Il y a des morts qui bâtissent des ponts mieux encore que le sport ou
les grandes épidémies. La mort de l’acteur Robin Williams est de
celle-là. Qu’est-ce qu’on pouvait l’aimer, cet homme ! Avez-vous vu les
rebelles syriens tenant une bannière en son hommage ? Son effigie dans
les rues de Belgrade ? Les 9826 câlins récoltés sur un site québécois ?
Ce n’est pas seulement qu’il faisait rire, qu’il savait se couler dans
la peau de Peter Pan comme dans celle d’une matrone écossaise, c’est que
Williams avait le doigt sur la vérité humaine — aussi bien dire la
fragilité humaine, comme son suicide l’illustre bien.
C’est l’autre raison, évidemment, du tsunami de commentaires depuis
une semaine. En découvrant le corps du comédien pendu au cadre de porte,
on a découvert, avec effroi, combien l’homme souffrait. On se doutait
que sa redoutable logorrhée et sa gymnastique intellectuelle n’allaient
pas sans creux de vagues (tout ce qui monte doit forcément descendre),
mais, malgré des entrevues candides sur ses dépendances et ses
dépressions, on ne savait rien de l’abîme qui le guettait.
« Je ne comprendrai jamais comment il pouvait être tant aimé et ne pas trouver dans son coeur le moyen de rester »,
écrit sur Twitter la fille de Robin Williams, Zelda, résumant le
sentiment général et, notamment, celui des proches de suicidés. Si
seulement il avait pu éloigner ses « démons », si seulement il n’avait
pas succombé au désespoir, si seulement il avait pensé à ceux et celles
qu’il laissait derrière… Pour avoir vécu d’assez près un suicide, je
sais à quel point le geste tombe comme une guillotine, choque, enrage.
C’est une plaie qui n’est comparable à aucune autre mort, mise à part
peut-être celle d’un enfant. Le commentaire de Zelda Williams est
essentiellement un reproche à son père — pourquoi m’as-tu abandonnée ? —
parfaitement compréhensible, entendons-nous, mais qui gomme en même
temps la réalité.
Il est faux de penser qu’il y avait un bon Robin, celui qui nous
faisait rire, et un mauvais, celui qui s’est tué ; un qui pétait la
santé et la bonne humeur et un autre en proie à la toxicomanie et aux
humeurs noires. Illusoire, surtout, de croire que le premier aurait pu
raisonner le second, notamment vu « tout ce qu’il possédait pour être heureux ».
Comme tous les grands dépressifs, la noirceur cohabitait ici avec la
lumière, était même à l’origine de sa bonne humeur : l’homme gambadant
sur scène, plein de mimiques et de contorsions, était un homme qui
s’exorcisait lui-même. « La comédie, c’est faire vivre l’optimisme », disait-il. Surtout quand on est un pessimiste fini, pourrait-on ajouter.
Robin Williams n’aurait pas été le comédien virtuose, l’humoriste
criant de vérité sans être simultanément pétri de peurs et d’angoisses.
Ça vient avec. « La dépression est un sous-produit de la conscience humaine », explique l’écrivain Michael Redhill dans un article du Globe and Mail. « La
raison pour laquelle autant de personnes intelligentes et créatives
souffrent de dépression, c’est que prendre le risque d’être entièrement
conscient ouvre une boîte de Pandore qu’il est impossible ensuite de
refermer. L’alcool, les drogues, les dépendances de toutes sortes sont
des remparts contre ce qu’il y a dans la boîte. »
Il n’y a pas beaucoup de choix là-dedans, sauf celui de chercher de
l’aide, ce que Williams avait fait. Le diagnostic de parkinson a-t-elle
été la goutte ? Qui sait, mais pour quelqu’un qui chassait la déprime
par le travail — « le seul traitement est l’exercice et le travail »,
dit Redhill — la maladie le condamnait certainement à la noirceur. Et
bien que ça puisse paraître épouvantablement égoïste, sa décision de « ne pas rester » est venue au prix de combien de souffrances, combien de pensées morbides ? « Les
pensées suicidaires deviennent des actions suicidaires lorsque l’idée
de vos proches recueillis sur votre tombe ne suffit plus à vous en
éloigner », poursuit Redhill. À un moment donné,
la douleur subie l’emporte sur tout le reste, incluant l’amour qui leur
est porté, amour qui, de toute façon, est toujours difficilement
recevable par les grands déprimés qui « ne croient pas l’avoir mérité ». C’est une des mauvaises blagues de la vie que les gens qu’on aime le plus sont souvent ceux qui s’aiment le moins.
Ce qui choque dans le suicide, c’est qu’il est perçu comme une
violence gratuite, une espèce d’insulte à toutes les belles choses de la
vie, alors qu’il s’agit, en fait, d’une libération pour celui ou celle
qui passe aux actes. Un geste qui, loin de nier ce que la personne a
été, met en relief une extraordinaire sensibilité humaine. De tous les
messages laissés à Robin Williams après sa mort, peut-être le plus à
propos est celui qui, faisant référence à son rôle dans Aladdin, disait : « Genie, you are free. »
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