Entassés derrière dans la voiture, emmitouflés comme des astronautes,
nous traversions la nuit de Noël, incontestablement la plus belle de
l’année, en route vers le ciel.
La messe de minuit chez nous était plus qu’une dévotion d’usage, plus
qu’un passage obligé avant d’atterrir à quatre pattes sous lesapin,
gorgés de tourtière et avides de cadeaux. C’était un moment suspendu
dans le temps et dans l’espace, un voyage en apesanteur du moment où
l’on nous cueillait dans nos lits jusqu’au moment où l’on y retournait
fourbus mais comblés, une magnifique parenthèse où rien, sauf nos tuques
et immondes jambières, ne ressemblait à la vie de tous les jours. Pas
de chicanes d’enfant, pas de tensions d’adulte, on n’avait jamais mal
nulle part, le soir de Noël, c’était magique. Enfin calmes, heureux, on
virait bouddhistes.
Mon père était organiste à l’église. Lui-même peu pratiquant, il
croyait surtout dans la puissance de l’instrument. Tous les 24 décembre,
le jubé de l’église Saint-François-d’Assise à Ottawa vibrait comme un
camion de pompier. La veillée de Noël n’aurait d’ailleurs pas dispensé
le quart de son enchantement sans ses chants grégoriens et, surtout, son
tonitruant, son incontournable Minuit, chrétiens.
Le monde entier tressaille d’espérance
Peuple, à genoux, attends ta délivrance…
Rendus là, on se sentait soulevés de son banc d’église en chêne
massif, catapultés dans un film épique de Metro-Goldwyn-Mayer, la mer
Rouge se séparait en deux, les méchants Romains, tous des athées,
tombaient avec leurs cheveux, le cul par-dessus tête, dans le trou au
milieu. Les Rois mages, qu’on avait eu le temps de scruter à la loupe
depuis une heure et quart, nous faisaient un clin d’oeil du fond de la
crèche. Joseph, toujours un peu toothpick avec son air de gars
qui a fait un mauvais choix de carrière, finissait par nous ramener un
tant soit peu sur Terre. Suspendus entre l’étoile de Bethléem et le
plancher des vaches, nous flottions encore une petite heure, le temps
d’une dernière messe « pour la route », trois au total, songeant à tout
et à rien, sûrement pas à nos péchés, à l’idée de devenir berger un jour
ou encore vierge professionnelle.
All you need is love, comme diraient les Beatles. Cet état
de transcendance, de béatitude, de magnanimité est excessivement rare
dans la vie. Je suis reconnaissante à la fête de Noël, et à mon père
organiste, de m’y avoir fait goûter. C’est arrivé à d’autres dans des
circonstances autrement plus dramatiques. En 1914, vous l’avez peut-être
vu au cinéma, durant la Première Guerre mondiale, des soldats ennemis,
Français et Écossais, d’un côté, Allemands, de l’autre, ont déposé les
armes, allumé des bougies, tendu la main à celui qu’ils auraient bien pu
tuer encore le matin même. Près de Lille, dans le nord de la France,
ils ont échangé cigarettes et chocolats ; ils ont chanté. Ça s’est
réellement passé. Les états-majors auraient été pris de court, dit-on,
par ces « débordements. » Ô Sainte Nuit, Holy Night, Heil’ge Nacht.
Malgré tout le mal qu’on peut penser de Noël, la commercialisation à
outrance, les chansons quétaines, le massacre des sapins, les partys
qui n’en finissent plus… Il trace quand même un sillon incandescent, un
moment un peu magique où tout s’arrête. L’espace d’une journée ou deux,
le lot quotidien est temporairement mis en attente, on lève un peu le
menton, on ne touche plus tout à fait à terre. Ça n’efface pas
complètement de mémoire le mononcle dans le coin, un peu trop soûl
encore cette année, mais, au moins, il pèse moins lourd. Car il est
minuit et l’heure est solennelle…
Joyeux Noël et bonne année à tous.
mercredi 24 décembre 2014
mercredi 17 décembre 2014
L'échelle de Lima
Dernières semaines de l’année la plus chaude jamais enregistrée sur
cette planète. Comment vous sentez-vous ? L’année s’achève, en plus,
ponctuée de petits bulletins de fin du monde auxquels on peine à
s’habituer : 22 413 espèces en voie de disparition au moment où l’on se
parle, dont 13 % des oiseaux et 26 % des mammifères connus. Ma
question : êtes-vous encouragé par l’accord arraché de justesse à Lima ?
