Luc Ferrandez ne sera pas maire de Montréal. L’annonce de son désistement à la tête de Projet Montréal déçoit tous ceux qui le voyaient aux commandes de la Ville, et ravit ceux qui se lèvent la nuit pour le maudire. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que le controversé maire du Plateau a décidé de jeter la serviette. « Je sais que nous faisons peur », dit-il, précisant qu’il valait mieux laisser la place à « quelqu’un qui n’a pas ce boulet ».
Le geste n’est pas sans magnanimité. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit un politicien ravaler ses propres ambitions pour le bien du parti. On sent aussi une certaine blessure chez celui qui incarne, pour le meilleur et pour le pire, la manière de vivre du Plateau. Même avec une bonne tête et une solide carapace, il est sans doute plus difficile qu’on le pense d’être sac de boxe à temps plein. On peut le comprendre de vouloir tourner la page. Mais tout en voulant servir son parti, et sans doute un peu lui-même, je me demande si Luc Ferrandez, en refusant d’affronter le « nouveau shérif en ville », ne dessert pas la gauche dont il est issu et qu’il a toujours très bien représentée.
Alors qu’on aimerait bien voir d’autres s’inspirer d’un tel geste de contrition (allo PKP ?…), Ferrandez tire sa révérence non pas parce qu’il peine à s’imposer comme chef de parti ni parce qu’il est en conflit d’intérêts ni encore parce qu’il manque de talents de communication ou d’efficacité. Plus encore que son prédécesseur Richard Bergeron, il a été fidèle à l’idée d’une ville plus écologique, plus culturelle, plus proche de l’entreprise humaine que de l’entreprise tout court. Ferrandez a beau passer pour un « radical », ses électeurs, eux, ont majoritairement applaudi ses initiatives en le réélisant avec une impressionnante majorité.
Il y a toujours quelque chose de rassurant à voir des politiciens demeurer fidèles à leurs principes. En cela, Luc Ferrandez ressemble à l’increvable sénateur du Vermont, Bernie Sanders, une autre « tête brûlée » (il n’hésite pas à se dire socialiste) qui indispose et impressionne à dose à peu près égale. Seulement, à 74 ans, l’ancien hippie et maire de Burlington a décidé, contre toute attente, de se présenter à la présidence contre Hillary Clinton. L’exact contraire du maire du Plateau, qui, pourtant beaucoup plus jeune, juge qu’il n’est pas l’homme pour affronter Denis Coderre aux élections municipales. Comme par hasard, les deux événements auront lieu à peu près en même temps en novembre 2017.
Bien sûr, Coderre comme Clinton sont des incontournables sur la scène politique. Vu leur longue feuille de route, leur organisation politique, leurs innombrables amis et leur indécrottable pragmatisme, ils prennent toute la place, campés solidement au centre tout en ne refusant pas les clins d’oeil à droite ou à gauche, ne reculant devant aucune poignée de main, aucun opportunisme pour se faire élire. Tous deux issus du centre gauche, ils font partie de cette malédiction qui s’est emparée de l’Occident depuis 30 ans — l’extrême centrisme — qui fait qu’on n’est jamais sûr de savoir qui l’on a devant soi tellement la gymnastique des valeurs est de rigueur (Denis Coderre, écologiste ?). C’est ainsi que le Parti travailliste de Tony Blair prône la guerre en Irak, le Parti socialiste de François Hollande, la guerre en Syrie, le Parti québécois, la charte des valeurs et la recherche du pétrole en plein Saint-Laurent, et le NPD, l’équilibre budgétaire coûte que coûte. Dans un autre grand retournement de veste, le parti de Philippe Couillard, lui, après avoir coupé dans les écoles, les garderies, l’aide sociale et tous les établissements de santé, prêche aujourd’hui la compassion et s’émeut des chevreuils à Anticosti.
Mise à part la bouillie pour les chats que cette obsession du centre crée, politiquement, elle condamne la gauche, la vraie, à vivoter dans les marges. On est tous tellement convaincus aujourd’hui qu’il faut être du « juste milieu » — surtout ne pas exagérer, ne pas faire peur — qu’on écoute à peine, même sachant souvent qu’ils ont raison, ceux qui prônent un réel changement. Jusqu’au jour où un homme, le dos voûté, les cheveux en broussaille, vient rappeler que le compromis flirte souvent avec la compromission, qu’à force de dire une chose et son contraire on ne sait plus trop qui l’on est et où l’on va. Le phénomène Bernie Sanders, c’est le refus de parler des deux côtés de la bouche et le désaveu magistral du culte de l’argent (et de ceux qui en possèdent) comme solution à tous nos problèmes. Surtout, l’incroyable ascension de Bernie nous rappelle qu’en politique, les meilleurs se font trop rares et les médiocres restent trop longtemps.
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