La grande suffragette Thérèse Casgrain vient de s’ajouter à la liste
des choses qui ont disparu sous Stephen Harper : le Parti
progressiste-conservateur, le questionnaire long du recensement, le
programme national de garderies, les programmes de planification des
naissances à l’étranger qui incluent l’avortement, l’Agence canadienne
de contrôle de la procréation assistée, le Conseil national du bien-être
social, le protocole de Kyoto, un programme national de réduction des
gaz à effet de serre, la zone de protection marine du Bas-Saint-Laurent,
pour ne rien dire du terme « combattre la pauvreté », et l’intégrité du
Sénat. Ah, et n’oublions pas les cennes noires.
De la part du grand Houdini de la politique canadienne, le geste ne
surprend pas. On sait combien M. Harper tente de refaire le Canada à son
image depuis son arrivée au pouvoir. Dans une entrevue accordée à Paul
Wells du magazine Maclean’s, en 2008, Harper disait vouloir supplanter les libéraux comme « natural governing party » et que, pour y arriver, il fallait positionner le Parti conservateur « un peu plus au centre », mais aussi « rendre le centre politique plus conservateur. » C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’Oxfam Canada vient d’être sommé de retirer les mots « combattre la pauvreté »
de sa charte sous peine de perdre son statut charitable. Abolir les
inégalités n’est pas un objectif que le gouvernement conservateur est
prêt à endosser. Peu surprenant, alors, que la pionnière de l’égalité
hommes-femmes, et première femme à la tête d’un parti politique, Thérèse
Casgrain, n’ait pas trouvé faveur aux yeux du chef conservateur.
Éliminée du billet de 50 $ pour faire place à un brise-glace en 2012, l’Arctique faisant partie du branding
conservateur de Stephen Harper, on découvre maintenant que Thérèse
Casgrain ne coiffe plus le Prix du bénévolat, créé en son honneur en
1982, un an après sa mort. La récompense annuelle a subrepticement été
rebaptisée les Prix du bénévolat du premier ministre. Remarquez qu’on
aurait pu trouver mieux que le bénévolat pour honorer celle qui s’est
battue pour le droit de vote des femmes, geste révolutionnaire à
l’époque. Le bénévolat, en comparaison, est à des années-lumière. Les
méchantes langues diraient que le bénévolat existe pour déculpabiliser
les conservateurs qui prêchent le désengagement de l’État. Plus un
gouvernement se défile, plus les individus doivent mettre la main à la
pâte. Peu surprenant que l’actuel premier ministre veuille donner son
nom à un prix récompensant ce type d’engagement.
Vivement des élections
Mais le fait de rayer la grande dame de la politique québécoise de la
carte laisse quand même songeur. Qui de son féminisme ou de son
appartenance québécoise importunaient le plus, pensez-vous ? On se le
demande. Dès son élection en 2006, Harper a montré de quel bois il se
chauffait en ce qui concerne les femmes : outre l’abandon du programme
des garderies, la réduction massive du financement des groupes de femmes
(tout en augmentant celui des groupes religieux), la fermeture de 12
des 16 bureaux de Condition féminine Canada, la remise en question de
l’équité salariale, la réduction des recours juridiques permettant aux
femmes de porter plainte. Ensuite, interdiction d’inclure l’avortement
dans les programmes de planification des naissances subventionnés par le
Canada à l’étranger, refus de créer un plan de lutte contre la violence
faite aux femmes, abolition du programme pour la santé des femmes et,
bien sûr, recul notoire de la représentation féminine. Le Canada est
tombé en 2012 du 18e au 21e rang, derrière les Philippines, la Lettonie,
Cuba et le Nicaragua, en ce qui concerne les écarts économiques entre
les hommes et les femmes, et est actuellement au 55e rang mondial,
derrière Singapour, le Kazakhstan et la Mauritanie, pour ce qui est des
femmes au Parlement.
Depuis que les Québécois ont massivement tourné le dos à Harper, aux
élections 2011, l’actuel PM ne s’est pas toujours montré tendre envers
le Québec, non plus. En plus d’une réduction importante dans les
transferts aux provinces, la réforme de l’assurance-emploi, l’abolition
progressive du contrôle des armes à feu et le projet de commission
pancanadienne de valeurs mobilières sont toutes des mesures qui
affectent particulièrement durement la province. Aujourd’hui, pour
comble d’insulte, Stephen Harper en rajoute en osant s’approprier le « recul des forces souverainistes », pensant ainsi gagner les coeurs des fédéralistes québécois.
Vivement les prochaines élections fédérales pour être enfin débarrassé de la bravade et des coups bas.
mercredi 30 juillet 2014
mercredi 23 juillet 2014
Tant pis pour les avions
On y pense tous, même ceux qui disent ne jamais y penser, un avion
qui défaille, qui tombe, qui explose. Impossible d’avoir vécu ce grand
tour de magie qui implique de quitter la terre, de rejoindre les nuages,
de parcourir le globe à toute vitesse sans qu’un jour la magie cède le
pas au doute, un malaise gros comme un ver de terre mais qui vous
traverse inlassablement, régulièrement, sporadiquement (selon qui vous
êtes) l’esprit. On connaît tous des gens qui ont dit adieu au Louvre, au
Colisée, aux temples cambodgiens, qui se privent des merveilles du
monde à force de s’imaginer ce qui pourrait arriver, avant d’y arriver.
On connaît tous des histoires d’accidents d’avion, accidents bêtes qui
n’arrivent pas souvent mais qui arrivent quand même. Mais ça ? Un avion
rempli de vacanciers et de spécialistes du sida abattu en plein vol par
des rebelles prorusses un peu trop portés sur la vodka ?
« Tant pis pour les avions », aurait dit un des combattants à cagoule en apprenant la nouvelle. « C’est la guerre. »
Je ne sais pas si j’aurais eu assez d’imagination pour entretenir un tel scénario sans y être maintenant obligée. Pour ce qui est de mettre le conflit ukrainien sur la carte, c’est réussi, par contre. Dire que j’aurais pu ne jamais m’intéresser au mercenaire sanguinaire et leader autoproclamé des rebelles, Igor Strelkov, Girkin de son vrai nom. Un habitué des services secrets russes et des guerres tchétchène et yougoslave, Strelkov se serait vanté après la descente de l’avion : « On vous avait averti de vous tenir loin. » Informé de quel avion il s’agissait, l’homme de 43 ans, admirateur de Staline et des Mercedes noires au verre teinté, aurait corrigé le tir sur VK.com, le Facebook russe, en affirmant : « Tous les passagers ne sont pas morts avant l’écrasement. » Comme si l’horreur en redemandait, l’homme fort de Donetsk proposait ainsi la théorie tirée par les cheveux de tirs provenant de l’armée ukrainienne, avancée à ce jour par Moscou.
Le contraste entre ceux qui tiraient, en bas, et ceux qui mouraient, en haut, vous aura peut-être frappé, vous aussi. La liste des victimes du vol MH17 est un crève-coeur inimaginable : Tessa van der Sande, 26 ans, agente de programmation à Amnistie internationale Amsterdam, en route pour l’Indonésie avec ses parents et son frère. Cor Sheelder, 33 ans, et Neeltje Tol, 30 ans, couple de fleuristes néerlandais, en route pour des vacances de rêve eux aussi. Nick Norris, 68 ans, et ses trois petits-enfants, Moi, 12 ans, Evie, 10 ans et Otis Maislan, regagnaient l’Australie après un séjour en Europe. C’est sans compter le sénateur néerlandais, le romancier australien et sa femme, le pilote d’hélicoptère sud-africain, l’actrice indonésienne, son mari néerlandais et leur bébé d’un an, l’étudiant en médecine canadien, et j’en passe. Et bien sûr, le professeur Joep Lange, 59 ans, un homme qui a donné les 30 dernières années de sa vie à rendre accessibles les médicaments contre le VIH. « Si une cannette de Coca-Cola froide peut être disponible partout en Afrique, disait-il, alors les médicaments contre le sida aussi. »
Le fleuriste d’Amsterdam, musicien à ses heures, avait pris soin, lui, d’inscrire sur Facebook certaines étapes de son aventure indonésienne. Sa dernière entrée incluait une photo de l’avion MH17, l’exact même modèle porté disparu en mars dernier. « Voici à quoi ressemble l’avion, au cas où il disparaîtrait », écrit-il, le coeur, on imagine, léger.