Agréablement surpris que les deux géants de la pollution terrestre, les
États-Unis et la Chine, deux pays qui dissimulent mal leur animosité
l’un envers l’autre, aient conclu une entente, il y a un mois ? Soulagé
de la semonce de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, à
l’endroit de ce délinquant environnemental notoire, le Canada ?
Malheureusement, rien de tout cela ne risque d’affecter le thermomètre en 2015, ni même pour plusieurs années à venir. On l’a vu avec l’entente sino-américaine, la Chine ne fera rien avant 2030, et les États-Unis, eux, se donnent jusqu’à 2025 pour réduire de 26 à 28 % les émissions de CO2 par rapport à 2005. Bien en deçà de ce que bon nombre de scientifiques considèrent comme nécessaire pour éviter des changements climatiques irréversibles, voire catastrophiques. Même chose pour Lima : après 12 jours de fiévreuses négociations, l’objectif de maintenir le réchauffement climatique à deux degrés Celsius (par rapport à l’ère postindustrielle) est toujours illusoire. Bref, tout reste à faire à Paris en 2015.
« Comme humains, nous n’avons pas encore démontré que nous étions capables d’ajuster nos comportements avant de frapper un mur », dit le blogueur environnementaliste du New York Times, Andrew C. Revkin. Depuis l’âge des cavernes, l’Homo sapiens est programmé pour « l’immédiat et le court terme », comme nous le rappelait avec brio Stephen Harper en proclamant pure « folie » l’idée de réglementer le secteur pétrolier dans le contexte actuel. Mais le propre de l’humain étant aussi d’espérer, de déceler une lueur au bout du tunnel, il faut quand même se réjouir d’une chose : Lima, et l’entente sino-américaine avant elle, vient d’établir les fondements d’une nouvelle diplomatie. À partir de maintenant, tous les pays de la Terre, 195 en tout, riches ou pauvres, développés ou en voie de, s’inclinent devant l’autel des changements climatiques. Du jamais vu.
L’accord de Lima, en d’autres mots, a accouché d’un processus plutôt que de cibles concrètes. Pour plusieurs qui ont suivi les pourparlers tortueux sur l’environnement depuis 20 ans, il s’agit d’une percée importante. Tout reste à faire, c’est vrai, mais rien ne pouvait être fait sans cet acte symbolique, cette obligation morale de se sentir collectivement responsables les uns des autres.
Lima est parvenu à ce consensus « historique » en laissant l’initiative — ce qu’on nomme désormais les « contributions nationales » — à chacun des pays concernés. Plutôt que d’imposer, comme à Copenhague, des réductions prédéterminées à court terme, applicables à tous les signataires, on a choisi d’adopter une stratégie à long terme où chacun est libre de définir sa contribution à la réduction des gaz toxiques. On opte donc pour la méthode douce, le libre arbitre plutôt qu’une imposition extérieure (impossible à implémenter par ailleurs), en espérant que l’exemple des uns et la culpabilité des autres finiront par avoir l’effet désiré. À la manière de Jacob dans l’Ancien Testament, c’est un peu comme si on avait construit une immense échelle dans laquelle tous les dirigeants de la Terre pouvaient monter, quitte à ce qu’ils décident, une fois hissés dans le ciel, comment réparer le toit qui coule, le trou dans l’ozone, pallier les mers qui montent, les forêts qui disparaissent…
Encouragés ? Évidemment, on n’a qu’à penser au gouvernement canadien pour se retrouver en sueurs froides. Mais Stephen Harper est précisément une des raisons pour lesquelles la stratégie de Lima est une bonne idée. Le PM a toujours dit qu’il modulerait sa politique de réduction de gaz à effet de serre sur celle des États-Unis. M. Harper reconnaît, en bon joueur de poker, qu’il ne pourra pas éternellement faire du bluff ; il devra bientôt mettre jetons sur table. L’accord de Lima mise précisément sur cet effet d’entraînement, mais à l’échelle mondiale. Ensuite, le nouveau système a été pensé pour que chaque nation arrime sa contribution écologique en fonction de son économie, ce qui obsède, on le sait, Stephen Harper. Plus personne désormais n’a de raison valable de s’excuser de la table.
