mercredi 25 novembre 2015

Les raisins de la peur

L'arrivée imminente de réfugiés syriens ne comprendra pas, apprenait-on cette semaine, d'hommes seuls. Espérons que le grand nombre de Québécois nerveux à l'idée d'accueillir
ces exilés respireront maintenant par le nez. Dans l'univers suprêmement macho des djihadistes, seuls les hommes peuvent manier la kalachnikov, la ceinture d'explosifs, la machette, et j'en passe. Ça pourrait toujours changer mais disons que l'assaut contre le "cerveau" des attentats de Paris, mercredi dernier, risque plutôt de renforcer cette hiérarchie masculine. Car c'est à cause d'une femme si la police à pu retracer l'un des hommes les plus recherchés d'Europe, Abdelhamid Abaaoud. Le cellulaire de Hasna Aitboulahcen, cousine du présumé chef des opérations, aurait indiqué où ils se cachaient. On parle d'elle désormais comme le "maillon faible". On peut seulement imaginer ce que les dirigeants d'ISIS disent, eux, à son sujet.

Deuxième raison d'ouvrir les bras sans trop de chichis : tous les attentats revendiqués à ce jour par l'État islamique ont été réalisés par des citoyens européens, indiens, africains, canadiens. Ce ne sont pas les nouveaux arrivants qui se mettent à courir dans les rues le poignard entre les dents, en d'autres mots. Ce sont les enfants d'immigrants, nés en terre d'accueil, en apparence bien intégrés, qui sont bien plus susceptibles de révolte. Ce n'est pas maintenant qu'il faudrait s'inquiéter mais bien dans 15 ou 20 ans, alors que la deuxième génération sera sur le point de prendre son envol. Ou pas. Comme explique Doug Saunders du Globe and Mail*, la question du siècle, surtout à la lumière des derniers attentats, concerne l'intégration des immigrants dans les pays occidentaux.

"Pourquoi la plupart des communautés immigrantes réussissent-elles très bien à s'adapter alors que quelques unes sombrent dans une dangereuse marginalité? Pourquoi Molenbeek [d'où proviennent les djihadistes du 13 novembre] alors que de l'autre côté du canal à Cureghem on trouve nombreux Congolais, Turcs, Bosniaques et Marocains qui réussissent très bien?, demande le journaliste qui a participé à une étude internationale, initiative de la Banque mondiale, sur la question d'intégration.

Les clés du succès résident dans la capacité des immigrants de se retrouver entre eux, dans un premier temps, mais, rapidement, d'avoir les mêmes opportunités que les citoyens de souche -- ce qui a largement fait défaut à Molenbeek. Le quartier bruxellois mal famé a ses origines dans une entente de 1964 entre le roi du Maroc, heureux de se défaire de milliers de ses "sujets problématiques", des Berbères, parmi les plus pauvres mais aussi révoltés du pays, et la Belgique qui cherchait de la main d'oeuvre bon marché pour ses usines d'après guerre.  Lorsque celles-ci ont fermé dans les années 70 les Marocains ont été laissés à eux-mêmes, dans un quartier "négligé, sans métro ni formation professionnelle ni même de pont pour traverser le canal". Empêchés d'emblée d'intégrer le marché du travail régulier ou d'avoir accès aux généreux programmes d'assurance-emploi, les Marocains de Belgique sont rapidement devenus des parias.

"Les endroits où les réfugiés réussissent sont ceux où il n'y a pas de restriction sur leur capacité de travailler, d'étudier et d'investir dans leur communauté. Il n'y a pas de sécurité plus grande que celle de mener une vie normale", écrit Doug Saunders.

Voilà la troisième raison de ne pas s'inquiéter outre mesure de l'arrivée des réfugiés syriens. Le Canada et le Québec s'approchent bien davantage de ce modèle d'ouverture que du parcours de Molenbeek où l'aliénation est monnaie courante. Tout n'est pas parfait, loin de là, mais à venir jusqu'à maintenant l'attitude vis-à-vis l'immigration a été généralement plus positive et l'accès à la propriété, aux transports, aux écoles multiculturelles, à la création de petites et moyennes entreprises et, surtout, l'accès à la citoyenneté, plus faciles. Le modèle est sûrement perfectible mais, au moins, il existe et ceci depuis longtemps.

Le plus gros obstacle aujourd'hui réside dans la montagne de préjugés qui perdure à l'égard des réfugiées, notamment musulmans. Quand se sont les politiciens eux-mêmes qui proposent d'isoler les nouveaux arrivants, il y a raison de s'inquiéter de plus belle. Que ce soit en leur enlevant le droit de vote et le travail dans la fonction publique (PQ) ou en leur montrant carrément la porte (CAQ), faute de ne pas parler suffisamment français, il s'agit exactement de ce qu'il ne faut pas faire. Rien ne menace davantage l'intégration, et par conséquent la sécurité publique, dit l'étude de la Banque mondiale, que l'incapacité d'être vu comme un citoyen à part entière.



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