Cinq jours après le drame, les boîtes noires ont enfin été remises aux autorités malaisiennes et 282 corps sont sur le point d’être rapatriés aux Pays-Bas, d’où provient la majorité des victimes. Les champs de blé et de tournesols où l’avion s’est fracassé en mille morceaux sont toujours jonchés de cartes d’embarquement, de photos de bébés, de documents scientifiques. La bonne nouvelle ? La destruction sauvage du vol MH17 est aujourd’hui un événement de portée internationale et le conflit en Ukraine, vu enfin pour ce qu’il est : une guerre fomentée par Moscou, une invasion de territoire comme on n’a pas vu depuis la Deuxième Guerre, une menace à l’unité et à la démocratie européennes.
La mort de 298 innocents est inscrite désormais dans les annales de crimes de guerre et aura souligné magistralement l’inhumanité de certains conflits.
« Tant pis pour les avions », aurait dit un des combattants à cagoule en apprenant la nouvelle. « C’est la guerre. »
Je ne sais pas si j’aurais eu assez d’imagination pour entretenir un tel scénario sans y être maintenant obligée. Pour ce qui est de mettre le conflit ukrainien sur la carte, c’est réussi, par contre. Dire que j’aurais pu ne jamais m’intéresser au mercenaire sanguinaire et leader autoproclamé des rebelles, Igor Strelkov, Girkin de son vrai nom. Un habitué des services secrets russes et des guerres tchétchène et yougoslave, Strelkov se serait vanté après la descente de l’avion : « On vous avait averti de vous tenir loin. » Informé de quel avion il s’agissait, l’homme de 43 ans, admirateur de Staline et des Mercedes noires au verre teinté, aurait corrigé le tir sur VK.com, le Facebook russe, en affirmant : « Tous les passagers ne sont pas morts avant l’écrasement. » Comme si l’horreur en redemandait, l’homme fort de Donetsk proposait ainsi la théorie tirée par les cheveux de tirs provenant de l’armée ukrainienne, avancée à ce jour par Moscou.
Le contraste entre ceux qui tiraient, en bas, et ceux qui mouraient, en haut, vous aura peut-être frappé, vous aussi. La liste des victimes du vol MH17 est un crève-coeur inimaginable : Tessa van der Sande, 26 ans, agente de programmation à Amnistie internationale Amsterdam, en route pour l’Indonésie avec ses parents et son frère. Cor Sheelder, 33 ans, et Neeltje Tol, 30 ans, couple de fleuristes néerlandais, en route pour des vacances de rêve eux aussi. Nick Norris, 68 ans, et ses trois petits-enfants, Moi, 12 ans, Evie, 10 ans et Otis Maislan, regagnaient l’Australie après un séjour en Europe. C’est sans compter le sénateur néerlandais, le romancier australien et sa femme, le pilote d’hélicoptère sud-africain, l’actrice indonésienne, son mari néerlandais et leur bébé d’un an, l’étudiant en médecine canadien, et j’en passe. Et bien sûr, le professeur Joep Lange, 59 ans, un homme qui a donné les 30 dernières années de sa vie à rendre accessibles les médicaments contre le VIH. « Si une cannette de Coca-Cola froide peut être disponible partout en Afrique, disait-il, alors les médicaments contre le sida aussi. »
Le fleuriste d’Amsterdam, musicien à ses heures, avait pris soin, lui, d’inscrire sur Facebook certaines étapes de son aventure indonésienne. Sa dernière entrée incluait une photo de l’avion MH17, l’exact même modèle porté disparu en mars dernier. « Voici à quoi ressemble l’avion, au cas où il disparaîtrait », écrit-il, le coeur, on imagine, léger.
