Un « accord historique » qui annonce une ère nouvelle. Une entente « sans dents », incapable d’atteindre ses objectifs. Aux lendemains du protocole de Paris, les avis pleuvent et ne se ressemblent pas. L’homme qui a été le premier à avertir des changements climatiques, au siècle dernier, l’astronome et physicien James Hansen, est pour sa part tombé sur l’entente à bras raccourcis. « C’est de la fraude intellectuelle, des mots qui ne veulent rien dire. » Selon lui, le monde va continuer d’exploiter les énergies fossiles comme si de rien n’était.
La capacité de se réjouir ou, au contraire, de maudire l’entente survenue à la treizième heure, samedi dernier, dépend beaucoup du regard que l’on pose. Car cette conférence visait en fait deux grands objectifs : l’environnement, bien sûr, mais également le grand bal de la diplomatie internationale. Dans ce cas, c’est assurément mission accomplie. Vu la manipulation, la mauvaise foi et le désintérêt qui ont marqué les conférences de Kyoto (1997) et de Copenhague (2009), c’est tout un exploit, quelques années plus tard, d’asseoir 195 pays à une même table et leur faire signer, dans une relative bonne humeur, une entente commune. Cela fait 500 ans, après tout, que le monde fonctionne selon le principe de l’intérêt-national-avant-tout, l’idée même derrière l’État moderne. À cet égard, Paris marque un tournant dans notre capacité de se tenir mondialement main dans la main.
Certains commentateurs ont d’ailleurs fait un parallèle entre l’entente du Bourget et la signature de la Déclaration universelle des droits de la personne en 1948. À ce moment, il s’agissait seulement « d’une liste de souhaits concernant la dignité humaine ». Mais, peu à peu, les principes ont été incorporés dans des traités nationaux et internationaux, en plus de servir de base à la Cour pénale internationale. Aujourd’hui, tous les pays qui se respectent ont adopté une charte des droits de la personne. Selon l’historien américain Juan Cole, « il ne faut pas minimiser la persuasion morale de ce type d’entente internationale ».
Dans la colonne des « pour », il faut également ajouter la reconnaissance de l’urgence climatique. L’impact de ce grand rassemblement de scientifiques, d’environnementalistes et de politiciens, tous penchés — sous une tour Eiffel affichant« No Plan B » — sur le problème de l’heure, n’est pas à négliger non plus.
Mais Paris marquera-t-il vraiment le début d’un temps nouveau ? « Dans le fouillis chaud et détrempé qu’est ce monde à la fin de 2015, écrit l’écologiste et blogueur Bill McKibben, le pacte de Paris ressemble à une entente conçue pour 1995, lors de la toute première conférence des Nations unies sur le climat. » En termes strictement environnementaux, en d’autres mots, cette entente rate la cible de beaucoup. À juger des engagements des 195 participants, nous nous dirigeons non pas vers un réchauffement maximum de 2 °C, mais plutôt de 3,5 °C (au-dessus des températures préindustrielles). Si un réchauffement de deux degrés ne nous sauvait pas de la catastrophe — fonte des glaces, hausse du niveau des mers, inondations, ouragans… —, que dire de près du double ?
L’euphorie qui a souligné la signature du protocole de Paris cadre mal, James Hansen a raison là-dessus, avec ce qui nous pend toujours au bout du nez. Et que dire de la déconnexion entre le discours de nos dirigeants à Paris et ce qu’ils disent et font à la maison ? Aux dernières nouvelles, aucun des grands projets d’oléoducs n’a été définitivement remis en question. À quand la cohérence ? À quand des engagements à la hauteur de la tâche qui nous incombe ? Pour citer François Hollande à l’ouverture du sommet, « c’est le sort de l’humanité qui est aujourd’hui à l’ordre du jour ».
Comme le soulignent de nombreux écologistes, la seule façon d’honorer les cibles qui ont été établies à Paris, d’accorder les voeux pieux de ces jamborees internationaux avec des actions concrètes, c’est de taxer chaque tonne de CO2. Le marché du carbone dont se targuent le Québec et l’Ontario n’est pas suffisant. Il s’agit là d’un incitatif à plafonner les émissions, mais pas à les réduire. Il faut aller plus loin, tourner la vis aux gros émetteurs de gaz à effet de serre. Leur offrir une porte de sortie en pouvant s’acheter ou s’échanger des crédits, comme le fait actuellement le marché du carbone, c’est l’équivalent de s’acheter des indulgences pour aller au ciel.
En 1950, il était impensable de poursuivre des compagnies de tabac pour dommages causés à la santé. Aujourd’hui, dit Juan Cole, c’est monnaie courante. Le protocole de Paris annonce un virage semblable quant aux énergies polluantes. Seulement, après des décennies à siffler dans le cimetière, le temps se fait court.
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