Les changements proposés en matière de frais de garde sont
pratiquement insignifiants en comparaison au tsunami qui se prépare dans
le domaine de la santé. Pourtant, c’est l’annonce de la hausse des
tarifs dans les CPE qui ébranle les colonnes du temple. On joue ici avec
un service qui implique l’avenir même du Québec : les femmes et les
enfants. On n’y joue donc pas impunément. Bien que moins fortes que
prévu, les hausses pourraient avoir un impact sur la natalité, plus
assurément sur le nombre de femmes au travail. Enfin, c’est ici que les
partisans de chaque côté de la clôture (la « juste part » c. le « pacte
social ») se mettent à calculer fiévreusement.
Je loge de ce côté-ci du Grand Canyon (par ici, les pelleteux de nuages) et trouve les chiffres de l’économiste Pierre Fortin
assez convaincants merci : 70 000 nouvelles travailleuses en 2008
seulement grâce aux garderies subventionnées. Le blogue de Gérald
Fillion n’est pas mal non plus. Il démontre le retard que les
Québécoises accusent sur le marché du travail par rapport aux femmes du
Canada et de l’Ontario en 1995, leur rattrapage à partir de 1998, un an
après l’instauration des garderies à 5 $, et ensuite la nette
prédominance des Québécoises pour les 10 années suivantes. La courbe est
impressionnante.
Mais que répondre à quelqu’un qui lance : « Un paquet de cigarettes coûte combien déjà ? Ah, oui, 9,39 $. »
En d’autres mots, une augmentation quotidienne des frais de garde d’au
plus 7 $ par jour c’est des pinottes au grand bal des consommateurs qui,
en passant, ont toujours l’intention de se rendre en République
dominicaine cet hiver. À cet égard, ceux qui prétendent qu’il est normal
de payer davantage pour un programme qui coûte de plus en plus cher
auront toujours un peu raison. Sauf que la question importante, pour les
CPE comme d’ailleurs pour la hausse des droits de scolarité, ce n’est
pas ce que ça coûte (aux individus), mais bien ce que ça vaut (pour la
collectivité). Il est inutile de calculer la dépense des parents sans
d’abord tenir compte du fameux enrichissement collectif.
L’arrivée des femmes sur le marché du travail est incontestablement
le changement social le plus important depuis la révolution
industrielle. Le temps dira si la révolution numérique finira par avoir
des répercussions plus vastes encore, mais pour l’instant, à titre de
grand bouleversement, rien ne bat la féminisation du travail — qui est
aussi celle de l’éducation et, tranquillement pas vite, du pouvoir.
Seulement, mis à part la pilule contraceptive, les garderies et les
congés parentaux, rien n’a été fait pour accommoder cette vaste
réorganisation sociale. On n’a pas repensé l’organisation du travail,
les horaires ou même les toilettes. On n’a pas incité les hommes à la
retraite pour faire place à la relève féminine. On n’a même pas insisté
sur un changement d’attitude au sein des grandes institutions
(Parlement, médias…), comme on a pu le voir récemment. N’eût été la
politique familiale de Pauline Marois en 1997, les femmes du Québec,
comme ailleurs en Amérique du Nord, n’auraient eu que leurs propres
envie et/ou besoin de travailler pour les aider à s’intégrer au marché
du travail. Or, elles ont pété des scores à cause justement de l’aide
gouvernementale.
Cette réalité-là est immensément plus importante que le paquet de
cigarettes dont on devra se passer pour faire garder ses enfants. De la
même façon que c’est la société tout entière qui s’enrichit lorsque de
plus en plus de jeunes poursuivent leurs études, tout le monde gagne
lorsque les femmes ont accès au marché du travail. Financièrement,
d’abord. Selon les calculs de Pierre Fortin, les impôts payés par les
70 000 nouvelles travailleuses en 2008 (1,7 milliard) excédaient les
coûts du programme de garderies (1,65 milliard). Mais là encore, la
valeur n’est pas simplement pécuniaire. Ultimement, c’est une question
de justice, de démocratie, voire de diversité culturelle.
Il y a une autre raison pour laquelle la règle de l’utilisateur-payeur ne tient pas la route.
C’est la supercherie implicite dans le fait de demander aux parents de payer davantage alors que les banques, les grosses entreprises, les multinationales, elles, ne paient pas leur juste part. C’est
l’absurdité de payer une vieille routière libérale 1100 $ par jour pour
diriger une commission de « dégraissage » du gouvernement alors que ses
compétences et son travail laissent à désirer.
