Chaque famille en cultive, tout en prétendant le contraire, et le Québec, souvent comparé à une « grande famille », ne fait pas exception. Le Québec entretient lui aussi ses chouchous, comme nous le rappelle le gouvernement Couillard en offrant à l’un de ces rejetons surdoués, Bombardier inc., un cadeau de plus d’un milliard de dollars.
Peu importe que la progéniture en question soit dans une mauvaise passe, endettée et en perte de vitesse, poursuivie par la Ville de Toronto pour avoir failli à ses obligations (livraison de nouveaux tramways), incapable de vendre sa dernière création aéronautique sur les marchés internationaux, bref, peu importe la gestion visiblement défaillante de l’entreprise, le Québec « ne laissera jamais tomber Bombardier », nous dit-on, dans un accès d’amour parental.
Soit. L’aéronautique est au Québec ce que l’automobile est à l’Ontario. Les milliers d’emplois à Montréal et ailleurs dans le monde, les milliards d’investissements préalables, la réputation du Québec à l’étranger. Tout bien noté. Il est normal que le gouvernement veuille tendre la perche à Bombardier, je ne dis pas le contraire. Mais, comme dirait Brel, il y a la manière. L’empressement et le peu de questions posées par le gouvernement Couillard, l’absence de la Caisse de dépôt dans ce nouveau partenariat, le contrôle qui demeure dans les mains de Bombardier malgré sa mauvaise gestion, l’investissement massif dans une aventure qui va presque certainement perdre de l’argent, la forte probabilité qu’Ottawa n’emboîte pas le pas…
Pour ne rien dire du « facteur de risque » qui en un claquement de doigts a été prestement transféré sur vos épaules, chers contribuables, alors qu’on peine à payer pour nos écoles, nos hôpitaux, nos services publics, nos « vraies affaires » à nous. De ce côté-là, pas d’attendrissement, pas de tapotage dans le dos, alors que le supposé premier de classe, lui, tout en privant le fisc québécois de 500 millions par année par des combines légales, mais non moins immorales au Luxembourg, se fait bercer dans les bras de maman.
Ça s’appelle des passe-droits et c’est franchement difficile à avaler. Il y a d’ailleurs d’autres exemples de traitement de faveur inconvenant au Québec. Le créateur du défunt La La La Human Steps (LLLHS), Édouard Lock, en est un. Bien que la culture ne reçoive pas, règle générale, sa juste part de recettes gouvernementales, Lock est non seulement une exception, il est le Bombardier de la scène culturelle tant sa gestion laisse à désirer. Comment une organisation de danse qui a reçu plus d’un million de dollars par an depuis au moins 10 ans peut-elle soudainement déclarer faillite ? Ce sont des productions qui, bien sûr, coûtent cher. Je ne remets pas du tout en question le coût de tels spectacles ni le besoin de tourner partout dans le monde. Je remets en question la culture du « tout m’est dû » qu’on retrouve chez Bombardier et qui a visiblement mené à la perte de LLLHS. Aussi, l’aveuglement un peu gaga devant les prétendus fleurons de la couronne, cette façon de continuellement leur donner le Bon Dieu sans confession.
Selon des révélations dans La Presse, Édouard Lock a perdu la majorité de ses administrateurs au cours des 15 dernières années en refusant de suivre leurs conseils budgétaires. « Il ne faut pas restreindre mes dépenses de création », leur disait-il. Le directeur artistique de LLLHS, en plus d’accumuler des dépenses personnelles« totalement injustifiées », s’était aussi fabriqué un petit abri fiscal personnel en ne déclarant pas les droits d’auteur qu’il se versait à chaque représentation, ce qui doublait son salaire à 200 000 $ par année. Au bout du compte, LLLHS s’est retrouvé avec une dette de plus d’un demi-million sans que les grands bailleurs de fonds (principalement le Conseil des arts du Québec, suivi de ceux du Canada et de Montréal) y prêtent attention ou remettent leurs largesses en question.
On pourrait en nommer bien d’autres (je vous laisse dresser votre petite liste personnelle) qui se font choyer indûment. Encore une fois, je ne conteste ni les grands talents ni l’expertise en jeu ici. Je conteste le « deux poids, deux mesures » qui en donne trop à certains et pas assez à d’autres, souvent tout aussi méritants. Et puis, en famille ou en société, on en a marre des enfants gâtés qui se croient tout permis, du simple fait d’exister.
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