La vie est injuste. Pour les enfants surdoués qui, faute de moyens,
ne deviendront jamais médecin, juge, astronaute ou danseur de ballet.
Pour Thomas Mulcair également, grand parlementaire devant l’éternel, de
loin le politicien fédéral avec le plus de mordant, de répartie et de
contenu et, pourtant, le seul des trois leaders fédéraux qui risque de
perdre sa place cette année. Pour Jean-François Lisée qui vient, par la
peau des fesses, d’obtenir les 2000 signatures nécessaires à sa
candidature à la chefferie du Parti québécois. Les mauvaises langues
chuchotaient depuis des semaines qu’il se casserait la gueule. Les
Allemands ont un mot pour décrire ce genre d’atmosphère : schadenfraude.
La « joie provoquée par le malheur d’autrui » est décuplée, faut
croire, quand il s’agit d’une grosse tête. Un homme d’une redoutable
intelligence, davantage aguerri que ses rivaux, pourrait-on dire, et
pourtant il part bon dernier dans cette course tant attendue.
Évidemment, JFL a le nez un petit peu en l’air. Pas tant que les
caricaturistes se plaisent à le dépeindre, mais un tantinet suffisant
quand même. En tant qu’éminence grise du parti, ça passait sans
problème ; en tant qu’aspirant-chef, ça ne passe pas du tout. Rien ne
dit que l’ego PKP, ou encore Drainville, n’est pas tout aussi
formidable, mais comme il n’existe pas encore d’instrument pour mesurer
ce genre d’apanage, et que l’un bafouille et que l’autre est pétri de
fausse modestie, c’est Lisée qui paraît fat, arrogant, prétentieux.
C’est dommage pour lui, mais aussi pour nous. À tant voir ses défauts,
on se prive de ses qualités.
Je ne suis pas ici pour défendre l’indéfendable. En plus d’un brin
d’arrogance, Lisée est aussi coupable de quelques erreurs de parcours.
La pire : se distancier de la controversée charte, sous le nouveau
gouvernement, alors qu’il a fait la carpe sous Pauline. JFL n’avait
surtout pas besoin d’ajouter l’opportunisme à sa feuille de route. Mais
encore une fois, des trois ténors, Lisée, Drainville, Péladeau — on se
souvient encore de leur prestation le soir du 7 avril —, l’opportunisme
n’est certainement pas détenu en exclusivité par le député de Rosemont.
Alors, pourquoi le sort s’acharne-t-il sur celui qui sait le mieux
chanter ?
Il y a certainement quelque chose qui cloche entre l’illustre
parcours de Jean-François Lisée par le passé et son chemin d’embûches
depuis son arrivée en politique active. Outre le fait, bien entendu, que
la vie peut être terriblement cruelle par moments. Il se peut que JFL
n’ait tout simplement pas ce qu’il faut pour jouer dans l’arène
politique, ni l’apparence d’humilité (toujours très appréciée,
particulièrement au Québec), ni cette capacité mystérieuse de
« connexion » avec le public, ou encore, de savoir quand il faut parler
et quand il faut se taire. Cela dit, il faut admettre que Lisée paie
beaucoup trop cher — en interne, du moins — sa critique du conflit
d’intérêts de Pierre Karl Péladeau.
Tout se passe comme si, des deux aspects en jeu ici, la question de
fond concernant l’acceptabilité d’un magnat de presse en politique et la
fameuse solidarité de parti, seule la deuxième comptait aux yeux des
membres. Bien que la sortie de Lisée ait pu avoir l’air encore une fois
opportuniste, la course à la chefferie étant bel et bien entamée, il a
eu parfaitement raison de souligner que, même en plaçant ses actions
dans une fiducie sans droit de regard, PKP, s’il est élu à la barre,
demeurera « en apparence de conflit d’intérêts », et donc une « bombe à retardement ».
Étant donné qu’il y a quasi consensus à l’extérieur du PQ sur cette
question — en commençant par tous les autres partis, la Fédération
professionnelle des journalistes et de nombreux commentateurs —, il
était urgent que quelqu’un à l’intérieur du parti émette des réserves.
Depuis, M. Péladeau s’est placé à deux reprises en conflit d’intérêts,
mais le silence à l’intérieur du parti ne fait que s’appesantir à cet
égard.
L’empressement avec lequel on a coiffé JFL du bonnet d’âne pour son
« manque de solidarité », mais pas du tout PKP pour son manque à
l’éthique, laisse pantois. Il semble pourtant évident laquelle des deux
fautes est la plus grave, la plus susceptible de porter ombrage aux
instances démocratiques. En plus de payer pour ses propres erreurs,
Jean-François Lisée paie pour cette consécration intempestive et
irréfléchie d’un homme qui se démarque, pour l’instant, ni par ses idées
ni par son charisme, mais par son argent et l’énorme influence qu’il
exerce sur le monde des affaires. Influence qui devrait, en théorie,
l’exclure de la course à la chefferie. Cherchez l’erreur.
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