La récente controverse entourant le ministre Bolduc aura fait
comprendre une chose : une partie importante des médecins du Québec
marche à l’argent. Partout où l’on regarde, on est frappé par des
chiffres astronomiques : la prime à l’inscription du Dr Bolduc
(215 000 $), l’indemnité de départ du Dr Barrette (1,2 million), la
moyenne salariale d’un radiologiste (628 819 $), voire d’un simple
médecin de famille (264 673 $). Chiffres auxquels on pourrait ajouter
les incitations financières pour pratiquer en région (salaire majoré à
145 % pour un médecin spécialiste, augmentation de 30 % pour un médecin
de famille), pour ne rien dire du salaire du Dr Couillard du temps où il
conseillait le ministre de la Santé saoudien, et qui demeure à ce jour
secret.
On sait évidemment depuis longtemps que les médecins gagnent très
au-dessus de la moyenne. Et on veut bien, vu leurs études spécialisées
et l’importance qu’ils ont dans un système démocratique. Mais la récente
controverse a mis à nu un rapport de force qui va bien au-delà, une
espèce de prostitution qui se fait au nom d’une meilleure gestion de la
santé où, en échange d’argent sonnant, on donne un service qui devrait
être donné normalement, naturellement, dans l’ordre normal des choses.
Un problème certainement plus grave que l’engorgement à l’urgence et la
danse des 7 voiles des groupes de médecins de famille.
Déjà, on soupçonnait le paiement à l’acte d’introduire un
mercantilisme un brin malsain dans le système de soins. Bien des études
le disent, la rémunération à la pièce incite « les médecins à travailler de façon individualiste et parfois à rester insensibles aux demandes de personnes souffrantes ».
Mais le chantage financier qui désormais sous-tend le système de santé,
où l’on graisse la patte d’un médecin simplement pour s’assurer qu’il
prend le nombre adéquat de patients, laisse bouche bée. Pire, il est la
meilleure indication qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume.
Ce n’est pas moi qui le dis, mais le docteur en économie et
professeur au Département d’administration de la santé de l’Université
de Montréal, André-Pierre Contandriopoulos, auteur d’un texte qui
circule abondamment dans le milieu de la santé, «Inertie et changement ».
À ce que je sache, M. Contandriopoulos ne s’est pas prononcé sur la
question Bolduc, mais son analyse de la paralysie du système de santé
québécois y répond néanmoins.
Il y a plusieurs explications à la crise qui sévit depuis 40 ans dans
le secteur de la santé, en commençant par la complexité du système,
mais la principale, selon lui, tient à un conflit de valeurs.
C’est-à-dire que les valeurs qui sous-tendent le type de système que
nous nous sommes donné depuis la seconde Grande Guerre, et qui
d’ailleurs font notre fierté — égalité, liberté, efficacité — sont en
collision frontale avec les exigences de rentabilité du système. La
notion de soigner la population, toute la population et gratuitement
par-dessus le marché, notion magnanime s’il y en a une, à laquelle vient
s’ajouter le serment d’Hippocrate, beaucoup de vertu là aussi, se casse
périodiquement la gueule sur une combinaison de chiquage de guenille
entre différents paliers d’intervenants (professionnels, technocrates,
marchands, politiciens) et d’innovations technologiques qui changent
constamment les façons de faire.
Le réputé docteur donne comme exemple la rémunération des médecins et l’accessibilité aux médecins de famille pour « illustrer l’étonnante inertie du système de soins ».
Dans un cas comme de l’autre, il démontre comment les mêmes diagnostics
ont été posés tous les 10 ans environ, commençant par la commission
Castonguay-Nepveu en 1970 jusqu’à la commission Clair en 2000, sans que
rien, ou presque, ne change.
À la lumière de la récente controverse, on peut dire qu’il y a quand
même une chose qui change, magnifiquement illustrée, d’ailleurs, par la
prise de bec entre l’ex-ministre de la Santé Claude Castonguay et le
ministre actuel, Gaétan Barrette : le rapport à l’argent. Le bras de fer
constant entre les valeurs d’entraide et de compassion qui sous-tendent
le travail de soignant, défendu avec vigueur par M. Castonguay, et un
système de plus en plus axé sur l’argent, qui récompense le dévouement à
coups de carottes en or, défendu par M. Barrette, illustre bien la
dérive dans laquelle on se trouve.
Le Dr Barrette a beau tenter de discréditer son adversaire en le traitant, à mots couverts, de « vieux »,
tout le monde sait que c’est l’ancien ministre libéral qui a raison.
C’est de la vision humaniste d’un Claude Castonguay dont le système de
santé a besoin, plutôt que de la vision « au plus fort la poche » défendue, non sans acrimonie, par Gaétan Barrette.
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