« La souveraineté n’est ni à droite ni à gauche, elle doit se faire, point à la ligne. »
La phrase se voulait rassembleuse, un rappel de la coalition qui sous-tend le Parti québécois, et une réaffirmation du lauréat de « faire du Québec un pays ! » Mais cette phrase, utilisée de plus en plus comme un slogan péquiste, contient le ver qui ronge le parti depuis maintenant plus de 10 ans. Plus encore que la déconfiture précoce d’un Jean-François Lisée, le manque d’argent d’un Pierre Céré ou le mauvais score d’une Martine Ouellet, la phrase est la preuve du problème criant de la gauche au sein du parti, maintenant que la droite prend officiellement les devants.
D’abord, une telle affirmation est presque toujours utilisée par ceux qui n’apprécient guère les remises en question, les conservateurs parmi nous. Au moment où le mouvement des femmes prenait son envol, combien de fois a-t-on entendu : « Nous ne sommes pas des hommes et des femmes, nous sommes tous des êtres humains ! » Les Noirs ont eu droit à la même poutine lors de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Et jusqu’à Jean Chrétien qui nous servait, lors du référendum de 1980, sa version maison : « Nous ne sommes pas des francophones ou des anglophones, nous sommes tous des Canadiens. »
Appelons ça le triomphe de l’irréfléchi, pour reprendre une expression de John Maynard Keynes (The Triumph of the Unthinking). Une manière de taire de légitimes revendications en étalant une supposée grandeur d’âme. De grâce, laissons de côté ces basses considérations (droite, gauche, hommes, femmes…) pour se concentrer sur le transcendant, l’universel et, dans le cas qui nous occupe, l’indépendance du Québec. Il n’y a pas plus ratoureux que ce type de raisonnement, mais bon, ça marche chaque fois. Devant des souverainistes qui ont terriblement besoin de croire que l’envol est imminent, c’est du bonbon.
Plus que jamais, le mouvement indépendantiste est composé de « deux formations », rappelait un jeune décrocheur de la souveraineté à la radio cette semaine. D’un côté, ceux qui n’ont d’yeux que pour l’os de l’indépendance (j’entends encore Pierre Falardeau traiter Françoise David de « mère Teresa » parce qu’elle osait invoquer un « projet de société »), les pragmatiques, disons, de plus en plus majoritaires, et ceux qui, comme Françoise, veulent de la chair sur l’os et qui ne croient pas suffisant de savoir où l’on s’en va, ils veulent savoir aussi dans quel véhicule on s’embarque. Appelons-les les idéalistes, en perte de vitesse. Beaucoup des 70 000 membres qui ont quitté le PQ depuis 2007 appartiennent, on s’imagine, à cette dernière catégorie.
L’ascension vertigineuse de PKP au sein du parti a eu comme effet de souligner à gros traits le problème d’ambiguïté en ce qui concerne la souveraineté. Mais cette ambiguïté a aussi déteint sur le fonds de commerce, si on peut dire. À force de tergiverser sur l’article 1, on en est venu à branler dans le manche par rapport à la social-démocratie. Cette tendance à parler des « deux côtés de la bouche » s’est surtout illustrée sous Pauline Marois, une femme pourtant responsable de réformes législatives très progressistes. Bien davantage que le déficit zéro de Lucien Bouchard, le virage pétrolier puis, surtout, identitaire du PQ en 2014, le « mépris des droits fondamentaux », pour reprendre les termes du jeune décrocheur de tantôt, ont sapé les fondements sociaux-démocrates du parti. Une telle trahison — car c’est bel et bien de cette façon que la gauche engagée l’a vécue — ne se raccommode pas à coups de phrases creuses, comme celle citée en ouverture.
S’il est vrai qu’il y a toujours eu une droite et une gauche au PQ, elles ne sont pas interchangeables, encore moins équivalentes, pour autant. La naissance, l’essor et l’évolution du parti sont tous attribuables à la gauche, pas à la droite. Les Jacques Brassard et Guy Chevrette de ce monde ont essentiellement été tenus dans les coins pour ne pas trop embarrasser (dans tous les sens du mot) le parti. Avec l’élection de PKP à la tête du PQ, l’ordre des choses vient d’être inversé.
On peut toujours prétendre que celui qui incarnait le mieux le néolibéralisme encore récemment, l’héritier de Québecor, Pierre Karl Péladeau, peut maintenant, sans s’étouffer, pourfendre le néolibéralisme et se dire progressiste. Qu’une telle mutation quasi instantanée est toujours possible. On peut toujours. Mais pas sans cracher sur la valeur des mots, sur celle des idées et sur les mouvements qui ont mis des années, voire des générations à défendre autre chose que le monde des affaires et le bling blingdu vedettariat culturel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire