La Montréalaise Jaela Bernstien est la dernière victime d’une mode qui a assez duré. Il s’agit du commentaire obscène, toujours le même (« Fuck her right in the pussy »), lancé à des femmes journalistes en pleine rue. Journaliste à CBC Montréal, Mme Bernstien menait un vox pop sur la mort de Jacques Parizeau, vendredi dernier, quand des hommes lui crièrent le fameux « FHRITP ». Inspirée par la réaction d’une collègue torontoise, Shauna Hunt, quelques semaines plus tôt, la jeune femme tourna ensuite sa caméra sur ses assaillants. « Vous vous trouvez drôles, je suppose. » Disant faire du « commentaire », nos jeunes Wisigoths ripostèrent en lançant : « Tu ne connais pas la blague ? »
Dernière coutume sortie des profondeurs abyssales des réseaux sociaux, ladite farce fait sensation depuis qu’un vidéaste américain, John Cain, a lancé un canular en janvier 2014. Prétendant être un reporter de Fox News, Cain simule une conversation, vraisemblablement avec son cameraman, où il confie vouloir sauter une jeune femme disparue. « Peut-être c’est ce que je vais faire quand ils vont la trouver, je vais la fourrer. Drette dans la chatte ! » dit-il.
Publiée sur YouTube sous la rubrique « reporter congédié après commentaires en direct sur femme disparue », la vidéo s’est répandue comme une traînée de poudre, appuyée quelques mois plus tard d’une deuxième vidéo où un homme, plus âgé cette fois, arrache le micro à une femme journaliste et crie « FHRITP » à la caméra. Le dénommé Fred a répété l’exploit de nombreuses fois et est vu par certains aujourd’hui comme un « artiste Internet » et un maître de la subversion. Des tasses et des t-shirts à l’effigie de l’homme à la moustache grise, sous-titrés « FHRITP », sont disponibles sur le site de John Cain et FHRITP.com. Et des douzaines d’exemples de journalistes — hommes et femmes mais à majorité des femmes — au Canada, aux États-Unis et ailleurs, se faisant bousculer et coiffer du célèbre juron, pullulent sur les réseaux sociaux.
On peut toujours dire qu’il ne s’agit pas vraiment de sexisme. Qu’il s’agit d’ados attardés, d’une mauvaise blague, de vandalisme en direct, de la revanche des réseaux sociaux sur les médias traditionnels, ou même, de journalisme « citoyen » sur l’état du monde. À la suite du congédiement d’un employé d’Hydro One à Toronto, pris en flagrant délit dans l’altercation concernant Shauna Hunt (« tu devrais te compter chanceuse qu’on t’ait pas planté un vibrateur dans l’oreille », lui dit-il), beaucoup se sont d’ailleurs offusqués de sanctions aussi sévères. « Au Canada, il y en a qui se font virer à cause de FHRITP ! » twittent les fans, comme si le sens de l’humour et du « cool » étaient décidément morts dans les steppes nordiques.
Mais, comme dit une femme journaliste interviewée à la CBC, ce genre de blague« n’arrive pas par hasard ». Une étude britannique (Demos, 2014) démontre d’ailleurs que les femmes sont davantage soumises à de l’intimidation, aux menaces et au langage haineux que les hommes sur Internet. « Des comptes aux noms de femmes ont reçu en moyenne 100 messages menaçants ou sexuellement explicites par jour alors que les noms d’hommes n’en récoltaient que 3,7. » Les hommes connus, par contre, sont plus susceptibles de recevoir des messages négatifs que leurs vis-à-vis féminines, sauf dans une catégorie : les femmes journalistes. « Je n’ai jamais connu un moment dans ma carrière où les obscénités ne faisaient pas partie de mon travail », dira une autre panéliste à CBC. « Ça commence souvent par des choses assez anodines comme “ marie-moi ”, jusqu’au jour où vous avez un gars qui tente de vous embrasser directement en ondes. » Ou encore, qui vous crie « je vais te sodomiser, ça va être ta fête ! » dira une quatrième journaliste en pleurs.
Et si les femmes journalistes sont particulièrement ciblées, c’est aussi la « fête » pour les femmes dans les forces armées, comme nous le rappelle le rapport « accablant »de l’ex-juge Marie Deschamps, ainsi que des femmes en politique. La députée néodémocrate Megan Leslie, lors d’une conférence à l’Institut Broadbent en avril, divulguait la panoplie de commentaires parfois haineux, souvent sexuels, toujours abusifs que reçoivent les femmes parlementaires, tous partis confondus. Tout se passe comme si les femmes qui osent s’aventurer du côté du pouvoir avec un grand P ne demandaient qu’à être remises à leur place.
L’allusion au viol, loin d’être anodine, est ici l’arme par excellence. C’est comme si on criait à un homme noir dans la rue « pendez-le à un arbre ! », une expression qui rappelle les conditions exactes d’une oppression pas si lointaine. Les Wisigoths de ce monde devront trouver mieux s’ils s’entêtent à nous faire rire.
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