Tout le monde est convaincu de l’utilité de faire du ménage dans les
affaires de l’État. Mais encore faut-il qu’on passe le balai partout,
sans oublier que l’émancipation de tout un chacun est le but ultime de
tout gouvernement. Frottez dans les coins, c’est bien, mais en gardant
la tête haute, c’est mieux.
mercredi 26 novembre 2014
mercredi 19 novembre 2014
Pas tannés de mourir?
À l’avant-plan, il y a la mort soudaine d’un homme qui a été un
mentor, une inspiration et un animateur absolument hors de l’ordinaire
pour des milliers de mordus de la radio. Jacques Bertrand, pour ne pas
le nommer. Un homme qui, malgré son originalité et plus de 30 ans de
loyaux services à l’antenne de Radio-Canada, a été retiré des ondes en
juin dernier. Personne n’a encore dit de quoi il est mort. Tout le monde
a son petit dessein dans la tête.
Derrière lui, il y a la maison de Radio-Canada, la société d’État qui a jadis révolutionné nos vies, nous a fait chanter, danser, atterrir sur la Lune, pleurer le bébé dans les bras, nous a éduqués et titillés comme nulle autre. Un trésor national qui nous coûte moins que rien — deux bouteilles de vin cheap ou encore cinq cafés Starbucks et demi par année par tête de pipe, disaient les pancartes qui déambulaient boulevard René-Lévesque, dimanche dernier —, mais qui ratatine aujourd’hui à vue d’oeil : environ 3000 postes et 250 millions de dollars en moins au cours des cinq dernières années seulement. On largue les collections de disques, les beaux costumes, la seule émission qui nous parle du vaste monde, un directeur de l’information expérimenté et fort apprécié, tout en dépensant des millions pour se coller un adverbe dans le front (« ICI » Radio-Canada). On joue dur aussi côté congédiement. La directrice de la salle de rédaction anglaise a reçu son congé en quittant la pièce, vraisemblablement pour aller aux toilettes. On l’a aussitôt accompagnée à la sortie.
Au suivant.
À l’arrière-scène, le gouvernement. Celui d’Ottawa, d’abord, qui, depuis l’élection des conservateurs en 2006, a serré la vis, non seulement à Radio-Canada, mais à l’accès à l’information, aux données scientifiques, aux tournées culturelles, aux réfugiées, aux chômeurs, aux centres de femmes et aux bélugas du Saint-Laurent. Celui de Québec également qui, depuis avril 2014, ne vit qu’à une enseigne, l’austérité, et procède impassiblement à des coupes sans précédent. Devant le massacre qui s’opère à Radio-Canada, le premier ministre Couillard s’est contenté d’ailleurs d’opiner du bonnet, offrant un autre exemple de sa surdité d’oreille devant les implications culturelles pour le Québec.
Alors que nos dirigeants accusent, eux, un certain embonpoint, les perspectives d’avenir, elles, n’auront jamais été aussi maigres. Il faut éviter les allusions personnelles, je sais, mais le contraste est quand même saisissant : nos leaders engraissent et nous, légendaire classe moyenne, on s’étiole.
Et nous voilà arrivés à la toile de fond : le monde ordinaire. « Malgré la percée technologique, malgré une croissance de la productivité de la main-d’oeuvre de 50 %, malgré l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, malgré tout ça, le revenu de la famille moyenne n’a pas bougé depuis 30 ans », dit l’économiste canadien Jim Stanford. De plus, selon l’Institut de recherche et d’information socio-économiques, l’endettement des ménages québécois a plus que triplé entre 1976 et 2012, passant de 40 % à presque 140 % du revenu annuel. Au Québec comme ailleurs en Amérique, « le phénomène majeur des 30 dernières années est l’augmentation toujours plus grande des inégalités ».
Selon The Onion, l’équivalent de Charlie Hebdo aux États-Unis, l’écart entre riches et pauvres — « cette vaste étendue millénaire qui inspire humilité et émerveillement » — devrait être déclaré la huitième merveille du monde puisqu’un des symboles les plus durables de l’évolution humaine. En effet, les riches s’enrichissent et, tout le contraire de nous, travaillent aujourd’hui moins fort pour leur argent, les pauvres augmentent et la classe moyenne est saignée à blanc. Derrière cette pyramide immonde, des paradis fiscaux mis en place depuis les années 50 mettent aujourd’hui « plus de la moitié du stock mondial d’argent hors de portée des finances publiques », comme l’explique le documentaire Le prix à payer de Harold Crooks.
