Les changements proposés en matière de frais de garde sont
pratiquement insignifiants en comparaison au tsunami qui se prépare dans
le domaine de la santé. Pourtant, c’est l’annonce de la hausse des
tarifs dans les CPE qui ébranle les colonnes du temple. On joue ici avec
un service qui implique l’avenir même du Québec : les femmes et les
enfants. On n’y joue donc pas impunément. Bien que moins fortes que
prévu, les hausses pourraient avoir un impact sur la natalité, plus
assurément sur le nombre de femmes au travail. Enfin, c’est ici que les
partisans de chaque côté de la clôture (la « juste part » c. le « pacte
social ») se mettent à calculer fiévreusement.
Je loge de ce côté-ci du Grand Canyon (par ici, les pelleteux de nuages) et trouve les chiffres de l’économiste Pierre Fortin
assez convaincants merci : 70 000 nouvelles travailleuses en 2008
seulement grâce aux garderies subventionnées. Le blogue de Gérald
Fillion n’est pas mal non plus. Il démontre le retard que les
Québécoises accusent sur le marché du travail par rapport aux femmes du
Canada et de l’Ontario en 1995, leur rattrapage à partir de 1998, un an
après l’instauration des garderies à 5 $, et ensuite la nette
prédominance des Québécoises pour les 10 années suivantes. La courbe est
impressionnante.
Mais que répondre à quelqu’un qui lance : « Un paquet de cigarettes coûte combien déjà ? Ah, oui, 9,39 $. »
En d’autres mots, une augmentation quotidienne des frais de garde d’au
plus 7 $ par jour c’est des pinottes au grand bal des consommateurs qui,
en passant, ont toujours l’intention de se rendre en République
dominicaine cet hiver. À cet égard, ceux qui prétendent qu’il est normal
de payer davantage pour un programme qui coûte de plus en plus cher
auront toujours un peu raison. Sauf que la question importante, pour les
CPE comme d’ailleurs pour la hausse des droits de scolarité, ce n’est
pas ce que ça coûte (aux individus), mais bien ce que ça vaut (pour la
collectivité). Il est inutile de calculer la dépense des parents sans
d’abord tenir compte du fameux enrichissement collectif.
L’arrivée des femmes sur le marché du travail est incontestablement
le changement social le plus important depuis la révolution
industrielle. Le temps dira si la révolution numérique finira par avoir
des répercussions plus vastes encore, mais pour l’instant, à titre de
grand bouleversement, rien ne bat la féminisation du travail — qui est
aussi celle de l’éducation et, tranquillement pas vite, du pouvoir.
Seulement, mis à part la pilule contraceptive, les garderies et les
congés parentaux, rien n’a été fait pour accommoder cette vaste
réorganisation sociale. On n’a pas repensé l’organisation du travail,
les horaires ou même les toilettes. On n’a pas incité les hommes à la
retraite pour faire place à la relève féminine. On n’a même pas insisté
sur un changement d’attitude au sein des grandes institutions
(Parlement, médias…), comme on a pu le voir récemment. N’eût été la
politique familiale de Pauline Marois en 1997, les femmes du Québec,
comme ailleurs en Amérique du Nord, n’auraient eu que leurs propres
envie et/ou besoin de travailler pour les aider à s’intégrer au marché
du travail. Or, elles ont pété des scores à cause justement de l’aide
gouvernementale.
Cette réalité-là est immensément plus importante que le paquet de
cigarettes dont on devra se passer pour faire garder ses enfants. De la
même façon que c’est la société tout entière qui s’enrichit lorsque de
plus en plus de jeunes poursuivent leurs études, tout le monde gagne
lorsque les femmes ont accès au marché du travail. Financièrement,
d’abord. Selon les calculs de Pierre Fortin, les impôts payés par les
70 000 nouvelles travailleuses en 2008 (1,7 milliard) excédaient les
coûts du programme de garderies (1,65 milliard). Mais là encore, la
valeur n’est pas simplement pécuniaire. Ultimement, c’est une question
de justice, de démocratie, voire de diversité culturelle.
Il y a une autre raison pour laquelle la règle de l’utilisateur-payeur ne tient pas la route.
C’est la supercherie implicite dans le fait de demander aux parents de payer davantage alors que les banques, les grosses entreprises, les multinationales, elles, ne paient pas leur juste part. C’est
l’absurdité de payer une vieille routière libérale 1100 $ par jour pour
diriger une commission de « dégraissage » du gouvernement alors que ses
compétences et son travail laissent à désirer.
Tout le monde est convaincu de l’utilité de faire du ménage dans les
affaires de l’État. Mais encore faut-il qu’on passe le balai partout,
sans oublier que l’émancipation de tout un chacun est le but ultime de
tout gouvernement. Frottez dans les coins, c’est bien, mais en gardant
la tête haute, c’est mieux.
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