Cinq jours après le drame, les boîtes noires ont enfin été remises aux autorités malaisiennes et 282 corps sont sur le point d’être rapatriés aux Pays-Bas, d’où provient la majorité des victimes. Les champs de blé et de tournesols où l’avion s’est fracassé en mille morceaux sont toujours jonchés de cartes d’embarquement, de photos de bébés, de documents scientifiques. La bonne nouvelle ? La destruction sauvage du vol MH17 est aujourd’hui un événement de portée internationale et le conflit en Ukraine, vu enfin pour ce qu’il est : une guerre fomentée par Moscou, une invasion de territoire comme on n’a pas vu depuis la Deuxième Guerre, une menace à l’unité et à la démocratie européennes.
La mort de 298 innocents est inscrite désormais dans les annales de crimes de guerre et aura souligné magistralement l’inhumanité de certains conflits.
mercredi 16 juillet 2014
La morale de l'argent
La récente controverse entourant le ministre Bolduc aura fait
comprendre une chose : une partie importante des médecins du Québec
marche à l’argent. Partout où l’on regarde, on est frappé par des
chiffres astronomiques : la prime à l’inscription du Dr Bolduc
(215 000 $), l’indemnité de départ du Dr Barrette (1,2 million), la
moyenne salariale d’un radiologiste (628 819 $), voire d’un simple
médecin de famille (264 673 $). Chiffres auxquels on pourrait ajouter
les incitations financières pour pratiquer en région (salaire majoré à
145 % pour un médecin spécialiste, augmentation de 30 % pour un médecin
de famille), pour ne rien dire du salaire du Dr Couillard du temps où il
conseillait le ministre de la Santé saoudien, et qui demeure à ce jour
secret.
On sait évidemment depuis longtemps que les médecins gagnent très au-dessus de la moyenne. Et on veut bien, vu leurs études spécialisées et l’importance qu’ils ont dans un système démocratique. Mais la récente controverse a mis à nu un rapport de force qui va bien au-delà, une espèce de prostitution qui se fait au nom d’une meilleure gestion de la santé où, en échange d’argent sonnant, on donne un service qui devrait être donné normalement, naturellement, dans l’ordre normal des choses. Un problème certainement plus grave que l’engorgement à l’urgence et la danse des 7 voiles des groupes de médecins de famille.
Déjà, on soupçonnait le paiement à l’acte d’introduire un mercantilisme un brin malsain dans le système de soins. Bien des études le disent, la rémunération à la pièce incite « les médecins à travailler de façon individualiste et parfois à rester insensibles aux demandes de personnes souffrantes ». Mais le chantage financier qui désormais sous-tend le système de santé, où l’on graisse la patte d’un médecin simplement pour s’assurer qu’il prend le nombre adéquat de patients, laisse bouche bée. Pire, il est la meilleure indication qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume.
Ce n’est pas moi qui le dis, mais le docteur en économie et professeur au Département d’administration de la santé de l’Université de Montréal, André-Pierre Contandriopoulos, auteur d’un texte qui circule abondamment dans le milieu de la santé, «Inertie et changement ». À ce que je sache, M. Contandriopoulos ne s’est pas prononcé sur la question Bolduc, mais son analyse de la paralysie du système de santé québécois y répond néanmoins.