On se demande, en fait, comment on peut assister aussi docilement à notre propre appauvrissement, pas seulement économique mais aussi politique, social et culturel. À tous les niveaux, on se fait manger la laine sur le dos. Vous n’êtes pas tannés de mourir, bande de caves ? demandait le poète Claude Péloquin. Quarante ans plus tard, la phrase paraît plus prophétique que jamais.
Derrière lui, il y a la maison de Radio-Canada, la société d’État qui a jadis révolutionné nos vies, nous a fait chanter, danser, atterrir sur la Lune, pleurer le bébé dans les bras, nous a éduqués et titillés comme nulle autre. Un trésor national qui nous coûte moins que rien — deux bouteilles de vin cheap ou encore cinq cafés Starbucks et demi par année par tête de pipe, disaient les pancartes qui déambulaient boulevard René-Lévesque, dimanche dernier —, mais qui ratatine aujourd’hui à vue d’oeil : environ 3000 postes et 250 millions de dollars en moins au cours des cinq dernières années seulement. On largue les collections de disques, les beaux costumes, la seule émission qui nous parle du vaste monde, un directeur de l’information expérimenté et fort apprécié, tout en dépensant des millions pour se coller un adverbe dans le front (« ICI » Radio-Canada). On joue dur aussi côté congédiement. La directrice de la salle de rédaction anglaise a reçu son congé en quittant la pièce, vraisemblablement pour aller aux toilettes. On l’a aussitôt accompagnée à la sortie.
Au suivant.
À l’arrière-scène, le gouvernement. Celui d’Ottawa, d’abord, qui, depuis l’élection des conservateurs en 2006, a serré la vis, non seulement à Radio-Canada, mais à l’accès à l’information, aux données scientifiques, aux tournées culturelles, aux réfugiées, aux chômeurs, aux centres de femmes et aux bélugas du Saint-Laurent. Celui de Québec également qui, depuis avril 2014, ne vit qu’à une enseigne, l’austérité, et procède impassiblement à des coupes sans précédent. Devant le massacre qui s’opère à Radio-Canada, le premier ministre Couillard s’est contenté d’ailleurs d’opiner du bonnet, offrant un autre exemple de sa surdité d’oreille devant les implications culturelles pour le Québec.
Alors que nos dirigeants accusent, eux, un certain embonpoint, les perspectives d’avenir, elles, n’auront jamais été aussi maigres. Il faut éviter les allusions personnelles, je sais, mais le contraste est quand même saisissant : nos leaders engraissent et nous, légendaire classe moyenne, on s’étiole.
Et nous voilà arrivés à la toile de fond : le monde ordinaire. « Malgré la percée technologique, malgré une croissance de la productivité de la main-d’oeuvre de 50 %, malgré l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, malgré tout ça, le revenu de la famille moyenne n’a pas bougé depuis 30 ans », dit l’économiste canadien Jim Stanford. De plus, selon l’Institut de recherche et d’information socio-économiques, l’endettement des ménages québécois a plus que triplé entre 1976 et 2012, passant de 40 % à presque 140 % du revenu annuel. Au Québec comme ailleurs en Amérique, « le phénomène majeur des 30 dernières années est l’augmentation toujours plus grande des inégalités ».
Selon The Onion, l’équivalent de Charlie Hebdo aux États-Unis, l’écart entre riches et pauvres — « cette vaste étendue millénaire qui inspire humilité et émerveillement » — devrait être déclaré la huitième merveille du monde puisqu’un des symboles les plus durables de l’évolution humaine. En effet, les riches s’enrichissent et, tout le contraire de nous, travaillent aujourd’hui moins fort pour leur argent, les pauvres augmentent et la classe moyenne est saignée à blanc. Derrière cette pyramide immonde, des paradis fiscaux mis en place depuis les années 50 mettent aujourd’hui « plus de la moitié du stock mondial d’argent hors de portée des finances publiques », comme l’explique le documentaire Le prix à payer de Harold Crooks.
On se demande, en fait, comment on peut assister aussi docilement à notre propre appauvrissement, pas seulement économique mais aussi politique, social et culturel. À tous les niveaux, on se fait manger la laine sur le dos. Vous n’êtes pas tannés de mourir, bande de caves ? demandait le poète Claude Péloquin. Quarante ans plus tard, la phrase paraît plus prophétique que jamais.
mercredi 12 novembre 2014
Le point de bascule
Depuis l’affaire Ghomeshi, les témoignages d’agressions sexuelles se ramassent à la pelle, du baiser un peu trop agressif au viol à main armée, tout y passe. Il y a longtemps que nous n’avions pas assisté à un tel déferlement, un tel ras-le-bol. Depuis le temps qu’on croit que tout a été dit sur les questions féministes, c’est quand même intrigant. Pourquoi cette prise de conscience maintenant ?
