Une ministre de la Condition féminine qui ne s’estime pas féministe ? Depuis la création du ministère en 1979, y a-t-il une responsable du dossier (mis à part René Lévesque, qui en a hérité curieusement en 1984-1985) qui s’est dissociée du féminisme ? C’est un peu comme un directeur du National Geographic qui ne croirait pas en la géographie, un membre de Greenpeace qui ne se dirait pas écologiste, un chef de mission olympique qui dédaignerait le sport, un oeuf qui ne croirait pas dans la poule… C’est que, sans féminisme, le Secrétariat à la condition féminine n’existerait tout simplement pas, et les chances sont fortes qu’il n’y aurait pas de ministre appelée Lise (Thériault) non plus.
Dans une entrevue accordée à La Presse canadienne cette semaine, la ministre Thériault, ne reculant devant aucune contradiction, s’est proclamée « beaucoup plus égalitaire que féministe ». Comme s’il y avait l’honneur d’un côté, et le déshonneur de l’autre. Pourtant, l’égalité est une idée parfaitement féministe. Avant que les femmes se mobilisent pour exiger les mêmes droits que les hommes, la notion d’égalité était vue comme une pure aberration. On peut mesurer l’étendue de ce sentiment par le nombre d’années qu’il a fallu avant que les femmes obtiennent le droit de vote au Québec : près d’un demi-siècle. Ni église, ni gouvernement, ni aucune autre idéologie ou institution ne peuvent réclamer la parenté du statut de la femme, hormis les femmes (en colère) elles-mêmes.
Madame Thériault aurait-elle donc peur d’être accusée d’être une virago, une lesbienne, une femme qui méprise les hommes ou, horreur, qui ne se rase pas les jambes ? Juste quand on pense avoir mis cette marmelade de côté, ce penser mou derrière soi, il vous rattrape quand vous vous y attendez le moins. Un peu comme les trois plaignantes lors du procès Ghomeshi récemment, prises elles aussi dans des contradictions grosses comme la maison, on a soudainement l’impression de reculer de quelques décennies. Imaginez, les femmes symbolisant enfin un ras-le-bol quant à l’agression sexuelle se seraient précipitées à nouveau dans les bras de l’homme qui les malmenait ! Dans le grand jeu de serpents et échelles qu’est la libération des femmes, on venait collectivement de glisser sur un boa constricteur. Cela dit, faire comme si de rien n’était, reprendre contact avec l’agresseur est assez conforme aux agissements de victimes de violences sexuelles règle générale. Question de minimiser ce qu’elles viennent de subir, disent les psychologues.
S’il y a une situation atténuante dans le cas des trois plaignantes, quelle excuse pourrait-on bien évoquer pour ce manque de solidarité de la part de la ministre de la Condition féminine ? Mis à part le néolibéralisme comme tel, cette philosophie édifiante du « yeah, let’s go, madame Chose ! » ce prêt-à-penser du culte de l’individu et de la déresponsabilisation gouvernementale, du privé plutôt que du public, de l’inconscience crasse de tout ce qui est venu avant, de l’indifférence généralisée quant à notre histoire, à notre culture, et aux combats de chaque instant qu’il a fallus pour se rendre jusqu’ici. Et les esprits malingres qui tendent vers ces idées ont le culot d’invoquer leur supposée indépendance d’esprit, leur haro sur le militantisme — je ne suis pas de la meute, moi, madame ! — comme preuve de leur pensée supérieure ?
Le gouvernement Couillard nous a d’ailleurs servi un autre magnifique exemple de cet apolitisme grossier à l’occasion de la commission des finances publiques, il y a un an. L’heure est aux coupes massives et la présidente de la Fédération des femmes, Alexa Conradi, tente d’expliquer au ministre des Finances, Carlos Leitão, comment les mesures d’austérité touchent les femmes tout particulièrement. Visiblement perplexe, le ministre interrompt la présentation : « Mais voyons, l’équilibre budgétaire est un outil neutre, technologique. Il ne vise pas les femmes. » Un ministre — des Finances de surcroît — qui ne comprend pas que couper des services force des femmes à ramasser derrière donne bien sûr envie de hurler.
Y a-t-il quelqu’un qui peut expliquer aux ministres du gouvernement Couillard comment fonctionne la société, voire toute organisation pyramidale ? Madame Thériault, on le sait, n’avait surtout pas besoin de montrer son incompétence à nouveau. Dans ce cas, c’est non seulement dommage pour elle, mais aussi pour toutes les femmes qu’elle est censée protéger.
À tous ceux et toutes celles qui croient encore que c’est en se tenant les coudes qu’on avance, bon 8 mars !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire