Alerte : Marcel Côté est mort. C’est par ce petit message
électronique, noyé parmi tant d’autres (les bélugas à Cacouna, le pape
en Israël, l’onde de choc en Europe…), que j’ai appris la mauvaise
nouvelle. La phrase m’est tombée dessus comme la grêle en juin.
Pourtant, ce ne sont pas les mauvaises nouvelles qui manquent. Je lisais
justement sur le dernier tueur en série, le jeune Californien qui a
décidé de venger sa solitude à coups de machette et de semi-automatique.
Combien de fois par jour se fait-on taper sur l’épaule par un geste, un
événement, une tragédie qui quémandent notre attention ? On clique et
on passe à autre chose ; il y a tant à assimiler dans une journée. