Comme si les nouvelles n’étaient pas suffisamment déprimantes (déficits, décroissance, désastres environnementaux…), la « radiographie d’une génération » proposée par le dernier sondage CROP-La Presse pourrait
plomber le moral pour de bon. Ce n’est pas tant la désaffection
souverainiste ici qui surprend, mais plutôt le portrait de jeunes
individualistes (« mon job, ma voiture, ma famille »),
apolitiques et fiers de l’être, indifférents à tout sauf l’argent, qui
désarçonne. La Révolution tranquille, la Crise d’octobre, l’élection du
Parti québécois, la lutte des femmes, les batailles constitutionnelles,
l’écologie ? Pour les trois quarts des 18-24 ans, c’est comme si rien de
tout ça n’avait existé. Le sondage peint un portrait d’un Québec
désengagé, ignorant de son passé et replié sur lui-même. Bref,
insignifiant. Si on fait fi des « souverainistes progressistes » — plus
éduqués, plus politiques et plus ouverts sur le monde, un maigre 19 %,
il n’y a pas de quoi se féliciter —, environ le tiers des sondés dit
n’avoir « aucun intérêt pour ce qui se passe dans la société ». Bel avenir en perspective.
Malgré un portrait on ne peut plus morose de la jeunesse québécoise,
cet instantané jette par ailleurs un éclairage cru sur la déconfiture du
Parti québécois. D’abord, le sondage confirme non seulement que les
jeunes sont peu intéressés par la souveraineté (à 65 %), mais que ceux
qui le sont, le sont par goût de bâtir un vaste projet collectif,
comprenant tous ceux qui se disent Québécois, pas seulement les vieilles
souches. On s’en doutait, les jeunes souverainistes n’ont guère prisé
le projet de charte du PQ et, par conséquent, lui ont massivement tourné
le dos le 7 avril dernier. Si on ajoute tous ceux et celles qui n’ont
d’yeux que pour leur compte en banque, jeunes ou vieux, on aperçoit non
seulement le mur que le PQ a frappé lors des dernières élections, mais
la montagne qui se dresse désormais devant lui.
Ce que le sondage révèle de plus intéressant, en fait, c’est que la
souveraineté est intimement liée, du moins pour les jeunes, aux valeurs
progressistes et aux études. Plus on sait d’où l’on vient, plus, aussi,
on est intéressé par le vaste monde et ouvert à sa diversité, ce qui va
de pair avec une certaine connaissance du monde, plus on adhère au
projet de bâtir un pays. Vu le nationalisme conservateur qui, depuis
2007, prend de l’ampleur dans les rangs souverainistes, c’est une
révélation de taille. En d’autres mots, la catégorisation des Québécois
selon l’origine ethnique, religieuse ou autre, comme d’ailleurs la
présence d’un Pierre Karl Péladeau, n’est pas tellement porteuse
d’avenir.
Le message au PQ est donc on ne peut plus clair. La survie du parti —
enfin si l’intention est toujours de faire un pays — repose non
seulement sur la promotion décomplexée de la souveraineté — le sondage
révèle qu’il y a eu regain de ferveur chez les jeunes autour du
référendum de 1995 —, mais sur un retour en force des valeurs
progressistes. La dénaturation a assez duré. Le problème, c’est qu’il
existe déjà un parti qui incarne ces mêmes valeurs, Québec solidaire.
Problème aggravé par le fait que le terrain « de gauche » qu’occupe QS —
et c’est l’autre désopilante révélation de ce sondage — se porte assez
mal merci.
« Personnellement, je pense qu’on se préoccupe trop d’environnement au Québec, dit un représentant du “ Nouveau Québec inc. ”, Ludovic Beauregard.
Je ne pense pas que les Albertains se soient freinés à cause de
l’environnement, et ce sont eux qui enrichissent le Canada aujourd’hui. »
On lit ça et on arrête de se demander pourquoi le gouvernement
Couillard a repris à son compte les décisions controversées de la
cimenterie de Port-Daniel ainsi que l’exploration pétrolière de l’île
d’Anticosti. Selon le sondage, une majorité de jeunes Québécois n’a
d’autres préoccupations que le développement économique, peu importe
s’il s’agit, comme dans le cas de Port-Daniel, de la poudre aux yeux.
Le sondage comporte de bonnes nouvelles, c’est sûr, pour les partis
de Philippe Couillard et François Legault, puisque ce sont vers eux
qu’une majorité de jeunes se tournent. Mais à la place de ces partis, je
ne pavoiserais pas trop vite. Si l’heure n’est manifestement pas à
l’altruisme et à l’abnégation, il est difficile de croire que les
valeurs progressistes qui, n’en déplaise à l’Alberta, ont fait des
miracles au Québec depuis 50 ans, responsables à la fois de l’essor de
l’éducation, de la culture et de la langue, mais aussi de la Caisse de
dépôt et autres fleurons du (vieux) Québec inc., impossible de croire
que ces valeurs disparaîtront pour autant.
Nous sommes dans un méchant retour du balancier, mais le propre de ce
mécanisme infernal c’est, justement, de « partir dans le sens opposé ».
Une question de temps.
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