Il y a plusieurs explications à la crise qui sévit depuis 40 ans dans le secteur de la santé, en commençant par la complexité du système, mais la principale, selon lui, tient à un conflit de valeurs. C’est-à-dire que les valeurs qui sous-tendent le type de système que nous nous sommes donné depuis la seconde Grande Guerre, et qui d’ailleurs font notre fierté — égalité, liberté, efficacité — sont en collision frontale avec les exigences de rentabilité du système. La notion de soigner la population, toute la population et gratuitement par-dessus le marché, notion magnanime s’il y en a une, à laquelle vient s’ajouter le serment d’Hippocrate, beaucoup de vertu là aussi, se casse périodiquement la gueule sur une combinaison de chiquage de guenille entre différents paliers d’intervenants (professionnels, technocrates, marchands, politiciens) et d’innovations technologiques qui changent constamment les façons de faire.
Le réputé docteur donne comme exemple la rémunération des médecins et l’accessibilité aux médecins de famille pour « illustrer l’étonnante inertie du système de soins ». Dans un cas comme de l’autre, il démontre comment les mêmes diagnostics ont été posés tous les 10 ans environ, commençant par la commission Castonguay-Nepveu en 1970 jusqu’à la commission Clair en 2000, sans que rien, ou presque, ne change.
À la lumière de la récente controverse, on peut dire qu’il y a quand même une chose qui change, magnifiquement illustrée, d’ailleurs, par la prise de bec entre l’ex-ministre de la Santé Claude Castonguay et le ministre actuel, Gaétan Barrette : le rapport à l’argent. Le bras de fer constant entre les valeurs d’entraide et de compassion qui sous-tendent le travail de soignant, défendu avec vigueur par M. Castonguay, et un système de plus en plus axé sur l’argent, qui récompense le dévouement à coups de carottes en or, défendu par M. Barrette, illustre bien la dérive dans laquelle on se trouve.
Le Dr Barrette a beau tenter de discréditer son adversaire en le traitant, à mots couverts, de « vieux », tout le monde sait que c’est l’ancien ministre libéral qui a raison. C’est de la vision humaniste d’un Claude Castonguay dont le système de santé a besoin, plutôt que de la vision « au plus fort la poche » défendue, non sans acrimonie, par Gaétan Barrette.
On sait évidemment depuis longtemps que les médecins gagnent très au-dessus de la moyenne. Et on veut bien, vu leurs études spécialisées et l’importance qu’ils ont dans un système démocratique. Mais la récente controverse a mis à nu un rapport de force qui va bien au-delà, une espèce de prostitution qui se fait au nom d’une meilleure gestion de la santé où, en échange d’argent sonnant, on donne un service qui devrait être donné normalement, naturellement, dans l’ordre normal des choses. Un problème certainement plus grave que l’engorgement à l’urgence et la danse des 7 voiles des groupes de médecins de famille.
Déjà, on soupçonnait le paiement à l’acte d’introduire un mercantilisme un brin malsain dans le système de soins. Bien des études le disent, la rémunération à la pièce incite « les médecins à travailler de façon individualiste et parfois à rester insensibles aux demandes de personnes souffrantes ». Mais le chantage financier qui désormais sous-tend le système de santé, où l’on graisse la patte d’un médecin simplement pour s’assurer qu’il prend le nombre adéquat de patients, laisse bouche bée. Pire, il est la meilleure indication qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume.
Ce n’est pas moi qui le dis, mais le docteur en économie et professeur au Département d’administration de la santé de l’Université de Montréal, André-Pierre Contandriopoulos, auteur d’un texte qui circule abondamment dans le milieu de la santé, «Inertie et changement ». À ce que je sache, M. Contandriopoulos ne s’est pas prononcé sur la question Bolduc, mais son analyse de la paralysie du système de santé québécois y répond néanmoins.
Il y a plusieurs explications à la crise qui sévit depuis 40 ans dans le secteur de la santé, en commençant par la complexité du système, mais la principale, selon lui, tient à un conflit de valeurs. C’est-à-dire que les valeurs qui sous-tendent le type de système que nous nous sommes donné depuis la seconde Grande Guerre, et qui d’ailleurs font notre fierté — égalité, liberté, efficacité — sont en collision frontale avec les exigences de rentabilité du système. La notion de soigner la population, toute la population et gratuitement par-dessus le marché, notion magnanime s’il y en a une, à laquelle vient s’ajouter le serment d’Hippocrate, beaucoup de vertu là aussi, se casse périodiquement la gueule sur une combinaison de chiquage de guenille entre différents paliers d’intervenants (professionnels, technocrates, marchands, politiciens) et d’innovations technologiques qui changent constamment les façons de faire.
Le réputé docteur donne comme exemple la rémunération des médecins et l’accessibilité aux médecins de famille pour « illustrer l’étonnante inertie du système de soins ». Dans un cas comme de l’autre, il démontre comment les mêmes diagnostics ont été posés tous les 10 ans environ, commençant par la commission Castonguay-Nepveu en 1970 jusqu’à la commission Clair en 2000, sans que rien, ou presque, ne change.
À la lumière de la récente controverse, on peut dire qu’il y a quand même une chose qui change, magnifiquement illustrée, d’ailleurs, par la prise de bec entre l’ex-ministre de la Santé Claude Castonguay et le ministre actuel, Gaétan Barrette : le rapport à l’argent. Le bras de fer constant entre les valeurs d’entraide et de compassion qui sous-tendent le travail de soignant, défendu avec vigueur par M. Castonguay, et un système de plus en plus axé sur l’argent, qui récompense le dévouement à coups de carottes en or, défendu par M. Barrette, illustre bien la dérive dans laquelle on se trouve.
Le Dr Barrette a beau tenter de discréditer son adversaire en le traitant, à mots couverts, de « vieux », tout le monde sait que c’est l’ancien ministre libéral qui a raison. C’est de la vision humaniste d’un Claude Castonguay dont le système de santé a besoin, plutôt que de la vision « au plus fort la poche » défendue, non sans acrimonie, par Gaétan Barrette.
mercredi 9 juillet 2014
L'Écosse
J’arrive de deux semaines de villégiature écossaise, destination
choisie tant pour ses spectaculaires plateaux de verdure que pour ses
penchants indépendantistes. On ne peut pas être Québécois en Écosse sans
se demander, et le demander constamment autour de soi, comment les gens
voteront le 18 septembre prochain. L’Écosse devrait-elle être un pays
indépendant ? C’est la question simple et précise, élaborée par une
commission électorale, qui sera bientôt posée aux trois millions
d’Écossais en âge de voter.
Surprendront-ils le monde entier en votant « aye », ou suivront-ils les sondages en votant non ? C’est la tendance depuis un an, mais encore faut-il voir le sondage. En juin, on demandait aux électeurs : « Si vous étiez certain que David Cameron demeurerait au pouvoir en 2015, comment voteriez-vous au référendum ? » Réponse : oui, 44 %, non, 38 %, indécis, 18 %. Tout n’est donc pas encore joué.
À quelques mois du moment tant attendu, on s’attendrait à un peu de trépidation. Je ne l’ai pas sentie. Mis à part une fenêtre ou deux arborant un gros Yes !, les manchettes d’usage et, si par hasard vous vous aventurez à la chambre des débats du Parlement écossais, quelques envolées de la part de députés, dont deux références peu flatteuses au Québec, bref, mis à part ces petites étincelles, on ne sent pas le pays sur le point de remettre en question 300 ans d’histoire.
