L’un en donne plus que le public en demande, l’autre est incapable de
sortir de sa loge. Vous aurez reconnu Stephen Harper et Philippe
Couillard face à la question de l’heure, la lutte contre le terrorisme.
M. Harper ne cesse de jeter de l’huile sur le feu, alors que
M. Couillard, c’est tout le contraire : une « couverture mouillée »,
comme disent les Anglais. Le PM canadien, qui se veut le champion de la
sécurité, en fait trop ; le PM québécois, l’homme des libertés
individuelles, pas assez. Remarquez, des deux, je préfère le style
Couillard : il est certainement plus courageux de défendre les droits et
libertés à un moment où tout le monde crie au loup, que de tenter de
gagner des points en se martelant la poitrine et en proclamant des
mesures mal conçues et mal encadrées. Le projet de loi antiterroriste
proposé par le gouvernement Harper, loin de rassurer, fait peur.
Pourquoi donc faut-il que des agents de surveillance deviennent des
gendarmes, si ce n’est pour renforcer l’État policier dont rêvent les
conservateurs ?
Mais, après l’aventure de l’imam Hamza Chaoui, des questions se
posent aussi de ce côté-ci de l’Outaouais. Il y a quelque chose
d’absurde de constater l’impuissance du gouvernement Couillard devant le
problème qu’il a lui-même identifié : la radicalisation islamiste.
Faudra-t-il s’en remettre chaque fois aux entourloupettes des règlements
municipaux pour trouver une solution aux imams de la déraison ? Il
reste à trouver comment, sans enfreindre la liberté d’expression, on
peut gérer ce genre d’imbroglio. Bien plus important que l’interdiction
des signes religieux, voilà (enfin !) un boulot fait sur mesure pour le
gouvernement Couillard.
Aux antipodes sur la question du terrorisme, MM. Harper et Couillard
se retrouvent, pourtant, sur la même longueur d’ondes face à l’Arabie
saoudite. Vous n’entendrez ni l’un ni l’autre critiquer ouvertement le
royaume des wahhabites : Philippe Couillard, pour y avoir travaillé
comme neurochirurgien dans les années 1990 et conseillé le ministre de
la Santé saoudien en 2010, Stephen Harper, pour avoir vendu, en 2014,
10 milliards de dollars de véhicules blindés, le plus important contrat
d’armes dans l’histoire du Canada. Pourtant, s’il y a un pays qui
représente l’anathème tant pour un défenseur de la liberté d’expression
que pour le pourfendeur du djihad islamiste, c’est bien l’Arabie
saoudite, « un pays qui figure parmi les plus répressifs et les plus liés au terrorisme de la planète ».
Oussama ben Laden, faut-il le rappeler, était saoudien ; l’extrémisme
auquel nous goûtons aujourd’hui a ses racines en Arabie saoudite. De
plus, le pays est responsable d’avoir financé, dans divers pays dont le
Canada, des écoles, des mosquées et des centres communautaires faisant
la promotion d’un islam rigoriste, fondamentaliste, précisément du type
de l’imam Chaoui. L’Arabie saoudite dit avoir cessé aujourd’hui sa
propagande, mais des brochures saoudiennes se trouvent dans certaines
mosquées de Montréal encore aujourd’hui. À l’intérieur du pays, par
contre, les mesures répressives ne sont aucunement à la baisse. Outre la
condamnation à 1000 coups de fouet du blogueur Raïf Badawi, l’Arabie
saoudite détient la palme des décapitations en 2014. Selon un rapport
d’Amnistie internationale, il y a bien d’autres cordes répugnantes à son
arc. La flagellation, l’amputation et d’autres tortures sont
fréquemment utilisées. Les exécutions sont fréquentes pour des délits
aussi mineurs que l’adultère, le vol à main armée, l’apostasie, le
trafic de stupéfiant, l’enlèvement, le viol et la « sorcellerie ». Et,
bien sûr, la discrimination contre les femmes est continuelle. Elles
doivent obtenir « l’autorisation d’un homme avant
de pouvoir se marier, entreprendre un voyage, subir certaines
interventions chirurgicales, prendre un emploi rémunéré ou suivre un enseignement supérieur ». Et elles ne sont toujours pas autorisées à conduire une voiture.
L’Arabie saoudite est une bonne raison pour laquelle il faut prendre
avec un gros grain de sel la guerre sainte de Stephen Harper contre le
terrorisme. C’est faire beaucoup de bruit avec sa bouche plutôt que
d’agir sur les véritables sources du problème. Les liens d’affaires avec
le royaume étant à ce point importants, il va falloir attendre
évidemment longtemps avant que ça ne change.
L’Arabie saoudite révèle également les contradictions dans la
position de Philippe Couillard. Si la défense des droits et libertés est
aujourd’hui tout à son honneur, le moins qu’on puisse dire, c’est
qu’elle ne l’a pas toujours été. On peut à la rigueur passer l’éponge
sur la collaboration du premier ministre, dans une ancienne vie, avec un
régime terroriste. Mais on peut de plus en plus difficilement lui
pardonner son inaction aujourd’hui.
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