Serait-ce au tour d’une femme de diriger le pays le plus puissant du monde ? Le moment serait-il enfin venu pour Hillary Rodham Clinton qui, en plus d’avoir mangé ses croûtes, cumulé les fonctions, visité 112 pays en quatre ans, enduré les écarts libidineux de son mari, tempéré son quant-à-soi et, bien sûr, accumulé beaucoup d’argent, est fin prête pour défoncer « l’ultime plafond de verre » ?
Rien n’est moins sûr, mais restez à l’antenne, tout peut encore arriver. Mis à part la difficulté de succéder à deux mandats démocrates (du jamais vu), il y a le problème, non pas tant d’une candidature féminine, c’est au contraire aujourd’hui un atout, mais de la femme elle-même.
Comme l’a révélé la dernière campagne présidentielle, le « monde libre » semble disposé à élire une femme à sa tête. Seulement, pas à n’importe quelle condition. Les femmes ont suffisamment évolué pour être choisies aujourd’hui selon leurs mérites, pas seulement pour la valeur du symbole. En 2008, face à la vision, la stratégie (2.0, notamment) et l’élégance d’un Barack Obama, Hillary Clinton ne faisait tout simplement pas le poids. Bien que l’un comme l’autre représentaient un bouleversement important de l’ordre établi, l’homme noir et son vigoureux « Yes, we can » l’a finalement emporté, avec raison, sur la femme blanche et son condescendant« Let the conversation begin » (Que la conversation commence).
Tout ça pour dire qu’Hillary Clinton me fait beaucoup souffrir. Une part de moi voudrait absolument qu’elle réussisse. C’est quand même insensé, 50 ans après la révolution féministe, que les femmes soient toujours à attendre leur tour aux postes de commande. Le dénouement se fait terriblement attendre, d’autant plus que Mme Clinton n’est pas la première femme à se présenter aux présidentielles. Cent quarante-trois ans plus tôt, Victoria Woodhull, une femme que l’Histoire n’a guère retenue, a osé jeter son chapeau dans l’arène. Non seulement la représentante de l’Equal Rights Party n’avait-elle que 34 ans à l’époque, en 1872, les femmes n’avaient même pas encore le droit de vote ! C’est vous dire l’audace.
Une Hillary Clinton avant l’heure, avec un front de boeuf et une confiance quasi surnaturelle dans ses propres habiletés, venant d’un milieu très modeste, elle aussi, Victoria obtint, évidemment, peu de succès. Perçue comme une illuminée, elle fut même incarcérée le jour du vote pour cause d’obscénité, après avoir pointé l’adultère d’un ministre protestant dans le journal qu’elle publiait avec sa soeur, le Woodhull Chaitlin’s Weekly. L’hebdo détient aussi l’insigne honneur d’avoir été le premier à diffuser le manifeste communiste de Karl Marx aux États-Unis.
Que de chemin parcouru ! Contrairement à Victoria Woodhull, aucune candidature neparaît plus sérieuse ni plus compétente aujourd’hui que celle de l’ex-secrétaire d’État. Mais pourquoi diable est-ce si difficile d’aimer Hillary Clinton ? Pourquoi a-t-on si souvent l’impression, devant les pionnières d’aujourd’hui, d’avoir affaire avec une ambition dévorante plutôt qu’une véritable proposition de changement ? Pourquoi a-t-on encore l’impression, malgré un ton adouci et une vidéo extraordinairement bien faite, qu’Hillary est dans la course pour ses raisons à elle, et un peu aussi pour Bill, son mari, bien davantage que pour les Américains « ordinaires » qu’elle dit vouloir défendre ?
Je pose ces questions sachant très bien que je me rends ici coupable du double standard que subissent les femmes en politique. On semble trouver l’ambition dévorante d’un Jeb Bush, ou encore d’un Pierre Karl Péladeau, parfaitement normale. Mais les femmes étant encore une denrée rare dans la stratosphère politique, il me semble inévitable qu’on ait des exigences plus hautes à leur égard. On a besoin de penser qu’elles représentent ce qu’il y a de mieux. Sinon, à quoi bon défoncer le plafond de verre ?
La récente controverse concernant Hillary Clinton, l’utilisation de courriels personnels durant tout son mandat comme secrétaire d’État, n’a fait que ressasser les pires appréhensions à son égard. Il y a ici un manque de transparence, un goût suspicieux pour le secret, qui est assez décourageant. Il est toujours difficile, de plus, de savoir où loge l’ex-première dame. Souvenons-nous que lors de la dernière course présidentielle, Mme Clinton soutenait la guerre en Irak de George W. Bush, choix assez irréconciliable avec l’idéologie progressiste dont elle se targue.
Vous voyez un peu le dilemme ? La candidature d’Hillary Clinton incarne le progrès et l’ouverture, alors que la candidate elle-même a parfois tendance à leur tourner le dos.
Pas facile d’être une femme aujourd’hui.
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