Pour les belles manières, les beaux discours, les grands immeubles,
la France n’a pas son égal. Impossible de rentrer à Montréal après un
séjour dans la Ville lumière sans une dose d’humilité, un soupçon de
déprime à devoir échanger le beau pour le laid, l’élégance pour
l’ordinaire, le sens de l’épithète pour celui du juron. Mais, bon. On se
console en s’imaginant ce que doit vivre le Trifluvien, le Monctonien,
ou encore le pauvre gars de Sudbury.
Qui n’est pas parti en France à 20 ans espérant y faire sa vie ? Mais
qui n’est pas rentré six ou douze mois plus tard un brin soulagé ?
Enfin, ça dépend des tempéraments. En ce qui me concerne, j’ai tout de
suite su en arrivant dans le pays de la comtesse de Ségur que
j’appartenais au Nouveau Monde. À quelque chose de moins formaté, moins
stylisé, quelque chose de plus spontané, en l’occurrence délabré, mais
où tout était encore possible, y compris le pâté chinois, la
féminisation des titres et le rap franglais. Yes, Madame la Mairesse.
La France a beau être le pays de la galanterie et du culte de la
femme, cherchez-la, la femme, sur la place publique. Tous ces beaux
monuments, ces belles rues, qui se conjuguent presque tous au masculin.
Et ça donne quoi de se faire baiser la main si c’est pour se faire
appeler Madame LE Président ? L’Assemblée nationale française offrait
récemment le spectacle du député Julien Aubert qui refusait obstinément
de s’adresser à Sandrine Mazetier, présidente de l’Assemblée, au
féminin. Les règles de l’Académie française l’en empêchaient,
plaidait-il. On voit le genre.
Samuel de Champlain qui, de toute évidence, n’était pas un Français
tricoté serré, a compris le premier ce besoin de sortir des sentiers
battus, de métissage, ce besoin d’avancer selon le principe d’essais et
d’erreurs plutôt que de traditions et de conventions. Entre le Vieux et
le Nouveau Monde, la philosophie n’est tout simplement pas la même.
Évidemment, aujourd’hui, nous vivons tous dans des pays organisés,
hiérarchisés, selon des règles qui se ressemblent, mais l’esprit d’un
côté ou de l’autre de l’Atlantique n’en demeure pas moins différent. Ce
n’est pas par hasard si les Français, plus que tout autre Européen, ont
fantasmé sur le Far West, les cowboys, les grands espaces. Ah, la
liberté du « n’importe quoi » !
Le grand désavantage de la France, c’est d’être perpétuellement
coincée par des conventions et un système de classes qui appartiennent à
une autre époque. Pour ma part, toutes les notions romantiques que
j’entretenais sur la mère patrie sont tombées le jour où on m’a dit que
je serais « la femme idéale si je perdais mon accent ».
L’art du formatage. L’art aussi de passer à côté. Combien de vedettes
québécoises se sont faites ramassées sur cette question d’accent ?
Quelques-unes se sont d’ailleurs rendues ridicules à vouloir
soudainement parler pointu. Ce n’est pas parce que les Français
entendent un paysan mal dégrossi du XVIIe siècle quand on ouvre la
bouche qu’il faut leur donner raison.
Le grand désavantage du Québec, par contre, c’est peut-être justement
de ne pas savoir sur quelle langue danser. C’est d’ailleurs un ami
Français qui me l’a fait remarquer. « Comment vous faites ? » me dit-il après ses 48 premières heures à Montréal. « Vous avez trois niveaux de langue ici » : 1- Le radio-canadien (où le cousin disait se sentir « presque chez lui ») ; 2- La langue du monde plutôt éduqué, dont je suis (« plus folklorique mais compréhensible ») ; 3- La langue de la rue (« parfaitement inintelligible »).
Il y a un décalage partout dans le monde, c’est sûr, entre l’élite
intellectuelle et le monde ordinaire, mais j’ai dû admettre que l’écart
est particulièrement audible ici. Heureusement, les niveaux de langue
dits 1 et 2 tendent de plus en plus à se rapprocher ; on peut croire
qu’on y verra bientôt peu de différences. Les animateurs de Radio-Canada
ont cessé de se donner des intonations de pr-r-r-rédicateurs zélés et
la population, elle, s’est éduquée. Reste néanmoins une insécurité par
rapport à la langue qu’on ne voit nulle part ailleurs. Derrière cette
insécurité, il y a un phénomène d’éducation encore tout récent : en
2012, 60 % des étudiants du réseau des universités du Québec étaient les
premiers de leur famille à accéder aux études supérieures.
Pour résumer, on pourrait dire qu’en France il y a trop d’éducation
(du moins, d’un certain type) et, ici, pas assez. Comme l’illustre le
troublant Mommy de Xavier Dolan, au Québec, nous ne trouvons
pas toujours les mots pour le dire, ce qui n’enlève rien et même en fait
ajoute à cette rage de vivre qui caractérise souvent les gens d’ici.
C’est précisément cette rage, un peu chaotique par moments mais combien
vitale, qui donne envie de planter son drapeau dans ces quelques arpents
de neige.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire