L'arrivée imminente de réfugiés syriens ne
comprendra pas, apprenait-on cette semaine, d'hommes seuls. Espérons que le
grand nombre de Québécois nerveux à l'idée d'accueillir
ces exilés respireront maintenant par le
nez. Dans l'univers suprêmement macho des djihadistes, seuls les hommes peuvent
manier la kalachnikov, la ceinture d'explosifs, la machette, et j'en passe. Ça
pourrait toujours changer mais disons que l'assaut contre le "cerveau"
des attentats de Paris, mercredi dernier, risque plutôt de renforcer cette hiérarchie
masculine. Car c'est à cause d'une femme si la police à pu retracer l'un des
hommes les plus recherchés d'Europe, Abdelhamid Abaaoud. Le cellulaire de Hasna
Aitboulahcen, cousine du présumé chef des opérations, aurait indiqué où ils se
cachaient. On parle d'elle désormais comme le "maillon faible". On
peut seulement imaginer ce que les dirigeants d'ISIS disent, eux, à son sujet.
Deuxième raison d'ouvrir les bras sans trop
de chichis : tous les attentats revendiqués à ce jour par l'État islamique ont
été réalisés par des citoyens européens, indiens, africains, canadiens. Ce ne
sont pas les nouveaux arrivants qui se mettent à courir dans les rues le
poignard entre les dents, en d'autres mots. Ce sont les enfants d'immigrants, nés
en terre d'accueil, en apparence bien intégrés, qui sont bien plus susceptibles
de révolte. Ce n'est pas maintenant qu'il faudrait s'inquiéter mais bien dans
15 ou 20 ans, alors que la deuxième génération sera sur le point de prendre son
envol. Ou pas. Comme explique Doug Saunders du Globe and Mail*, la question du
siècle, surtout à la lumière des derniers attentats, concerne l'intégration des
immigrants dans les pays occidentaux.
"Pourquoi
la plupart des communautés immigrantes réussissent-elles très bien à s'adapter
alors que quelques unes sombrent dans une dangereuse marginalité? Pourquoi
Molenbeek [d'où proviennent les djihadistes du 13 novembre] alors que de l'autre côté du canal à
Cureghem on trouve nombreux Congolais, Turcs, Bosniaques et Marocains qui
réussissent très bien?, demande le journaliste qui a participé à une étude
internationale, initiative de la Banque mondiale, sur la question
d'intégration.
Les clés du succès résident dans la capacité
des immigrants de se retrouver entre eux, dans un premier temps, mais,
rapidement, d'avoir les mêmes opportunités que les citoyens de souche -- ce qui
a largement fait défaut à Molenbeek. Le quartier bruxellois mal famé a ses
origines dans une entente de 1964 entre le roi du Maroc, heureux de se défaire
de milliers de ses "sujets problématiques", des Berbères, parmi les
plus pauvres mais aussi révoltés du pays, et la Belgique qui cherchait de la
main d'oeuvre bon marché pour ses usines d'après guerre. Lorsque celles-ci ont fermé dans les
années 70 les Marocains ont été laissés à eux-mêmes, dans un quartier "négligé, sans métro ni formation professionnelle
ni même de pont pour traverser le canal". Empêchés d'emblée d'intégrer
le marché du travail régulier ou d'avoir accès aux généreux programmes
d'assurance-emploi, les Marocains de Belgique sont rapidement devenus des
parias.
"Les
endroits où les réfugiés réussissent sont ceux où il n'y a pas de restriction sur
leur capacité de travailler, d'étudier et d'investir dans leur communauté. Il
n'y a pas de sécurité plus grande que celle de mener une vie normale",
écrit Doug Saunders.
Voilà la troisième raison de ne pas
s'inquiéter outre mesure de l'arrivée des réfugiés syriens. Le Canada et le
Québec s'approchent bien davantage de ce modèle d'ouverture que du parcours de
Molenbeek où l'aliénation est monnaie courante. Tout n'est pas parfait, loin de
là, mais à venir jusqu'à maintenant l'attitude vis-à-vis l'immigration a été
généralement plus positive et l'accès à la propriété, aux transports, aux
écoles multiculturelles, à la création de petites et moyennes entreprises et,
surtout, l'accès à la citoyenneté, plus faciles. Le modèle est sûrement
perfectible mais, au moins, il existe et ceci depuis longtemps.
Le plus gros obstacle aujourd'hui réside
dans la montagne de préjugés qui perdure à l'égard des réfugiées, notamment
musulmans. Quand se sont les politiciens eux-mêmes qui proposent d'isoler les
nouveaux arrivants, il y a raison de s'inquiéter de plus belle. Que ce soit en
leur enlevant le droit de vote et le travail dans la fonction publique (PQ) ou
en leur montrant carrément la porte (CAQ), faute de ne pas parler suffisamment
français, il s'agit exactement de ce qu'il ne faut pas faire. Rien ne menace
davantage l'intégration, et par conséquent la sécurité publique, dit l'étude de
la Banque mondiale, que l'incapacité d'être vu comme un citoyen à part entière.