Les Écossais ont cédé à l’Angleterre leur indépendance, et jusqu’à leur Parlement, en 1707, sans trop de pleurs ou de grincements de dents, pour des raisons essentiellement économiques, après s’être partagé les mêmes monarques pendant plus de 100 ans. L’Écosse a une histoire diamétralement opposée à la nôtre, en d’autres mots. L’ultime conquête s’est faite sans heurts, l’intégration étant commencée depuis fort longtemps, conquis et conquérants parlant une langue commune depuis des siècles. Dans ce petit pays où l’on compte 6,74 millions de moutons pour 5,3 millions d’humains, seulement 1,1 % de la population parle encore le gaélique. En plus, les Écossais ont attendu jusqu’en 1997 avant d’exiger de ravoir leur Parlement. Pas de bombes, pas de peur de disparaître, pas d’aliénation culturelle profonde avec ses voisins. Seulement, et c’est ce qui explique l’animosité vis-à-vis de Cameron, l’Écosse est beaucoup plus sociale-démocrate que le grand frère anglais.
Le Québécois égaré sur le Royal Mile à Édimbourg, à quelques pas d’où vit la reine Elizabeth quelques semaines par année, pourrait bien se demander quelle mouche les a piqués, pourquoi soudainement se lancer tête baissée dans cette « fantaisie », pour reprendre les termes des pro-unionistes. Deux choses. D’abord, l’Écosse, en plus de son whisky vendu à travers le monde au coût de 5 milliards de dollars par année, peut compter, depuis quelques décennies, sur d’importantesréserves de pétrole. Ça donne un pied sur lequel danser. Ensuite, Alex Salmond et son parti indépendantiste, le Scottish National Party (SNP), une fois élus en 2011, ont immédiatement mis leur programme en application, sans demi-mesures ou questions tarabiscotées, sans promesses de « bon gouvernement » ou autres diversions. Cap sur l’indépendance.
Peu surprenant que le premier ministre écossais ait tourné le dos à Pauline Marois, lors de son passage, il y a un an et demi. Le Québec n’est absolument pas une référence en Écosse à l’heure actuelle. Il suffit d’être une touriste québécoise dans un pub édimbourgeois, un soir d’été, pour le comprendre. Le pire scénario serait un « Montreal job », dit un enseignant à la retraite, Andrew Murray Todd. Il veut dire un résultat kif-kif comme en 95. Et puis, à la chambre des débats, des députés de l’opposition parlent de la situation québécoise comme d’un « neverendum », une affaire qui ne finit plus et qui tourne en rond.
Autrement, ce sont beaucoup les mêmes arguments entendus ici qui dominent. La campagne du Better Together accuse le SNP de rêver en couleur et de démoniser Westminster. La campagne du Yes Scotland accuse les unionistes de refuser de vivre dans un « pays normal » et d’être nés pour un petit pain. « C’est la peur du côté du Non et l’espoir du côté du Oui », résume un vendeur de bon whisky, un Néo-Zélandais venu vivre sa passion du malt écossais à Édimbourg.
Pour ce que ça vaut, ma petite enquête a révélé que ceux qui ont des liens avec l’Angleterre ont tendance à se prononcer contre l’indépendance, alors que les autres sont en pour. « C’est une occasion qui ne reviendra plus », dit une jeune enseignante du nord du pays, Laura Mennie. Pour les purs laines, il est évident que l’Écosse n’est pas l’Angleterre, culturellement autant que politiquement, et que l’union les dessert.
La tête ou le coeur ? Qui des deux l’emportera en septembre prochain ? Les paris sont ouverts.
Surprendront-ils le monde entier en votant « aye », ou suivront-ils les sondages en votant non ? C’est la tendance depuis un an, mais encore faut-il voir le sondage. En juin, on demandait aux électeurs : « Si vous étiez certain que David Cameron demeurerait au pouvoir en 2015, comment voteriez-vous au référendum ? » Réponse : oui, 44 %, non, 38 %, indécis, 18 %. Tout n’est donc pas encore joué.
