Le débat sur la laïcité est de retour, parrainé par Charlie Hebdo. Une rédactrice de la revue était à Montréal cette semaine pour nous inciter à choisir la laïcité face à la menace extrémiste. « Il faut choisir son camp, arrêter d’être les idiots utiles de ceux qui s’allient au crime et au terrorisme », dit Zineb el-Rhazouy, qui croit par ailleurs nos accommodements raisonnables parfaitement incompatibles avec « l’idée qu’on se fait, nous, de la République ». Ne pas céder un pouce, c’est la devise de la fière Marianne.
Après un premier débat sur la laïcité gâché par l’ajout de « valeurs
québécoises », en voici un deuxième vicié par l’importation de « valeurs
françaises ». On a hâte au jour où l’on pourra avoir un vrai débat sans
détournement majeur. Simplement pouvoir poser les questions
essentielles serait combien bienvenu. La neutralité religieuse
doit-elle forcément rejeter les religions ou simplement les ignorer au
sein de l’État ? On pourrait commencer là.
Incapable de dire comment la laïcité pure et dure empêche les fous
d’Allah de sévir, le bilan de la France étant assez piteux à cet égard,
Mme el-Rhazouy démontre par ailleurs une insensibilité bien française à
tout ce qui n’est pas… français. Quelqu’un devrait profiter de son
passage au Québec pour l’instruire dans l’histoire de ce pays.
D’abord, le Canada est une terre d’immigrés, ce qui n’est évidemment
pas le cas de la France qui a accepté l’idée d’immigration à reculons,
bousculée par la guerre d’Algérie. Deuxièmement, cette patrie a été
construite à partir d’un accommodement raisonnable. Il avait d’ailleurs
un nom : le statu quo provisoire. Après la Conquête, les Britanniques
ont compris que tout irait mieux s’ils permettaient aux colons de
continuer à parler français. Le traité de Paris, qui consolidait la
suprématie des Anglais et constituait une défaite humiliante pour les
Français, a aussi été rédigé dans la «Langue Françoise», langue de la
diplomatie à l’époque, mais il accorde également le droit de religion
aux conquis. Ce qui devait être transitoire — le traité spécifie que le
français « employé dans tous les Exemplaires du présent Traité, ne formera point un Exemple » — est par ailleurs demeuré. Deux accommodements qui ont scellé le destin de la colonie française à tout jamais.
Le Québec n’existerait pas sans ces génuflexions de la part des
Anglais. On peut toujours dire qu’ils n’avaient pas le choix, le poids
du nombre étant du côté des colons, mais c’est assez rarement la méthode
des conquérants. Les conquistadors espagnols, eux, ont procédé de façon
autrement plus sauvage. Une troisième voie était également ouverte :
malgré la défaite, on l’oublie trop souvent, les Français auraient pu
conserver le Canada et concéder plutôt les Antilles. Ils ont manqué une
belle occasion de nous imposer les valeurs républicaines (éventuelles)
pour toujours ! L’histoire aurait été effectivement tout autre, mais
comme disait Voltaire à l’époque : « Je suis comme le public, j’aime mieux la paix que le Canada, et je crois que la France peut être heureuse sans Québec. »
Et le Québec sans la France, pourrait-on ajouter. On en a marre de se
faire traiter de pleutres parce que l’on considère la tolérance, non
seulement une vertu, mais comme une bonne façon de concevoir la
démocratie. Un pays qui s’est construit en additionnant les populations
(Amérindiens + Français + Anglais, etc.) se doit d’être ouvert aux
autres. Ce qui n’empêche pas l’adoption de règles communes pour autant.
On en a marre aussi de se faire narguer par « le pays des droits de
l’Homme », toujours incapable d’inclure l’autre moitié de l’humanité
quand il parle, rendant un brin suspicieuse l’application réelle desdits
droits. D’ailleurs, malgré les prétentions contraires, la France n’est
pas LE pays de la liberté d’expression ; les États-Unis, grâce à leur
premier amendement constitutionnel, lui damnent le pion à cet égard.
Chez nos voisins, on peut affirmer par exemple que l’Holocauste est pure
invention, mais pas en France où les restrictions légales sont plus
nombreuses.
La France s’est sauvée de monarques despotiques en leur tranchant la
tête et en proclamant : liberté, égalité, fraternité. Il s’agit sans
contredit d’un des grands moments de l’histoire. Mais la férocité de ce
grand revirement, son idéalisme aussi, inspire, encore aujourd’hui, la
façon de concevoir le « vivre-ensemble » dans l’Hexagone. Tout sur le
même modèle. « Vous m’aimez ou vous me quittez »,
a déjà dit un leader français, en référence aux immigrants. C’est un
choix, soit. Mais peut-être serait-il temps d’admettre qu’il y en a
d’autres, beaucoup mieux adaptés d’ailleurs à la réalité d’aujourd’hui.
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