Je me souviens qu’après la tuerie de Polytechnique, presque 25 ans déjà, des femmes disaient : maintenant, allez-vous nous croire ? Allez-vous comprendre à quel point les femmes sont victimes de violence ? Mais Polytechnique n’a pas contribué à aiguiser les consciences, pour la simple raison qu’il était impossible de tracer une ligne entre ce qui venait de se passer et la violence que des milliers de femmes subissent. Contrairement à Jian Ghomeshi, Marc Lépine n’était pas un personnage public affable et charismatique, et sa façon de s’en prendre aux femmes tenait clairement du délire. Personne ne pouvait s’identifier à lui, encore moins à ce qu’il avait commis, mitraillette à la main, ce soir sombre de décembre. Il a vite été classé comme une simple aberration.
Les agressions subies par une dizaine de femmes aux mains de l’ex-animateur de radio sont une tout autre paire de manches. Se croyant au-dessus de tout soupçon, Ghomeshi a lui-même fourni les preuves de son congédiement à son employeur. Visiblement, il ne voyait rien de grave à tabasser des jeunes femmes au nom d’une vie sexuelle « hors norme », encore moins de photographier la scène. À mon avis, la clé du déferlement actuel tient d’abord à cette soi-disant normalité, à cette banalité du mal, c’est-à-dire à l’espace immensément gris qui sépare le consentement du dénigrement, le plaisir de la peur, l’abandon de l’agression, qui sépare un homme qui se croit parfaitement dans ses droits et des femmes qui n’osent rien dire. Il fallait que des milliers de femmes se reconnaissent dans ce malentendu sexuel, dans ce moment où, mine de rien, tout bascule, pour défoncer la porte du silence.
Le témoignage de la comédienne Lucy de Coutere, la première femme à parler à visage découvert, a été primordial à cet égard. Son récit ne fait pas dresser les cheveux sur la tête, contrairement aux épisodes de viol qui sont sortis depuis, mais c’est grâce à elle si l’histoire devient, à partir de ce moment-là, non plus l’histoire d’un homme qui est allé trop loin, mais celle de nombreuses femmes qui en ont enduré trop longtemps.
Interviewée à la radio de CBC le surlendemain du congédiement, Mme de Coutere explique son silence de cette façon : « Je voulais être cool. Je me demandais : est-ce la manière qu’on a des relations sexuelles maintenant ? Je cherchais à normaliser la situation. » Seulement, tout à coup, ce n’était plus normal. Il suffisait de dire tout haut ce qu’elle avait vécu toute seule pour que l’ignominie de la situation éclate au grand jour. On a découvert le pot aux roses. Ou presque. Je ne crois pas qu’on ait assisté à une telle vague de dénonciation sans le semi-anonymat des réseaux sociaux. C’est l’autre élément clé dans toute cette histoire. Comme si percer le secret d’alcôve nécessitait de passer par la grande alcôve qu’est l’Internet. Dans les deux cas, il s’agit de bulles intimes qui se conjuguent à demi-mot.
Ensuite, phase trois, des femmes connues, habituées des médias traditionnels et plus accoutumées à défoncer des portes, ont emboîté le pas, poussant l’audace d’un cran, avouant dans certains cas des agressions plus terribles encore. Ne plus endurer le silence, ne plus s’en laisser imposer, comme au plus fort des années féministes, il y a 40 ans, était devenu le nouveau mot d’ordre. C’est quand même formidable. Comme le disait Geneviève St-Germain, le phénomène n’est pas sans rappeler le Manifeste des 343 salopes où, dans les années 70, des centaines de Françaises, dont Simone de Beauvoir, ont admis avoir subi clandestinement un avortement. Ces moments de vérité où les voiles du Temple se déchirent, où on fait plus que constater, soudainement, on comprend ce que ça veut dire que de subir des conditions minables à répétition, sont rares dans l’histoire des peuples.
Savourons le moment.
mercredi 5 novembre 2014
Le condom à la rescousse
environnement
Sauvons la planète. Faisons moins d’enfants. Dans le concert de
voix qui s’élève pour nous avertir de catastrophes environnementales
imminentes, une petite voix commence à se faire entendre préconisant la
planification des naissances pour minimiser les dégâts. Eh oui, le bon
vieux condom pourrait faire oeuvre utile dans le combat du siècle pour
sauver la planète.
Un rapport de la Royal Society de Londres, People and the Planet (2012), estime que l’accès à la contraception pour les 222 millions de femmes qui en sont aujourd’hui privées réduirait les gaz à effet de serre de 8 à 15 %, « l’équivalent de stopper la déforestation partout sur la planète ». À New York, la National Academy of Sciences est plus optimiste encore : « Une baisse de la population mondiale pourrait vouloir dire une baisse de 16 à 29 % de CO2 à l’échelle mondiale », dit-elle.
Or, Le Devoir l’annonçait à la une cette semaine, le Groupe d’experts sur l’évolution du climat nous invite à réduire de 40 à 70 % les émissions de gaz toxiques d’ici 2050, et de 100 % d’ici 2100. Vu l’échec retentissant de la dernière conférence internationale sur le climat (Copenhague, 2009) et le peu d’intérêt généralement démontré pour le sevrage du pétrole, le volet « limitation des naissances » devient aujourd’hui de plus en plus attrayant. Mais la proposition n’en demeure pas moins controversée.
D’abord, 200 ans après que Thomas Malthus eut prédit, à tort, une catastrophe alimentaire si la population mondiale n’était pas contenue, on hésite toujours à jouer la carte de la surpopulation. Les environnementalistes ont longtemps refusé de se pencher sur cette question de peur de verser dans un paternalisme malvenu vis-à-vis des pays concernés. Qui étions-nous pour dire aux pays pauvres de faire moins d’enfants ? Il y a toujours eu, comme en témoignent la Chine et sa politique d’enfant unique, quelque chose de répugnant à imposer des limites au désir, combien légitime, de faire des bébés.
De plus, la planification des naissances n’est plus au diapason depuis plusieurs années. Entre 1995 et 2008, les fonds d’aide internationale alloués à cette cause sont passés de 55 % à seulement 6 %. Ils ont presque disparu. Beaucoup d’argent a été redirigé dans des campagnes contre le sida et la malaria, mais c’est surtout le virage conservateur de bon nombre de pays donateurs (États-Unis, Canada, Australie…) qui expliquent cet abandon sur la scène internationale. En d’autres mots, les forces de gauche comme celles de droite ont toutes deux participé à enterrer la question de la régulation des naissances.
Ça ne pouvait durer. La courbe vertigineuse de la population mondiale aujourd’hui, passée d’un milliard en 1850 à sept milliards en 2011, pose définitivement problème. Nous créons actuellement l’équivalent de la population de Montréal tous les cinq jours. Au rythme où nous allons, nous aurons l’équivalent d’une autre Chine et d’une autre Inde d’ici 2050. La population aura atteint environ neuf milliards, une augmentation de deux milliards en seulement 40 ans, alors qu’il a fallu quelque 10 000 ans pour atteindre le premier milliard. Non seulement est-il improbable qu’on puisse nourrir autant de nouveaux petits affamés, nés surtout dans les pays défavorisés, mais le stress additionnel sur les ressources (eau, bois, charbon, terres agricoles…) pourrait être catastrophique.
La régulation des naissances n’est pas une panacée et n’aura jamais la même importance que la réduction de la pollution atmosphérique. Mais elle peut avoir un effet immensément bénéfique, non seulement sur l’environnement, mais sur la vie de millions de femmes, à un coût d’ailleurs très raisonnable : environ 3,7 milliards. La contraception étant l’outil par excellence de l’émancipation féminine, il y a quelque chose d’irrésistible à mener de front les combats les plus urgents, celui des femmes du tiers-monde et celui de l’environnement. Et puis, la question de la réduction des naissances est aussi en train de se discuter dans les pays industrialisés. En Grande-Bretagne, un récent sondage montre que 63 % des gens croient que les parents doivent réfléchir à l’effet qu’aurait leur progéniture sur l’environnement et 51 % pensent qu’ils devraient se contenter de deux enfants.
Au Québec, où le taux de fécondité est toujours en deçà du 2,1 (le taux de remplacement de la population), la question ne se pose toujours pas. Mais au nombre de femmes qui souhaitent actuellement un troisième et même un quatrième enfant, ce n’est peut-être que partie remise. En attendant, espérons que le prochain grand rendez-vous climatique, à Paris, en décembre 2015, inscrira la planification des naissances à l’ordre du jour. L’heure des solutions ayant sonné, en voilà au moins une qui pourrait facilement s’appliquer.
