On n’arrête pas le progrès. La liste d’applications mobiles conçues pour rendre le consommateur heureux, et les commerçants en joual vert, vient des’allonger. Après Airbnb et Uber, en train de révolutionner les industries du logement et du taxi, voici Rover, la réponse à vos angoisses de stationnement.
Lancée la semaine dernière à Toronto, l’application permet à un conducteur de se stationner dans une allée de garage, ou autres espaces privés, au prix avantageux de 2 $/h — ce qui donne une petite idée des coûts faramineux de stationnement là-bas. Trente pour cent du montant doivent ensuite être partagés entre les concepteurs et les propriétaires de terrain. Le promoteur Tim Wootton espère lancer l’application « coast to coast » d’ici la fin de l’année.
Réaction à Toronto ? « Il va falloir accepter le fait que la technologie déboule, dit le maire John Tory, elle n’attend pas que les gouvernements la rattrapent ». Bonne indication que « l’économie de partage » a beau faire des mécontents, contrevient souvent aux règlements municipaux, elle n’est pas sur le point de disparaître. La Ville Reine offre d’ailleurs un autre exemple du dernier cri en matière de transport. On songe actuellement à transformer les voies conçues pour le covoiturage lors des Jeux panaméricains en voies payantes. Les véhicules transportant trois personnes ou plus y auraient toujours droit, mais aussi le conducteur solo prêt à payer pour le privilège d’aller vite. Si vous avez de la difficulté à suivre, vous n’êtes pas les seuls. Le plan reviendrait à encourager simultanément le transport collectif et la privatisation des routes. Bienvenue au meilleur des mondes.
Ce dernier exemple illustre parfaitement la contradiction idéologique qui est au coeur du phénomène de l’heure, l’économie de partage. Curieuse convergence entre la contre-culture et la cyberculture, l’idée de « démocratiser » des services publics a vu le jour à San Francisco, l’endroit même qui a vu fleurir les communes et les hippiesquelques décennies auparavant. Les enfants du peace and love ont été les premiers à vouloir partager la terre, les ressources, et jusqu’à leurs partenaires sexuels, dans l’esprit de bâtir un « monde meilleur ».
Aujourd’hui, c’est au tour des géants de Silicon Valley de se dévouer à la cause du communautarisme. Dans un monde de plus en plus complexe, éparpillé, impersonnel, où personne ne se regarde dans les yeux en voyageant dans le même wagon de métro, les Mark Zuckerberg de ce monde ont vite fait de jouer les entremetteurs. Le créateur de Facebook ne se voit d’ailleurs pas comme un simple (et richissime) entrepreneur.« De plus en plus de gens aujourd’hui veulent des entreprises qui croient en autre chose que le profit », dit-il. La lettre publiée en 2004 par les fondateurs de Google, Larry Page et Sergei Brin, professait le même dédain pour le capitalisme pur et dur et promettait de ne pas faire de « mal ».
Comme les hippies d’antan, explique Ira Basen dans un documentaire radio fascinant (The Valley of the Kings), les « cybergeeks » d’aujourd’hui veulent améliorer le monde dans lequel on vit. Comme les adeptes de la contre-culture, ils sont souvent de fervents libertariens. « Ils ne veulent pas que les politiciens ou les gouvernements leur disent quoi faire ». La crise financière de 2008 a augmenté le penchant à compter sur ses propres moyens plutôt que sur les services commerciaux d’usage. Airbnb et Uber sont tous deux nés à San Francisco à peu près à ce moment-là. Depuis, on ne compte plus le nombre d’applications conçues pour « l’esprit libre » voulant se faciliter la vie.
Prenez Lyft, créé à San Francisco en 2012 et opérant aujourd’hui dans 65 villes américaines. L’application vous met en contact avec un bon samaritain prêt à vous « donner un lift ». C’est Uber, mais en moins formel ; il ne s’agit pas de chauffeurs de taxi amateurs, mais de gens qui se déplacent pour leurs propres raisons et qui rentabilisent leur trajet. Pour sa part, la compagnie se vante d’utiliser « la technologie pour rassembler plutôt qu’isoler les gens ». À l’instar de Jean Coutu, elle promet la« découverte de nouveaux amis tous les jours ». C’est de la bouillie pour les chats, évidemment, mais qui a le mérite de convaincre les investisseurs d’y mettre leur argent (plus de 300 millions pour Lyft).
Le capitalisme n’a jamais eu si bonne presse depuis qu’il a trouvé le génie de se draper dans l’utopisme des années 70. On n’arrête pas le progrès. La propagande non plus.
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