Dernières semaines de l’année la plus chaude jamais enregistrée sur
cette planète. Comment vous sentez-vous ? L’année s’achève, en plus,
ponctuée de petits bulletins de fin du monde auxquels on peine à
s’habituer : 22 413 espèces en voie de disparition au moment où l’on se
parle, dont 13 % des oiseaux et 26 % des mammifères connus. Ma
question : êtes-vous encouragé par l’accord arraché de justesse à Lima ?
Agréablement surpris que les deux géants de la pollution terrestre, les
États-Unis et la Chine, deux pays qui dissimulent mal leur animosité
l’un envers l’autre, aient conclu une entente, il y a un mois ? Soulagé
de la semonce de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, à
l’endroit de ce délinquant environnemental notoire, le Canada ?
Malheureusement, rien de tout cela ne risque d’affecter le
thermomètre en 2015, ni même pour plusieurs années à venir. On l’a vu
avec l’entente sino-américaine, la Chine ne fera rien avant 2030, et les
États-Unis, eux, se donnent jusqu’à 2025 pour réduire de 26 à 28 % les
émissions de CO2 par rapport à 2005. Bien en deçà de ce que bon nombre
de scientifiques considèrent comme nécessaire pour éviter des
changements climatiques irréversibles, voire catastrophiques. Même chose
pour Lima : après 12 jours de fiévreuses négociations, l’objectif de
maintenir le réchauffement climatique à deux degrés Celsius (par rapport
à l’ère postindustrielle) est toujours illusoire. Bref, tout reste à
faire à Paris en 2015.
« Comme humains, nous n’avons pas encore démontré que nous étions capables d’ajuster nos comportements avant de frapper un mur », dit le blogueur environnementaliste du New York Times, Andrew C. Revkin. Depuis l’âge des cavernes, l’Homo sapiens est programmé pour « l’immédiat et le court terme », comme nous le rappelait avec brio Stephen Harper en proclamant pure « folie » l’idée
de réglementer le secteur pétrolier dans le contexte actuel. Mais le
propre de l’humain étant aussi d’espérer, de déceler une lueur au bout
du tunnel, il faut quand même se réjouir d’une chose : Lima, et
l’entente sino-américaine avant elle, vient d’établir les fondements
d’une nouvelle diplomatie. À partir de maintenant, tous les pays de la
Terre, 195 en tout, riches ou pauvres, développés ou en voie de,
s’inclinent devant l’autel des changements climatiques. Du jamais vu.
L’accord de Lima, en d’autres mots, a accouché d’un processus plutôt
que de cibles concrètes. Pour plusieurs qui ont suivi les pourparlers
tortueux sur l’environnement depuis 20 ans, il s’agit d’une percée
importante. Tout reste à faire, c’est vrai, mais rien ne pouvait être
fait sans cet acte symbolique, cette obligation morale de se sentir
collectivement responsables les uns des autres.
Lima est parvenu à ce consensus « historique » en laissant
l’initiative — ce qu’on nomme désormais les « contributions nationales »
— à chacun des pays concernés. Plutôt que d’imposer, comme à
Copenhague, des réductions prédéterminées à court terme, applicables à
tous les signataires, on a choisi d’adopter une stratégie à long terme
où chacun est libre de définir sa contribution à la réduction des gaz
toxiques. On opte donc pour la méthode douce, le libre arbitre plutôt
qu’une imposition extérieure (impossible à implémenter par ailleurs), en
espérant que l’exemple des uns et la culpabilité des autres finiront
par avoir l’effet désiré. À la manière de Jacob dans l’Ancien Testament,
c’est un peu comme si on avait construit une immense échelle dans
laquelle tous les dirigeants de la Terre pouvaient monter, quitte à ce
qu’ils décident, une fois hissés dans le ciel, comment réparer le toit
qui coule, le trou dans l’ozone, pallier les mers qui montent, les
forêts qui disparaissent…
Encouragés ? Évidemment, on n’a qu’à penser au gouvernement canadien
pour se retrouver en sueurs froides. Mais Stephen Harper est précisément
une des raisons pour lesquelles la stratégie de Lima est une bonne
idée. Le PM a toujours dit qu’il modulerait sa politique de réduction de
gaz à effet de serre sur celle des États-Unis. M. Harper reconnaît, en
bon joueur de poker, qu’il ne pourra pas éternellement faire du bluff ;
il devra bientôt mettre jetons sur table. L’accord de Lima mise
précisément sur cet effet d’entraînement, mais à l’échelle mondiale.
Ensuite, le nouveau système a été pensé pour que chaque nation arrime sa
contribution écologique en fonction de son économie, ce qui obsède, on
le sait, Stephen Harper. Plus personne désormais n’a de raison valable
de s’excuser de la table.
Reste à voir maintenant quel mécanisme solidifiera, une fois pour toutes, l’échelle de Lima. Pour la suite du monde.
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