Reste à voir maintenant quel mécanisme solidifiera, une fois pour toutes, l’échelle de Lima. Pour la suite du monde.
Malheureusement, rien de tout cela ne risque d’affecter le thermomètre en 2015, ni même pour plusieurs années à venir. On l’a vu avec l’entente sino-américaine, la Chine ne fera rien avant 2030, et les États-Unis, eux, se donnent jusqu’à 2025 pour réduire de 26 à 28 % les émissions de CO2 par rapport à 2005. Bien en deçà de ce que bon nombre de scientifiques considèrent comme nécessaire pour éviter des changements climatiques irréversibles, voire catastrophiques. Même chose pour Lima : après 12 jours de fiévreuses négociations, l’objectif de maintenir le réchauffement climatique à deux degrés Celsius (par rapport à l’ère postindustrielle) est toujours illusoire. Bref, tout reste à faire à Paris en 2015.
« Comme humains, nous n’avons pas encore démontré que nous étions capables d’ajuster nos comportements avant de frapper un mur », dit le blogueur environnementaliste du New York Times, Andrew C. Revkin. Depuis l’âge des cavernes, l’Homo sapiens est programmé pour « l’immédiat et le court terme », comme nous le rappelait avec brio Stephen Harper en proclamant pure « folie » l’idée de réglementer le secteur pétrolier dans le contexte actuel. Mais le propre de l’humain étant aussi d’espérer, de déceler une lueur au bout du tunnel, il faut quand même se réjouir d’une chose : Lima, et l’entente sino-américaine avant elle, vient d’établir les fondements d’une nouvelle diplomatie. À partir de maintenant, tous les pays de la Terre, 195 en tout, riches ou pauvres, développés ou en voie de, s’inclinent devant l’autel des changements climatiques. Du jamais vu.
L’accord de Lima, en d’autres mots, a accouché d’un processus plutôt que de cibles concrètes. Pour plusieurs qui ont suivi les pourparlers tortueux sur l’environnement depuis 20 ans, il s’agit d’une percée importante. Tout reste à faire, c’est vrai, mais rien ne pouvait être fait sans cet acte symbolique, cette obligation morale de se sentir collectivement responsables les uns des autres.
Lima est parvenu à ce consensus « historique » en laissant l’initiative — ce qu’on nomme désormais les « contributions nationales » — à chacun des pays concernés. Plutôt que d’imposer, comme à Copenhague, des réductions prédéterminées à court terme, applicables à tous les signataires, on a choisi d’adopter une stratégie à long terme où chacun est libre de définir sa contribution à la réduction des gaz toxiques. On opte donc pour la méthode douce, le libre arbitre plutôt qu’une imposition extérieure (impossible à implémenter par ailleurs), en espérant que l’exemple des uns et la culpabilité des autres finiront par avoir l’effet désiré. À la manière de Jacob dans l’Ancien Testament, c’est un peu comme si on avait construit une immense échelle dans laquelle tous les dirigeants de la Terre pouvaient monter, quitte à ce qu’ils décident, une fois hissés dans le ciel, comment réparer le toit qui coule, le trou dans l’ozone, pallier les mers qui montent, les forêts qui disparaissent…
Encouragés ? Évidemment, on n’a qu’à penser au gouvernement canadien pour se retrouver en sueurs froides. Mais Stephen Harper est précisément une des raisons pour lesquelles la stratégie de Lima est une bonne idée. Le PM a toujours dit qu’il modulerait sa politique de réduction de gaz à effet de serre sur celle des États-Unis. M. Harper reconnaît, en bon joueur de poker, qu’il ne pourra pas éternellement faire du bluff ; il devra bientôt mettre jetons sur table. L’accord de Lima mise précisément sur cet effet d’entraînement, mais à l’échelle mondiale. Ensuite, le nouveau système a été pensé pour que chaque nation arrime sa contribution écologique en fonction de son économie, ce qui obsède, on le sait, Stephen Harper. Plus personne désormais n’a de raison valable de s’excuser de la table.
Reste à voir maintenant quel mécanisme solidifiera, une fois pour toutes, l’échelle de Lima. Pour la suite du monde.
mercredi 10 décembre 2014
117 jours
« Les chiffres ne peuvent mentir », dit, avec sa voix de bon docteur, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette. « Il y a de plus en plus de médecins au Québec, mais de moins en moins de services. » Et le ministre-docteur de réitérer le chiffre qui tue : 117 jours travaillés par année chez 60 % des omnipraticiens québécois.
Le ministre se garde bien de dire le fond de sa pensée ou, du moins, celle qui l’habitait du temps qu’il était Gaétan le Terrible : la « revanche des poussettes » est en train de tirer la profession vers le bas. Même si le ministre prend soin d’amadouer le coup en parlant d’un « profil générationnel en faveur de la qualité de vie », la présence croissante de femmes médecins est bien sûr en cause ici. Pas moins de 80 % des nouveaux omnipraticiens sont des omnipraticiennes. La profession se féminise à grands pas. Le « règne du mâle alpha », dit Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes, en parlant de son prédécesseur, n’aura qu’un temps.
Les jeunes médecins n’ont pas seulement le travail comme priorité et, en plus, les femmes font les choses différemment, précise Jean-Pierre Dion, directeur des communications de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Les femmes médecins sont souvent celles qui « traitent les poqués », dit-il. Elles assurent la majorité des soins palliatifs, des soins à domicile ; elles ont beaucoup élargi la médecine « dans des sphères d’activité qui ne se mesurent pas toujours à l’acte ».
Or, c’est précisément le piège des chiffres utilisés par le Dr Barrette : ils réfèrent uniquement aux actes payables par la RAMQ. Ce calcul ne comprend pas le travail d’enseignement, d’administration, les réunions de département, les analyses de laboratoire ou, encore, le temps de veille, les longues heures à attendre d’intervenir en milieu hospitalier. Ce que la présidente de la FMSQ appelle « vivre au bout de l’élastique ». Vous n’êtes pas encore sur les lieux de travail, mais c’est tout comme. « Votre sac est prêt, vos souliers, au bout du lit, vous attendez que le téléphone sonne. »
La garde à l’hôpital est justement un autre phénomène qui contribue à faire passer les médecins québécois pour des paresseux : beaucoup de temps écoulé sur les lieux de travail sans nécessairement poser des actes « payables ». Sans parler de la journée de récupération qui suit nécessairement une garde de 16, 24 ou 36 heures et qui, elle aussi, ne compte pour rien. Les omnipraticiens d’ici font le double du travail en milieu hospitalier de nos voisins d’à côté : c’est 40 % de leurs tâches, comparativement à 20-25 % en Ontario. Pour les médecins spécialistes, c’est 80 % de leurs tâches qui se passent en milieu hospitalier.
Le projet de réforme du Dr Barrette vient mettre la hache, non seulement dans les solutions proposées pour augmenter l’efficacité des hôpitaux (heures élargies pour les salles d’opération, plus de ressources technologiques), mais, surtout, tourne le dos à une « médecine plus humaine », virage pris il y a 10 ans. « On prônait de prendre justement plus de temps en consultation, de tenir compte de la santé mentale, prendre moins de patients pour former davantage les étudiants en ce sens », ajoute Jean-Pierre Dion.
Curieusement, c’est au cours des 10 dernières années que le Québec a connu un mini-baby-boom auquel les jeunes femmes médecins ont probablement beaucoup participé. Il n’existe pas de chiffres sur le nombre d’enfants des femmes médecins, mais on sait qu’au Québec, plus une femme est éduquée, plus elle a d’enfants. Selon l’Institut de la statistique, une diplômée universitaire de 30 à 34 ans a deux fois plus d’enfants qu’une diplômée de cégep du même âge : 15 322 bébés, contre 7212 en 2013. Pour les femmes de 35 à 39 ans, c’est trois fois plus de naissances d’un palier d’étude à l’autre : 7313, contre 2953. On sait aussi que la médecine est justement une profession qui permet aux femmes de mieux décider de leur emploi du temps. Bref, les femmes médecins ont certainement aidé à repeupler le Québec au cours des dernières années.
Se disant fière de vivre dans un endroit qui a retrouvé le goût des enfants, Diane Francoeur déplore que le ministre soit « en train de massacrer les politiques familiales ».
Pour ne rien dire du fait de s’attaquer à la féminisation des effectifs, de tourner le dos aux nouvelles pratiques, de saborder des réformes existantes et de ne pas dire toute la vérité. La raison de ces piteux 117 jours ? Ils comprennent les femmes en congé de maternité !
Plutôt que de s’attaquer à la rémunération à l’acte, une des grandes causes des problèmes existants, le Dr Barrette s’attaque aux jeunes médecins, qui sont majoritairement des femmes. Plutôt que d’essayer de comprendre le nouveau mode d’emploi, il sort le bon vieux bâton.
Le ministre se garde bien de dire le fond de sa pensée ou, du moins, celle qui l’habitait du temps qu’il était Gaétan le Terrible : la « revanche des poussettes » est en train de tirer la profession vers le bas. Même si le ministre prend soin d’amadouer le coup en parlant d’un « profil générationnel en faveur de la qualité de vie », la présence croissante de femmes médecins est bien sûr en cause ici. Pas moins de 80 % des nouveaux omnipraticiens sont des omnipraticiennes. La profession se féminise à grands pas. Le « règne du mâle alpha », dit Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes, en parlant de son prédécesseur, n’aura qu’un temps.
Les jeunes médecins n’ont pas seulement le travail comme priorité et, en plus, les femmes font les choses différemment, précise Jean-Pierre Dion, directeur des communications de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Les femmes médecins sont souvent celles qui « traitent les poqués », dit-il. Elles assurent la majorité des soins palliatifs, des soins à domicile ; elles ont beaucoup élargi la médecine « dans des sphères d’activité qui ne se mesurent pas toujours à l’acte ».
Or, c’est précisément le piège des chiffres utilisés par le Dr Barrette : ils réfèrent uniquement aux actes payables par la RAMQ. Ce calcul ne comprend pas le travail d’enseignement, d’administration, les réunions de département, les analyses de laboratoire ou, encore, le temps de veille, les longues heures à attendre d’intervenir en milieu hospitalier. Ce que la présidente de la FMSQ appelle « vivre au bout de l’élastique ». Vous n’êtes pas encore sur les lieux de travail, mais c’est tout comme. « Votre sac est prêt, vos souliers, au bout du lit, vous attendez que le téléphone sonne. »
La garde à l’hôpital est justement un autre phénomène qui contribue à faire passer les médecins québécois pour des paresseux : beaucoup de temps écoulé sur les lieux de travail sans nécessairement poser des actes « payables ». Sans parler de la journée de récupération qui suit nécessairement une garde de 16, 24 ou 36 heures et qui, elle aussi, ne compte pour rien. Les omnipraticiens d’ici font le double du travail en milieu hospitalier de nos voisins d’à côté : c’est 40 % de leurs tâches, comparativement à 20-25 % en Ontario. Pour les médecins spécialistes, c’est 80 % de leurs tâches qui se passent en milieu hospitalier.
Le projet de réforme du Dr Barrette vient mettre la hache, non seulement dans les solutions proposées pour augmenter l’efficacité des hôpitaux (heures élargies pour les salles d’opération, plus de ressources technologiques), mais, surtout, tourne le dos à une « médecine plus humaine », virage pris il y a 10 ans. « On prônait de prendre justement plus de temps en consultation, de tenir compte de la santé mentale, prendre moins de patients pour former davantage les étudiants en ce sens », ajoute Jean-Pierre Dion.
Curieusement, c’est au cours des 10 dernières années que le Québec a connu un mini-baby-boom auquel les jeunes femmes médecins ont probablement beaucoup participé. Il n’existe pas de chiffres sur le nombre d’enfants des femmes médecins, mais on sait qu’au Québec, plus une femme est éduquée, plus elle a d’enfants. Selon l’Institut de la statistique, une diplômée universitaire de 30 à 34 ans a deux fois plus d’enfants qu’une diplômée de cégep du même âge : 15 322 bébés, contre 7212 en 2013. Pour les femmes de 35 à 39 ans, c’est trois fois plus de naissances d’un palier d’étude à l’autre : 7313, contre 2953. On sait aussi que la médecine est justement une profession qui permet aux femmes de mieux décider de leur emploi du temps. Bref, les femmes médecins ont certainement aidé à repeupler le Québec au cours des dernières années.
Se disant fière de vivre dans un endroit qui a retrouvé le goût des enfants, Diane Francoeur déplore que le ministre soit « en train de massacrer les politiques familiales ».
Pour ne rien dire du fait de s’attaquer à la féminisation des effectifs, de tourner le dos aux nouvelles pratiques, de saborder des réformes existantes et de ne pas dire toute la vérité. La raison de ces piteux 117 jours ? Ils comprennent les femmes en congé de maternité !
Plutôt que de s’attaquer à la rémunération à l’acte, une des grandes causes des problèmes existants, le Dr Barrette s’attaque aux jeunes médecins, qui sont majoritairement des femmes. Plutôt que d’essayer de comprendre le nouveau mode d’emploi, il sort le bon vieux bâton.
mercredi 3 décembre 2014
Donnez-moi l'Amérique
Pour les belles manières, les beaux discours, les grands immeubles,
la France n’a pas son égal. Impossible de rentrer à Montréal après un
séjour dans la Ville lumière sans une dose d’humilité, un soupçon de
déprime à devoir échanger le beau pour le laid, l’élégance pour
l’ordinaire, le sens de l’épithète pour celui du juron. Mais, bon. On se
console en s’imaginant ce que doit vivre le Trifluvien, le Monctonien,
ou encore le pauvre gars de Sudbury.
Qui n’est pas parti en France à 20 ans espérant y faire sa vie ? Mais qui n’est pas rentré six ou douze mois plus tard un brin soulagé ? Enfin, ça dépend des tempéraments. En ce qui me concerne, j’ai tout de suite su en arrivant dans le pays de la comtesse de Ségur que j’appartenais au Nouveau Monde. À quelque chose de moins formaté, moins stylisé, quelque chose de plus spontané, en l’occurrence délabré, mais où tout était encore possible, y compris le pâté chinois, la féminisation des titres et le rap franglais. Yes, Madame la Mairesse.
La France a beau être le pays de la galanterie et du culte de la femme, cherchez-la, la femme, sur la place publique. Tous ces beaux monuments, ces belles rues, qui se conjuguent presque tous au masculin. Et ça donne quoi de se faire baiser la main si c’est pour se faire appeler Madame LE Président ? L’Assemblée nationale française offrait récemment le spectacle du député Julien Aubert qui refusait obstinément de s’adresser à Sandrine Mazetier, présidente de l’Assemblée, au féminin. Les règles de l’Académie française l’en empêchaient, plaidait-il. On voit le genre.
