourni le sperme,) alors que Mlle Kusolsang n’a
pas de lien génétique à sa progéniture (ce ne sont pas ses ovules). Le
sang thaïlandais de l’enfant ne fait par ailleurs aucun doute.
Bien que la couverture internationale ait été fort sympathique au
couple gai, la Thaïlande interdit depuis février dernier les services de
mères porteuses aux étrangers. Reconnu pour ses agences de procréation
assistée bon marché, le pays s’est vu forcé de restreindre la pratique
après avoir vécu deux histoires d’horreur : l’abandon d’un enfant
trisomique par un couple australien, qui a par ailleurs emmené avec lui
la jumelle parfaitement normale du bébé, et la procréation à gogo d’un
millionnaire japonais de 24 ans qui s’est payé 16 paternités en quelques
années.
Le suspense était donc à son comble le mardi 26 avril, lorsqu’un
tribunal de Bangkok jugea en faveur des deux hommes. En dépit de la
nouvelle loi et malgré le fait qu’une mère porteuse en Thaïlande, comme
au Québec d’ailleurs, est considérée comme la « mère légitime », Gordon Lake et Manuel Valero pourront donc enfin rentrer chez eux avec bébé Carmen.
La décision n’est pas sans faire frémir. D’abord, c’est la victoire
de la paternité sur la maternité et, peut-être surtout, des plus forts
sur les plus faibles. Dans un pays comme la Thaïlande, les services de
procréation assistée, sans grande protection pour les femmes qui s’y
adonnent, équivalent à un autre type de tourisme sexuel. Où qu’on la
pratique, la dénommée maternité pour autrui n’a rien de magnanime, mais
dans des conditions comme celles-là, elle ajoute l’exploitation du corps
des femmes à celle du tiers-monde. Deux pillages en un. Le fait qu’il
s’agisse de femmes pauvres dans des pays souvent miséreux ajoute à la
marchandisation de ce type de grossesse. Et pourtant, tout ce que nos
heureux papas trouvent à dire, c’est : « On veut simplement rentrer chez nous et vivre une petite vie de famille banale comme tout le monde. » Cette inconscience de la part de deux hommes, qui doivent pourtant connaître ça, la discrimination, laisse pantois.
L’histoire n’est pas sans rappeler celle de Joël Legendre (vous
savez, une de ces vedettes que les médias québécois nous donnent en
pâture constamment), qui connaît lui aussi la paternité grâce à une mère
porteuse, mais sans litige dans son cas. M. Legendre a beaucoup parlé
de la « grandeur d’âme » de sa formidable amie. Bien qu’au Québec, il soit interdit de payer une mère porteuse,
peut-on s’imaginer qu’une femme prête son ventre comme elle prêterait
sa batterie de cuisine ? Sans calcul, sans arrière-pensée, sans
conséquence pour elle-même ou pour l’enfant ? En d’autres mots, payée ou
pas, la mère porteuse commercialise la maternité en offrant un utérus
en location, en divorçant le fait d’être mère du fait de porter un
enfant, du jamais vu dans l’évolution humaine.
Il y a un parallèle à faire ici avec la commercialisation d’un autre
service sexuel essentiel, la prostitution, mais à mon sens, le phénomène
des mères porteuses est bien plus inquiétant encore. Car il disloque
l’acte fondateur de l’humanité, le fait de mettre au monde, en en
faisant une commodité qui peut s’acheter avec de belles paroles ou de
l’argent sonnant, c’est selon. Que l’évolution rapide des droits
homosexuels, dont il faut par ailleurs se réjouir, donne lieu à une
espèce d’impérialisme de la paternité est également troublant. Au nom de
quel principe un homme, gai de surcroît, peut-il revendiquer son droit
d’avoir un enfant avec une femme qui, elle, théoriquement, n’en veut
pas ? Car il y a là une autre grande dislocation : celle de l’entente
sexuelle et amoureuse à la base de la procréation.
Les hommes gais sont de plus en plus nombreux à vouloir des enfants ?
À la bonne heure ! Partout au monde, il y a des milliers d’enfants qui
ne demandent qu’à être adoptés.
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