Henri Bourassa doit se retourner dans sa tombe. Les
Québécois, dit un récent sondage, sont à 60% en faveur de la mission en Irak.
De tous temps, les Québécois se sont farouchement opposés aux expéditions
militaires canadiennes outre-mer. À la toute première excursion, en 1899, au
moment de la guerre des Boers, pourfendue avec ardeur par Henri Bourassa, à la
conscription en 1917 et encore en 1944, et jusqu'à la guerre en Afghanistan en
2001. La supposée tradition pacifiste du Québec vient d'en prendre pour son
rhume. Pour la première fois depuis longtemps, Québécois et Canadiens se
retrouvent sur la même longueur d'ondes. Et Jean-François Lisée qui croyait le fossé
entre les deux solitudes désormais infranchissable...
Ah, niqab, quand tu nous tiens! Ou devrais-je dire, nous
étouffes? C'est évidemment pas la guerre comme telle qui est soudainement plus
séduisante, plutôt les mesures anti terroristes du gouvernement Harper dont la
mission en Irak fait partie. D'un côté de l'Outaouais comme de l'autre, on
applaudit: 74% des Québécois et 82% des Canadiens sont d'accord avec le projet
de loi C-51qui, notamment, transformera les agents du Service canadien du
renseignement de sécurité (SCRS) en gendarmes. C'est oui à la guerre à la
maison comme à l'étranger.
Prenons un moment pour mesurer l'exploit. Un gouvernement
qui encore hier nous faisait peur avec son penchant pour les prisons et les
avions de chasse, son mépris pour l'environnement, les données scientifiques,
les groupes sociaux, pour ne rien dire de Radio-Canada, est aujourd'hui un qui
nous rassure? Après neuf ans de politiques contestables, le gouvernement Harper
retrouve une odeur de sainteté grâce à la peur que nous avons des méchants
islamistes. Qui sont parfois bien méchants, bien sûr, mais quel rebond quand
même! Quelle habileté pour l'amalgame dont nous mettait en garde François
Hollande suite aux attentats de Charlie Hebdo. Le ministre Jason Kenny qui,
hier encore, s'en prenait au projet québécois d'interdiction des signes
religieux aujourd'hui retourne sa veste en promettant de porter en appel la
décision permettant à une musulmane de porter serment et un niqab en même
temps. Steven Blaney, lui, ne rate pas une occasion de brandir la "menace
islamique" tout en gardant secret la vidéo trouvée chez Michael
Zehaf-Bibeau, responsable de l'attentat à Ottawa. La vidéo devait fournir une
preuve de plus du danger qui nous guette mais, curieusement, on n'entend plus
parler.
Le projet de loi C-51est tout sauf rassurant. Vague dans ses
orientations, imprécis dans son langage, il s'agit d'une législation qu'on
"ne veut pas que les gens comprennent", dit le chroniqueur politique
du Globe and Mail, Campbell Clark*. Il faut en effet se demander pourquoi la
loi accorde aujourd'hui au SCRS ce qu'on lui a refusé au moment de sa création:
la capacité d'agir, comme le fait déjà la GRC, sur de possibles menaces. Ses
supers agents pourront infiltrer des organismes, disséminer de la fausse
information, faire de la filature comme bon leur semble. Et quand ils voudront
en faire davantage, et devront obtenir la sanction d'un juge, ça se fera en
catimini, sans partie adverse, sans savoir ce qui a été discuté.
Cette loi vise à défaire, en fait, les leçon apprises il y a
30 ans. La mise sur pied du SCRS en 1984 répondait, rappelons-le, aux excès de
la GRC après la Crise d'octobre. En 1970, les "mesures de guerre"
instaurées par le gouvernement Trudeau sont encore plus populaires que les
mesures anti terroristes de Harper aujourd'hui : 87% des Canadiens approuvent.
On croit même qu'il faudrait interdire les manifestions de communistes (53%),
de hippies (43%) et de féministes (31%), pour bonne mesure. C'est seulement en
découvrant, 10 ans plus tard, les excès de zèle de la GRC (liste des membres du
Parti québécois volée, courrier intercepté, grange brulée...) qu'on se ravise. "Il
faut croire que les Canadiens ont compris que la suppression de hippies et de
féministes n'assurait pas vraiment notre sécurité," dit le chroniqueur du
Globe.
Une enquête sur les agissement de la GRC mènera à la
création du SCRS, question d'établir (enfin) une nette distinction entre
renseignement et répression policière. Pourquoi jeter tout ça aux orties
aujourd'hui? Pourquoi la création d'une police secrète? Même en accordant un
poids à la menace terroriste que la menace felquiste n'avait pas, il est toujours
de mauvaise augure de contrer la supposée menace en menaçant la vie
démocratique elle-même.
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