Samuel de Champlain qui, de toute évidence, n’était pas un Français tricoté serré, a compris le premier ce besoin de sortir des sentiers battus, de métissage, ce besoin d’avancer selon le principe d’essais et d’erreurs plutôt que de traditions et de conventions. Entre le Vieux et le Nouveau Monde, la philosophie n’est tout simplement pas la même. Évidemment, aujourd’hui, nous vivons tous dans des pays organisés, hiérarchisés, selon des règles qui se ressemblent, mais l’esprit d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique n’en demeure pas moins différent. Ce n’est pas par hasard si les Français, plus que tout autre Européen, ont fantasmé sur le Far West, les cowboys, les grands espaces. Ah, la liberté du « n’importe quoi » !
Le grand désavantage de la France, c’est d’être perpétuellement coincée par des conventions et un système de classes qui appartiennent à une autre époque. Pour ma part, toutes les notions romantiques que j’entretenais sur la mère patrie sont tombées le jour où on m’a dit que je serais « la femme idéale si je perdais mon accent ». L’art du formatage. L’art aussi de passer à côté. Combien de vedettes québécoises se sont faites ramassées sur cette question d’accent ? Quelques-unes se sont d’ailleurs rendues ridicules à vouloir soudainement parler pointu. Ce n’est pas parce que les Français entendent un paysan mal dégrossi du XVIIe siècle quand on ouvre la bouche qu’il faut leur donner raison.
Le grand désavantage du Québec, par contre, c’est peut-être justement de ne pas savoir sur quelle langue danser. C’est d’ailleurs un ami Français qui me l’a fait remarquer. « Comment vous faites ? » me dit-il après ses 48 premières heures à Montréal. « Vous avez trois niveaux de langue ici » : 1- Le radio-canadien (où le cousin disait se sentir « presque chez lui ») ; 2- La langue du monde plutôt éduqué, dont je suis (« plus folklorique mais compréhensible ») ; 3- La langue de la rue (« parfaitement inintelligible »).
Il y a un décalage partout dans le monde, c’est sûr, entre l’élite intellectuelle et le monde ordinaire, mais j’ai dû admettre que l’écart est particulièrement audible ici. Heureusement, les niveaux de langue dits 1 et 2 tendent de plus en plus à se rapprocher ; on peut croire qu’on y verra bientôt peu de différences. Les animateurs de Radio-Canada ont cessé de se donner des intonations de pr-r-r-rédicateurs zélés et la population, elle, s’est éduquée. Reste néanmoins une insécurité par rapport à la langue qu’on ne voit nulle part ailleurs. Derrière cette insécurité, il y a un phénomène d’éducation encore tout récent : en 2012, 60 % des étudiants du réseau des universités du Québec étaient les premiers de leur famille à accéder aux études supérieures.
Pour résumer, on pourrait dire qu’en France il y a trop d’éducation (du moins, d’un certain type) et, ici, pas assez. Comme l’illustre le troublant Mommy de Xavier Dolan, au Québec, nous ne trouvons pas toujours les mots pour le dire, ce qui n’enlève rien et même en fait ajoute à cette rage de vivre qui caractérise souvent les gens d’ici. C’est précisément cette rage, un peu chaotique par moments mais combien vitale, qui donne envie de planter son drapeau dans ces quelques arpents de neige.
Qui n’est pas parti en France à 20 ans espérant y faire sa vie ? Mais qui n’est pas rentré six ou douze mois plus tard un brin soulagé ? Enfin, ça dépend des tempéraments. En ce qui me concerne, j’ai tout de suite su en arrivant dans le pays de la comtesse de Ségur que j’appartenais au Nouveau Monde. À quelque chose de moins formaté, moins stylisé, quelque chose de plus spontané, en l’occurrence délabré, mais où tout était encore possible, y compris le pâté chinois, la féminisation des titres et le rap franglais. Yes, Madame la Mairesse.
