Appelons ça une mauvaise blague de l’Histoire : le slogan qui a aidé à
faire tomber le mur de Berlin, en 1989, sert aujourd’hui à en
construire de nouveaux. Les mêmes mots qui ont fait reculer la Stasi
devant les demandes de liberté des Allemands de l’Est, « Wir sind das volk ! » (Nous
sommes le peuple !) sont aujourd’hui repris par les Patriotes contre
l’islamisation de l’Occident (Pegida), en Allemagne, mais aussi partout
où essaiment ces nationalistes purs et durs. C’est d’ailleurs au tour
des patriotes antimusulmans du Québec de jeter leur chapeau dans
l’arène. Prétendant défendre « l’héritage laissé par nos ancêtres »,
PEGIDA Québec s’apprête à parler au nom du peuple lors d’une première
manifestation prévue dans les rues du Petit Maghreb, à Montréal, samedi
prochain.
Ce détournement de sens indique l’énorme fossé entre hier et
aujourd’hui. En 25 ans, on est passé de revendications pour plus de
libertés et de diversité, à moins de libertés et de diversité, de
l’idéalisme d’un « monde meilleur » au culte des « vraies affaires », de
François Mitterand à Marine Le Pen et de Jacques Parizeau à Philippe
Couillard. Partout, on observe un bras de fer idéologique entre la
gauche (« pelleteux de nuages ») qui s’agrippe et la droite (« pas de
temps à perdre ») qui s’impose. Après l’altercation Grèce-Allemagne, nos
propres étudiants offrent le meilleur exemple de ces nouvelles
tranchées idéologiques.
Plus encore qu’au printemps 2012, le nouveau conflit opposant ceux
qui veulent changer les règles du jeu, appelons-le les collectivistes, à
ceux qui veulent « juste étudier », les individualistes, est à couper
au couteau. Aujourd’hui, les carrés verts sont mieux organisés,
fourbissant de nouvelles manoeuvres judiciaires, alors que les carrés
rouges, eux, marchent sur des oeufs, souffrant les sarcasmes des
commentateurs et les sanctions policières. À quoi il faut ajouter les
sanctions de la nouvelle direction de l’UQAM qui, visiblement, a pris un
virage à droite elle aussi. La suspension à brûle-pourpoint et pour des
raisons mal expliquées de neuf étudiants, dont une qui siège au conseil
d’administration et au conseil exécutif, indique que l’administration a
l’intention de jouer dur.
C’est mal parti pour le « mouvement social » que les étudiants
grévistes voudraient voir éclore dans les rues du Québec. Mais le
scepticisme et le ridicule qui, signes des temps, interpellent le
mouvement étudiant aujourd’hui en sont tout aussi responsables que les
failles de l’organisation elle-même. Oui, il se peut que le mouvement
embraye un peu vite, que le leadership étudiant n’ait pas tout à fait la
même pogne qu’il y a deux ans, qu’il y ait toujours quelques
têtes fortes dans le lot. Tous les groupes militants ont leurs fauteurs
de trouble, leurs fanatiques du combat, mais la présence de quelques
radicaux ne discrédite pas tout un mouvement pour autant. Sinon, Gaétan
Barrette, le Gengis Kahn du corps médical, aurait terni à tout jamais la
Fédération des médecins spécialistes qu’il a présidée pendant de
nombreuses années.
Les deux cibles du nouveau militantisme étudiant sont pourtant tout
ce qu’il y a de plus légitime : l’austérité préconisée par le
gouvernement Couillard a des effets délétères sur l’éducation, la
culture et jusqu’aux couches de bébés ! Le fait que ce gouvernement
envisage, entre autres, de taxer les livres est un immense scandale qui
mériterait une mobilisation monstre. Mais qui se lève, sauf les
étudiants ? Idem pour l’exploitation des hydrocarbures qu’ils ont dans
leur mire. Pendant que le gouvernement coupe les vivres aux femmes —
60 % des emplois dans la fonction publique sont détenus par elles —, il
ouvre des chantiers partout dans la province qui vont surtout employer
des hommes, tout en dégradant davantage l’environnement. Comment ne pas
s’inquiéter devant ce type de « progrès » ? Et si les jeunes ne se
préoccupent pas de l’état de la planète, qui donc le fera ? C’est eux
qui seront appelés à éponger les dégâts. La catastrophe qui nous pend au
bout du nez — dont l’extinction de l’espèce humaine elle-même, disent
certains experts — vaut bien quelques hauts cris.
On voudrait nous faire croire que les étudiants militants sont
déraisonnables, marginaux et antidémocratiques. Qu’ils ne sont pas du
côté de M. et Mme Tout-le-monde. Mais, curieusement, ce sont les
protestataires, et non leurs adversaires, qui ont les intérêts nationaux
à coeur. S’il y a un groupe qui mérite de parler au nom du peuple,
c’est bien eux.
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