À quelques mois du moment tant attendu, on s’attendrait à un peu de trépidation. Je ne l’ai pas sentie. Mis à part une fenêtre ou deux arborant un gros Yes !, les manchettes d’usage et, si par hasard vous vous aventurez à la chambre des débats du Parlement écossais, quelques envolées de la part de députés, dont deux références peu flatteuses au Québec, bref, mis à part ces petites étincelles, on ne sent pas le pays sur le point de remettre en question 300 ans d’histoire.
Les Écossais ont cédé à l’Angleterre leur indépendance, et jusqu’à leur Parlement, en 1707, sans trop de pleurs ou de grincements de dents, pour des raisons essentiellement économiques, après s’être partagé les mêmes monarques pendant plus de 100 ans. L’Écosse a une histoire diamétralement opposée à la nôtre, en d’autres mots. L’ultime conquête s’est faite sans heurts, l’intégration étant commencée depuis fort longtemps, conquis et conquérants parlant une langue commune depuis des siècles. Dans ce petit pays où l’on compte 6,74 millions de moutons pour 5,3 millions d’humains, seulement 1,1 % de la population parle encore le gaélique. En plus, les Écossais ont attendu jusqu’en 1997 avant d’exiger de ravoir leur Parlement. Pas de bombes, pas de peur de disparaître, pas d’aliénation culturelle profonde avec ses voisins. Seulement, et c’est ce qui explique l’animosité vis-à-vis de Cameron, l’Écosse est beaucoup plus sociale-démocrate que le grand frère anglais.
Le Québécois égaré sur le Royal Mile à Édimbourg, à quelques pas d’où vit la reine Elizabeth quelques semaines par année, pourrait bien se demander quelle mouche les a piqués, pourquoi soudainement se lancer tête baissée dans cette « fantaisie », pour reprendre les termes des pro-unionistes. Deux choses. D’abord, l’Écosse, en plus de son whisky vendu à travers le monde au coût de 5 milliards de dollars par année, peut compter, depuis quelques décennies, sur d’importantesréserves de pétrole. Ça donne un pied sur lequel danser. Ensuite, Alex Salmond et son parti indépendantiste, le Scottish National Party (SNP), une fois élus en 2011, ont immédiatement mis leur programme en application, sans demi-mesures ou questions tarabiscotées, sans promesses de « bon gouvernement » ou autres diversions. Cap sur l’indépendance.
Peu surprenant que le premier ministre écossais ait tourné le dos à Pauline Marois, lors de son passage, il y a un an et demi. Le Québec n’est absolument pas une référence en Écosse à l’heure actuelle. Il suffit d’être une touriste québécoise dans un pub édimbourgeois, un soir d’été, pour le comprendre. Le pire scénario serait un « Montreal job », dit un enseignant à la retraite, Andrew Murray Todd. Il veut dire un résultat kif-kif comme en 95. Et puis, à la chambre des débats, des députés de l’opposition parlent de la situation québécoise comme d’un « neverendum », une affaire qui ne finit plus et qui tourne en rond.
Autrement, ce sont beaucoup les mêmes arguments entendus ici qui dominent. La campagne du Better Together accuse le SNP de rêver en couleur et de démoniser Westminster. La campagne du Yes Scotland accuse les unionistes de refuser de vivre dans un « pays normal » et d’être nés pour un petit pain. « C’est la peur du côté du Non et l’espoir du côté du Oui », résume un vendeur de bon whisky, un Néo-Zélandais venu vivre sa passion du malt écossais à Édimbourg.
Pour ce que ça vaut, ma petite enquête a révélé que ceux qui ont des liens avec l’Angleterre ont tendance à se prononcer contre l’indépendance, alors que les autres sont en pour. « C’est une occasion qui ne reviendra plus », dit une jeune enseignante du nord du pays, Laura Mennie. Pour les purs laines, il est évident que l’Écosse n’est pas l’Angleterre, culturellement autant que politiquement, et que l’union les dessert.
La tête ou le coeur ? Qui des deux l’emportera en septembre prochain ? Les paris sont ouverts.
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