Isabelle Gaston n’est pas la seule à avoir lancé « un yes étouffé » à la déclaration de culpabilité de son ex-conjoint, dimanche dernier. Tous ceux pour qui l’acquittement de Guy Turcotte était resté en travers de la gorge ont dû secrètement battre des mains. L’homme au regard vissé au plancher a tué ses jeunes enfants à coups de couteau, rappelons-le, 46 coups au total, les écoutant gémir, protester, les voyant se débattre, sans jamais interrompre son sombre complot. Et on voudrait nous faire croire que cet homme aimait ses enfants ? Disons que la vengeance pour Turcotte est un plat qui se mangeait chaud et que cette vengeance, vis-à-vis de son ex, Isabelle Gaston, dépassait tout autre sentiment qu’il pouvait ressentir. Visiblement, l’homme a été incapable de se faire à lui-même ce qu’il a si facilement fait à ses enfants. On est donc rassuré de voir que le pleutre qui se cachait sous son lit à l’arrivée des policiers écope enfin de ce qu’il mérite.
Le jugement tombant quelques jours à peine après un autre renversement de verdict notoire, celui du champion paralympique Oscar Pistorius, finalement condamné pour le meurtre de sa conjointe, les femmes ont dû être particulièrement nombreuses à se réjouir, ces derniers jours. Étant donné qu’il coïncide, en plus, avec le 26e anniversaire de la tuerie de Polytechnique — où on notait non seulement la présence de femmes autochtones, mais aussi celle, encore plus rare, d’un premier ministre — et l’annonce de l’enquête tant attendue sur la disparition et le meurtre d’Amérindiennes, on serait tenté de croire à un alignement des astres pour ce qui est de la violence faite aux femmes. Le mépris n’aura qu’un temps, comme on voulait bien le croire dans le temps.
Dans le cas de Guy Turcotte tout comme celui de Pistorius, on a beaucoup parlé des erreurs judiciaires qui ont permis l’acquittement du premier, et une sentence bien légère pour le deuxième. Tant mieux si nos systèmes judiciaires, incluant l’utilisation d’experts un brin mercenaires, en ressortent quelque peu contrits, prêts aux réformes qui s’imposent. Mais ce qui n’a pas encore été relevé c’est le préjugé favorable dont jouissaient le cardiologue de Saint-Jérôme et l’athlète de Johannesburg. Le fait qu’il s’agisse ici d’hommes blancs « puissants », jouissant d’une certaine notoriété ou statut social, explique, tout autant que les erreurs d’interprétation des deux juges, leur exonération initiale.
Ce passe-droit crève particulièrement les yeux dans le cas du dénommé Blade Runner, puisque la juge du premier procès a tout simplement ignoré la preuve circonstancielle : la violente dispute qui aurait eu lieu entre Pistorius et sa fiancée, le fait que celui-ci savait non seulement qu’il y avait quelqu’un enfermé dans le cubicule de toilette, mais que, en tirant, il l’atteindrait nécessairement. Pistorius a toujours plaidé la « légitime défense » face à un supposé intrus et la juge a tout simplement entériné sa version des faits. Grossière erreur, dit aujourd’hui la Cour d’appel sud-africaine. Mais qu’est-ce qui explique cette erreur, sinon une facilité de donner le bon Dieu sans confession à ceux qui sont perçus comme quelque peu intouchables ?
Pour ce qui est de Turcotte, même s’il est clair que l’homme ne souffrait pas d’aliénation mentale quelques heures même avant de commettre l’irréparable (il a décommandé un rendez-vous pour le lendemain, parlé à sa mère, fait des recherches sur Internet…), le juge de première instance « aurait donné des instructions susceptibles d’induire le jury à conclure que l’intimé ne pouvait pas être tenu criminellement responsable de ses actes ». Le juge Marc David a notamment demandé au jury de ne pas tenir compte de l’opinion d’un psychiatre sur le (bon) état mental de l’accusé et n’a pas averti ceux-ci de faire la distinction « entre les effets des troubles mentaux et l’intoxication ». Ça s’appelle un préjugé favorable gros comme le banc de la Reine entre deux hommes de la même classe, deux « ayants droit » de la société. Rappelons que Luka Magnotta, un homme clairement plus dérangé que Guy Turcotte, souffrant de schizophrénie paranoïaque depuis l’adolescence, a été condamné pour meurtre prémédité malgré une défense d’aliénation mentale. Mais Magnotta est aussi homosexuel, acteur porno et petit délinquant ayant déjà fait de la prison. Pas exactement la même paire de manches.
Alors, oui, indignons-nous de ces experts qui, pour les besoins de la défense, voient un cancer là où il y a un rhume de cerveau. Mais indignons-nous bien davantage du fait que, en cour, femmes et enfants font trop souvent les frais de ces préjugés favorables vis-à-vis d’hommes de pouvoir. Qu’est-ce que le Barreau a l’intention de faire là-dessus ?
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