La semaine dernière, au Sommet des Amériques sur le climat, Philippe Couillard proclamait fièrement « le début de la fin de l’ère des hydrocarbures ». Cette semaine, le premier ministre québécois et ses homologues canadiens s’apprêtent à signer une entente qui accélérerait les quatre grands projets d’oléoducs canadiens tout en minimisant la lutte contre les changements climatiques.
Moins encore que le ridicule, la contradiction ne tue pas, en politique énergétique notamment.
Le document confidentiel étayant une nouvelle stratégie énergétique doit être rendu public mercredi, lors de la rencontre des premiers ministres à St. John’s. Une initiative de l’ex-leader albertaine Alison Redford, le plan vise, entre autres, à planifier l’expansion des sables bitumeux tout en tenant compte des préoccupations environnementales. Seulement, selon le journaliste du Globe and Mail qui a obtenu le document, on met ici le paquet sur les pipelines (Kinder Morgan, Northern Gateway, Keystone XL et Énergie Est), tout en tournant les coins ronds sur la défense de l’environnement. Conçu en 2012, le plan « engage les provinces et territoires à bâtir davantage d’oléoducs » en voulant alléger notamment les processus réglementaires. On reconnaît ici une certaine influence harperienne, le PM canadien s’accommodant assez mal de la lourdeur administrative qui accompagne une régulation digne de ce nom.
Pourtant, bras dessus, bras dessous avec sa vis-à-vis ontarienne, Kathleen Wynne, M. Couillard s’est engagé, ainsi que les autres participants au Sommet sur le climat, à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % d’ici 2050 (par rapport à 1990). Or, tous les experts le disent : la réduction substantielle de gaz nocifs, nécessaire à contenir le réchauffement climatique à deux degrés Celsius, ne peut se faire en développant les sables bitumineux, particulièrement néfastes à l’environnement. Les quatre projets de pipelines sur la table concernent tous la distribution du pétrole albertain.
Comment donc expliquer cette fâcheuse tendance de parler des « deux côtés de la bouche » ? M. Couillard fournissait un élément de réponse lors du Sommet en parlant de nouvelles technologies. « On ne quittera pas l’âge des hydrocarbures parce qu’on va manquer de pétrole, on va le quitter parce qu’on aura inventé de nouvelles technologies et qu’on aura trouvé de nouvelles sources d’énergie. » En d’autres mots, restez comme vous êtes, ne changez pas vos habitudes, nous allons bientôt trouver la solution miracle qui nous permettra de respirer par le nez. En attendant, en avant les barils de pétrole ! Jusqu’à 1,1 million de barils par jour en ce qui concerne le plus viable et le moins contesté des quatre projets sur la table, Énergie Est, et le seul à parcourir le Québec.
Le problème avec ce type de pensée magique c’est qu’elle encourage trop peu l’énergie renouvelable, tout en maintenant le cap sur les énergies fossiles. Les chiffres sont d’ailleurs assez éloquents à cet égard : 7 % seulement des besoins énergétiques de la planète sont actuellement fournis par des énergies alternatives (solaires, éoliennes, ou autres) et 93 % par des énergies non renouvelables (pétrole, gaz, charbon, nucléaire). Le virage vers le développement durable se fait de peine et de misère, notamment à cause de cette frilosité des politiciens pour qui les élections, encore aujourd’hui, se gagnent à coups d’asphaltage de routes et de gros projets énergétiques. À la réunion du G20 l’année dernière, les pays membres ont annoncé un investissement de pas moins de 70 billions (trillion) de dollars en infrastructures (routes, ports, installations énergétiques…) d’ici 15 ans, le double de ce qui existe actuellement sur la planète.
À ce titre, le Québec peut toujours prétendre avoir les mains propres, en pointant notamment son marché du carbone. Depuis janvier 2015, nos entreprises sont priées d’aller fumer sur le balcon : elles doivent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre en payant environ 15 $ la tonne émise. Guère dissuasif, à mon avis, comme d’ailleurs fumer sur le balcon, l’initiative est quand même un pas dans la bonne direction. On ne peut en dire autant des forages prévus en Gaspésie, sur Anticosti et dans la vallée du Saint-Laurent, pour ne rien dire du méga-oléoduc devant traverser le Québec et pour lequel tous les leaders politiques fédéralistes, comme d’ailleurs M. Couillard, semblent trop bien disposés.
Le temps pourtant presse. Pour ce qui est de stopper l’innommable, empêcher la destruction irréversible de l’environnement, « ce que nous ferons au cours des 10 prochaines années, avertit l’océanographe Sylvia Fraser, est plus important que ce que l’humanité fera pour les 10 000 années subséquentes ».
Avis aux intéressés.
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