Comment décririez-vous un employeur qui insiste continuellement pour vous masser les épaules ? Vous coince entre le classeur et la photocopieuse chaque fois qu’il peut ? Prend votre main et la pose négligemment sur sa cuisse, mine de rien, lorsque vous partagez un taxi ensemble ? Ou, tiens, vous accueille en sous-vêtement après vous avoir convoquée d’urgence dans son bureau ?
Un malade mental ? Un macho ? Un barbare ?
Je le demande, car notre grand défenseur des femmes, l’actuel PM Stephen Harper, veut instaurer une ligne téléphonique réservée au signalement de « pratiques culturelles barbares ». Pour des raisons strictement électoralistes, bien entendu, mais pourquoi ne pas le prendre au mot ? Si chaque femme victime de harcèlement sexuel appelait pour signaler les irrépressibles mononcles de ce bas monde, il y aurait peut-être de quoi justifier une ligne téléphonique en bonne et due forme.
Diverses études américaines évaluent qu’entre 35 % et 45 % des femmes sur le marché du travail sont victimes de harcèlement sexuel. Selon une enquête Angus Reid de 2014, 43 % des femmes au Canada et au Québec auraient vécu ce type d’agression. Mais seulement entre 10 % et 20 % le dénoncent, faisant du harcèlement sexuel le délit le moins rapporté. Et pour cause. « Le fait de porter plainte crée souvent plus de stress que le harcèlement lui-même », selon la professeure de droit spécialisée en la matière Louise Langevin.
Tout ça pour dire que Marcel Aubut vient de rendre un autre grand service au pays. Il vient de dépoussiérer la question du harcèlement sexuel et la remettre au grand jour. Il vient de nous rappeler que les mononcles sont, sinon partout, loin d’être disparus et qu’il faut se lever de bonne heure, malgré l’article 10.1 de la Charte des droits et libertés et la Loi sur les normes du travail, si on a la témérité de revendiquer ses droits.
Certains vont trouver que l’homme qui a tant fait pour le hockey et le mouvement olympique le paye trop cher. Disons qu’accueillir son adjointe en caleçon ne constitue pas seulement une manière colorée de s’adresser à la « gent féminine », une spécialité de l’ex-président du Comité olympique canadien, c’est de l’abus de pouvoir pur et simple. Et le COC, qui était au courant des agissements de son entreprenant président (et combien d’autres ?) n’a que lui-même à blâmer dans cette triste affaire.
Marcel Aubut nous rend le même service, en fait, que l’ex-animateur de radio Jian Ghomeshi à pareille date l’année dernière. Il lève le voile sur une zone immensément grise, sur cette Terre de Baffin des rapports hommes-femmes où ce qui est enthousiasmant et sexy pour les uns est soudainement inquiétant pour les autres, unno man’s land d’où il est difficile de s’extirper sans créer plus de problèmes qu’on a déjà et où les hommes perpétuent un vieux rapport de force sans même s’en rendre compte et les femmes endurent avec le même automatisme.
Merci, Marcel. Car ça fait plus de 10 ans que le harcèlement sexuel a disparu du radar au Québec. « Il n’y a plus de cause de harcèlement sexuel, plus de jurisprudences, plus d’écrits et même les groupes de femmes n’en parlent plus », dit Louise Langevin. Au Québec, la notion de harcèlement sexuel est régie depuis 2004 par la Loi sur les normes du travail sous l’appellation globale de « harcèlement psychologique ». Ce qui veut dire qu’un phénomène qui tient du vieux rapport hiérarchique entre les hommes et les femmes est désormais noyé dans une mer de conflits individuels, opposant deux employés ou encore, employeur et subalterne. Des conflits où l’on retrouve aussi des rapports de force, mais sans la connotation « systémique » du harcèlement sexuel.
Il y a bien sûr certains avantages à confier le harcèlement que vivent les femmes à la Commission de la santé et sécurité au travail, plutôt que, comme par le passé, à la Commission des droits de la personne. C’est plus rapide, c’est gratuit et l’accent est mis sur la médiation, c’est-à-dire sur la réintégration de la victime dans son milieu de travail et/ou à son dédommagement. Seulement, tout se fait en catimini, loin des tribunaux et des médias. Ce qui est certes plus facile pour les individus concernés mais dessert la collectivité en blanchissant les coupables et occultant les causes. Jadis vu comme une « atteinte au droit à l’égalité », le harcèlement sexuel est aujourd’hui perçu comme un simple « problème de relations de travail ». « On n’est pas sûres d’avoir gagné au change », dit la présidente du Groupe d’aide sur le harcèlement au travail, Yolande Séguin.
Merci donc à Marcel Aubut de nous aider à y voir plus clair, et aux femmes qui ont eu le courage de le montrer du doigt.
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