La France a beau être le pays de la galanterie et du culte de la femme, cherchez-la, la femme, sur la place publique. Tous ces beaux monuments, ces belles rues, qui se conjuguent presque tous au masculin. Et ça donne quoi de se faire baiser la main si c’est pour se faire appeler Madame LE Président ? L’Assemblée nationale française offrait récemment le spectacle du député Julien Aubert qui refusait obstinément de s’adresser à Sandrine Mazetier, présidente de l’Assemblée, au féminin. Les règles de l’Académie française l’en empêchaient, plaidait-il. On voit le genre.
Samuel de Champlain qui, de toute évidence, n’était pas un Français tricoté serré, a compris le premier ce besoin de sortir des sentiers battus, de métissage, ce besoin d’avancer selon le principe d’essais et d’erreurs plutôt que de traditions et de conventions. Entre le Vieux et le Nouveau Monde, la philosophie n’est tout simplement pas la même. Évidemment, aujourd’hui, nous vivons tous dans des pays organisés, hiérarchisés, selon des règles qui se ressemblent, mais l’esprit d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique n’en demeure pas moins différent. Ce n’est pas par hasard si les Français, plus que tout autre Européen, ont fantasmé sur le Far West, les cowboys, les grands espaces. Ah, la liberté du « n’importe quoi » !
Le grand désavantage de la France, c’est d’être perpétuellement coincée par des conventions et un système de classes qui appartiennent à une autre époque. Pour ma part, toutes les notions romantiques que j’entretenais sur la mère patrie sont tombées le jour où on m’a dit que je serais « la femme idéale si je perdais mon accent ». L’art du formatage. L’art aussi de passer à côté. Combien de vedettes québécoises se sont faites ramassées sur cette question d’accent ? Quelques-unes se sont d’ailleurs rendues ridicules à vouloir soudainement parler pointu. Ce n’est pas parce que les Français entendent un paysan mal dégrossi du XVIIe siècle quand on ouvre la bouche qu’il faut leur donner raison.
Le grand désavantage du Québec, par contre, c’est peut-être justement de ne pas savoir sur quelle langue danser. C’est d’ailleurs un ami Français qui me l’a fait remarquer. « Comment vous faites ? » me dit-il après ses 48 premières heures à Montréal. « Vous avez trois niveaux de langue ici » : 1- Le radio-canadien (où le cousin disait se sentir « presque chez lui ») ; 2- La langue du monde plutôt éduqué, dont je suis (« plus folklorique mais compréhensible ») ; 3- La langue de la rue (« parfaitement inintelligible »).
Il y a un décalage partout dans le monde, c’est sûr, entre l’élite intellectuelle et le monde ordinaire, mais j’ai dû admettre que l’écart est particulièrement audible ici. Heureusement, les niveaux de langue dits 1 et 2 tendent de plus en plus à se rapprocher ; on peut croire qu’on y verra bientôt peu de différences. Les animateurs de Radio-Canada ont cessé de se donner des intonations de pr-r-r-rédicateurs zélés et la population, elle, s’est éduquée. Reste néanmoins une insécurité par rapport à la langue qu’on ne voit nulle part ailleurs. Derrière cette insécurité, il y a un phénomène d’éducation encore tout récent : en 2012, 60 % des étudiants du réseau des universités du Québec étaient les premiers de leur famille à accéder aux études supérieures.
Pour résumer, on pourrait dire qu’en France il y a trop d’éducation (du moins, d’un certain type) et, ici, pas assez. Comme l’illustre le troublant Mommy de Xavier Dolan, au Québec, nous ne trouvons pas toujours les mots pour le dire, ce qui n’enlève rien et même en fait ajoute à cette rage de vivre qui caractérise souvent les gens d’ici. C’est précisément cette rage, un peu chaotique par moments mais combien vitale, qui donne envie de planter son drapeau dans ces quelques arpents de neige.
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