Comme le rat trouvé mort devant la porte du docteur Rieux, dans La peste de
Camus, l’infirmière qu’on vient d’hospitaliser pour cause d’Ebola donne
le frisson. Il s’agit de la première transmission en Amérique du Nord
et la deuxième infection, après l’infirmière espagnole, qui se passe à
l’extérieur de l’Afrique. Ça veut dire que cette peste des temps
modernes n’est pas seulement l’affaire de pays archidémunis, mais aussi
de pays riches. À défaut d’un vaccin, un tel rebondissement injecte une
dose d’humilité. On se pense avancés, protégés, inoculés et voilà qu’une
petite bactérie qu’on croit attribuable à la bave ou à l’excrément de
chauve-souris pourrait causer, dans le pire des cas, jusqu’à 500 000
morts d’ici janvier 2015. C’est plus de 10 fois le nombre de morts
canadiennes durant la Deuxième Guerre mondiale.
Ce n’est pas pour vous faire peur, mais lorsqu’on examine le
déroulement de ce qui, en l’espace seulement de deux semaines, a mené à
la mort d’un homme et à l’infection d’une infirmière du Texas, on a
quand même raison de frémir.
Le 19 septembre, Eric Duncan quitte le Liberia, pays le plus affecté
par l’Ebola (3924 cas, 2210 morts), en direction des États-Unis. À
l’aéroport, il passe l’examen médical sans problème et répond « non » au
questionnaire demandant s’il a été exposé au virus. Il s’agit d’une
fausse réponse : quatre jours plus tôt, l’homme de 42 ans accompagnait
une voisine à l’hôpital, qui meurt à peu près au moment où il prend
l’avion. M. Duncan ignorait-il que sa voisine était atteinte du virus ?
Peut-être. La femme avait récemment fait une fausse couche, dit-on. En
même temps, il est à peu près impossible, à quelques jours de la mort,
qu’elle n’ait pas eu des symptômes. Fièvre, diarrhées, vomissements
sanguinolents, la peste ébolique, comme sa vieille cousine, la peste
bubonique, ne passe pas inaperçue ; on peut aussi saigner de la bouche
et des yeux. Se croyait-il à l’abri ou voulait-il simplement retrouver
au plus vite la femme qu’il aimait, partie 16 ans plus tôt avec leur
fils pour les États-Unis, et mettre toute cette horreur derrière lui ?
Le voyage entrepris par Eric Duncan, certes pour les raisons les plus
nobles, indique quand même une première faille dans le système : le
contrôle aux frontières. Visiblement, le questionnaire n’est pas fiable.
La prise de température non plus étant donné que les symptômes peuvent
prendre jusqu’à 21 jours à se manifester. Dans le cas de M. Duncan, ils ont pris exactement 10 jours, entre le moment où il accompagne sa voisine et le moment où il se présente, fiévreux, au Texas Health Presbyterian Hospital.
Deuxième faille du système, en terre d’Amérique cette fois : le
25 septembre, Eric Duncan est renvoyé chez lui malgré une fièvre de 103
degrés Fahrenheit et ses antécédents de voyage. Trois jours plus tard,
il est transporté d’urgence au même hôpital et diagnostiqué le
surlendemain. Il meurt à peine 10 jours plus tard, malgré la prise d’une
drogue expérimentale (brincidofovir), administrée à un humain ici pour
la première fois.
Cette mort surprend quand même. Trois travailleurs de la santé
américains, infectés par le virus lors de leur passage au Liberia, sont
aujourd’hui guéris. Deux autres Américains rapatriés après un séjour
dans les pays affectés, dont un caméraman de NBC, semblent également sur
la voie de la guérison. Le Libérien et les Américains ont-ils eu droit
au même traitement ? À la suite de la bourde de l’hôpital le
25 septembre, est-on intervenu tout simplement trop tard ? Au-delà des
spéculations paranoïaques qui font rage dans les pays africains, et on
les comprend, ces questions se posent.
Troisième faille : le protocole de protection pour le personnel
hospitalier. L’infection-surprise de l’infirmière texane jette un gros
pavé dans la marre. Le directeur du Center for Disease Control and
Prevention, le Dr Thomas Frieden, vient d’ailleurs de changer de ton.
Alors qu’il affirmait le 30 septembre n’avoir « aucun doute que nous allons arrêter la maladie », il entamait sa conférence de presse lundi en disant : « Arrêter l’Ebola est difficile ».
Comme pour l’infirmière espagnole, on ne sait pas comment cette
dernière a pu s’infecter, ce qui ajoute à l’embarras. La façon d’enlever
les vêtements protecteurs pourrait être en cause. La formation ici a
visiblement fait défaut, mais il se pourrait aussi que le virus soit
encore plus contagieux que prévu. Des spécialistes américains ont
d’ailleurs découvert qu’en plus de la transmission par liquides
biologiques ou sécrétions, « le virus est présent sur la peau de patients symptomatiques, soulignant à quel point la maladie peut devenir contagieuse ».
La bonne nouvelle ? Le chien de l’infirmière, contrairement à ce qui s’est passé en Espagne, n’a pas été euthanasié.
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