Peut-on s’imaginer huit minutes plus interminables ? Une fin plus
atroce ? L’avion qui pique dangereusement du nez et le pilote qui crie
pour entrer dans la cabine… L’horreur consommée.
Depuis l’écrasement du vol 9525,
on cherche désespérément une explication. Rien ne paraît plus aberrant,
d’ailleurs, que cet acte démoniaque au sein d’une des compagnies
aériennes les mieux cotées au monde, Lufthansa, et d’un pays,
l’Allemagne, connu pour son bon fonctionnement et son civisme. Si au
moins Andreas Lubitz, le responsable présumé de cette hécatombe
aérienne, s’était révélé djihadiste, comme beaucoup l’ont sûrement
pensé, on saurait au moins où attribuer le blâme. Mais non. Il n’y a que
les antécédents dépressifs du copilote qui indiquent que tout ne
tournait pas rond dans sa tête.
Mais depuis quand des idées suicidaires impliquent-elles le meurtre
de 149 autres personnes ? Interviewée par Paul Arcand, la présidente de
l’Association des psychiatres du Québec, Karine Igartua, a rejeté
l’hypothèse du suicide. « La personne qui veut s’enlever la vie n’est pas quelqu’un qui a une rage, qui veut tuer, explique-t-elle. C’est quelqu’unqui veut se faire disparaître elle-même, qui se voit comme un fardeau. »
Et si ce massacre était le dernier modèle du meurtre de masse en
version surclassée ? L’hypothèse ne semble pas avoir été encore évoquée,
peut-être parce que le phénomène du tueur de masse est de plus en plus
associé aux fusillades impromptues à l’américaine. Pourtant, Andreas
Lubitz a tout ce qu’il faut pour appartenir à ce club sélect.
La majorité des meurtriers de masse sont des hommes (94,4 %), blancs
(62,9 %), âgés de 20 à 29 ans (43,3 %). Ils sont célibataires ou
divorcés pour la plupart et viennent généralement de subir une perte
reliée à l’emploi ou à leur vie personnelle. Ils connaissent rarement
leurs victimes, mais celles-ci ont à leurs yeux une signification
particulière. Leur motivation paraît incompréhensible, mais ces tueurs
nourrissent des griefs ou des frustrations, réels ou imaginés, qui les
poussent à se venger et à s’immortaliser aux yeux du public.
« Un jour, je ferai quelque chose qui va changer le système et alors tout le monde se souviendra de mon nom »,
avait-il confié à une agente de bord qu’il avait fréquentée l’année
dernière. Lubitz ne croyait pas pouvoir réaliser son rêve de devenir
pilote de vols internationaux et devenait, dit la jeune femme, « très agité en parlant du travail ». Au moment du drame, l’homme de 28 ans venait d’être laissé par une autre femme, son amour de jeunesse, à qui il était fiancé.
Autre aspect qui relie le copilote sanguinaire aux meurtriers de
masse : ses problèmes de santé mentale étaient du type très répandu,
donc difficilement repérable. De la même façon que Marc Lépine a passé
une heure innocemment assis dans le bureau du registraire avant
d’entamer sa cavalcade meurtrière, Lubitz a passé les 20 premières
minutes du vol « à discuter amicalement » avec
le pilote de l’avion. Rien du fou furieux. Comme Lépine, il a ensuite
fait preuve d’un sang-froid et d’un détachement inimaginables (il
respirait normalement, selon les indications de la boîte noire) en
exécutant son plan d’enfer.
Là où Andreas Lubitz vient brouiller les cartes, par contre, c’est
qu’il vient d’élever ce type de crime dans l’échelle sociale. Jusqu’à
maintenant, on a eu tendance à voir les auteurs de ces meurtres comme
des « losers », de tristes cowboys qui cherchent la célébrité coûte que
coûte. Les pilotes d’avion ne sont pas considérés comme de pauvres
types, loin de là. Comme si la misère humaine devenait aujourd’hui si
répandue qu’elle sautait les barrières socio-économiques d’usage.
La chose qui m’a toujours fascinée chez ces justiciers narcissiques,
c’est leur détermination à tuer de parfaits innocents. Comment en
arrive-t-on là ? « Dans leur tête, ils sont déjà morts », disent les experts. C’est donc dire que les zombies existent et que, plus souvent qu’on le croit, ils vivent parmi nous.
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