« Appelez-moi Caitlyn », titrait récemment le magazine Vanity Fair sous la photo de la transsexuelle Caitlyn Jenner. La photo de celle que tout le monde appelait jusqu’à récemment Bruce (déjà célèbre pour ses exploits de décathlonien olympique en 1976 et, plus récemment, comme vedette d’une télé-réalité américaine) a fait le tour de monde. Posant en bustier très chic, longue chevelure auburn balayant des épaules dénudées, le regard en coin, elle ressemblait à une starlette des années 40 se moquant des conventions vestimentaires. Caitlyn (alias Bruce) devenait sur-le-champ le porte-étendard de la cause transgenre.
Il y a des sujets qui illustrent mieux que d’autres l’époque dans laquelle on vit — le trou dans la couche d’ozone, la chirurgie à distance —, et la transsexualité est un de ceux-là. Qui aurait pensé, il y a 25 ans, qu’on envisagerait d’ajouter une case « autre » aux formulaires demandant le sexe d’une personne ? La notion selon laquelle l’espèce humaine ne se réduit pas à deux genres imperméables, immuables — féminin ou masculin —, qu’il peut y avoir des variations sur le thème, est un signe de l’évolution de notre espèce. On ne naît pas femme, écrivait Simone de Beauvoir, on le devient. Et personne ne l’aura mieux illustré que Caitlyn Jenner elle-même.
L’identité sexuelle est une chose immensément complexe, que nous commençons seulement à comprendre. On ne peut qu’imaginer les souffrances de ceux et celles qui se sont retrouvés dans « le mauvais corps » toute leur vie. Les suicides sont d’ailleurs là pour en témoigner : environ un tiers des personnes transgenres tentent de s’enlever la vie. Le nombre croissant de chirurgies de réattribution sexuelle est aussi révélateur: au Québec seulement, on compte 108 réassignations sexuelles depuis 2010. Qui envisagerait une transformation aussi radicale, irréversible, sans qu’il s’agisse d’une question de vie ou de mort, un puissant impératif psychologique, moral aussi, puisqu’il s’agit, pour la grande majorité, de cesser de vivre « un mensonge ».
Caitlyn Jenner, elle, n’a pas subi à ce jour la « grande opération » (l’ablation du pénis), mais elle s’est soumise à toutes sortes d’interventions chirurgicales : la trachée « rasée », le nez refait, une opération de dix heures de féminisation du visage, des implants mammaires, l’épilation permanente du poil, en plus de la prise d’hormones. Pas exactement une partie de plaisir chez l’esthéticienne. Au bout de ce calvaire, la nouvelle effigie de la transformation sexuelle avoue s’être exclamée : « Mais que me suis-je donc fait ? »
Je poserais la question différemment : quel effet ce genre de transformation a-t-il sur l’image des femmes en général ? À quoi sert-il, en d’autres mots, de changer de sexe si c’est pour colporter les pires stéréotypes ? Personnellement, j’ai un peu de difficulté à voir un homme de 65 ans soudainement transformé en jeune allumeuse. Pas vous ? Ce n’est pas un aspect qui est beaucoup discuté chez les transgenres, et ce n’est certainement pas le cas de tous, mais pourquoi applaudir à une pareille caricature ? Quand il n’est pas conçu pour faire rire — le cas des drag-queens, par exemple —, il y a toujours quelque chose d’un peu insultant dans le travestisme.
Encore une fois, je ne remets pas en question la possibilité de vivre son identité sexuelle différemment. Mais les personnes concernées semblent ignorer dans quoi elles s’embarquent. La transformation homme vers femme (H/F), plutôt que son contraire (F/H), est trois fois plus fréquente aujourd’hui, notamment parce que la reconstruction génitale d’un vagin est plus facile. Mais aussi, on le devine, parce que l’image glamour de la femme sans cesse véhiculée agit comme une espèce d’appel de la sirène. En même temps, les hommes qui se transforment en femmes sont surpris de ne plus être traités comme avant. « Au travail, on ne me demandait plus mon avis », dit aujourd’hui une transgenre. Bien que la discrimination envers ces derniers puisse être en cause, le traitement souvent inégal réservé aux femmes ne semble jamais avoir été envisagé par les candidats à la réassignation sexuelle. Il serait temps de l’inclure dans l’équation ! Bien qu’il s’agisse d’une décision éminemment personnelle, l’identité sexuelle n’est pas seulement individuelle, elle est aussi collective.
Plus que jamais aujourd’hui, on repousse nos frontières, on tente d’aller « là où aucun homme n’est encore jamais allé ». Mais comme vous le dirait le capitaine Kirk lui-même, il y a un prix à payer à défoncer les étoiles. Il se peut qu’on aille trop loin.
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