Un rapport de la Royal Society de Londres, People and the Planet (2012), estime que l’accès à la contraception pour les 222 millions de femmes qui en sont aujourd’hui privées réduirait les gaz à effet de serre de 8 à 15 %, « l’équivalent de stopper la déforestation partout sur la planète ». À New York, la National Academy of Sciences est plus optimiste encore : « Une baisse de la population mondiale pourrait vouloir dire une baisse de 16 à 29 % de CO2 à l’échelle mondiale », dit-elle.
Or, Le Devoir l’annonçait à la une cette semaine, le Groupe d’experts sur l’évolution du climat nous invite à réduire de 40 à 70 % les émissions de gaz toxiques d’ici 2050, et de 100 % d’ici 2100. Vu l’échec retentissant de la dernière conférence internationale sur le climat (Copenhague, 2009) et le peu d’intérêt généralement démontré pour le sevrage du pétrole, le volet « limitation des naissances » devient aujourd’hui de plus en plus attrayant. Mais la proposition n’en demeure pas moins controversée.
D’abord, 200 ans après que Thomas Malthus eut prédit, à tort, une catastrophe alimentaire si la population mondiale n’était pas contenue, on hésite toujours à jouer la carte de la surpopulation. Les environnementalistes ont longtemps refusé de se pencher sur cette question de peur de verser dans un paternalisme malvenu vis-à-vis des pays concernés. Qui étions-nous pour dire aux pays pauvres de faire moins d’enfants ? Il y a toujours eu, comme en témoignent la Chine et sa politique d’enfant unique, quelque chose de répugnant à imposer des limites au désir, combien légitime, de faire des bébés.
De plus, la planification des naissances n’est plus au diapason depuis plusieurs années. Entre 1995 et 2008, les fonds d’aide internationale alloués à cette cause sont passés de 55 % à seulement 6 %. Ils ont presque disparu. Beaucoup d’argent a été redirigé dans des campagnes contre le sida et la malaria, mais c’est surtout le virage conservateur de bon nombre de pays donateurs (États-Unis, Canada, Australie…) qui expliquent cet abandon sur la scène internationale. En d’autres mots, les forces de gauche comme celles de droite ont toutes deux participé à enterrer la question de la régulation des naissances.
Ça ne pouvait durer. La courbe vertigineuse de la population mondiale aujourd’hui, passée d’un milliard en 1850 à sept milliards en 2011, pose définitivement problème. Nous créons actuellement l’équivalent de la population de Montréal tous les cinq jours. Au rythme où nous allons, nous aurons l’équivalent d’une autre Chine et d’une autre Inde d’ici 2050. La population aura atteint environ neuf milliards, une augmentation de deux milliards en seulement 40 ans, alors qu’il a fallu quelque 10 000 ans pour atteindre le premier milliard. Non seulement est-il improbable qu’on puisse nourrir autant de nouveaux petits affamés, nés surtout dans les pays défavorisés, mais le stress additionnel sur les ressources (eau, bois, charbon, terres agricoles…) pourrait être catastrophique.
La régulation des naissances n’est pas une panacée et n’aura jamais la même importance que la réduction de la pollution atmosphérique. Mais elle peut avoir un effet immensément bénéfique, non seulement sur l’environnement, mais sur la vie de millions de femmes, à un coût d’ailleurs très raisonnable : environ 3,7 milliards. La contraception étant l’outil par excellence de l’émancipation féminine, il y a quelque chose d’irrésistible à mener de front les combats les plus urgents, celui des femmes du tiers-monde et celui de l’environnement. Et puis, la question de la réduction des naissances est aussi en train de se discuter dans les pays industrialisés. En Grande-Bretagne, un récent sondage montre que 63 % des gens croient que les parents doivent réfléchir à l’effet qu’aurait leur progéniture sur l’environnement et 51 % pensent qu’ils devraient se contenter de deux enfants.
Au Québec, où le taux de fécondité est toujours en deçà du 2,1 (le taux de remplacement de la population), la question ne se pose toujours pas. Mais au nombre de femmes qui souhaitent actuellement un troisième et même un quatrième enfant, ce n’est peut-être que partie remise. En attendant, espérons que le prochain grand rendez-vous climatique, à Paris, en décembre 2015, inscrira la planification des naissances à l’ordre du jour. L’heure des solutions ayant sonné, en voilà au moins une qui pourrait facilement s’appliquer.
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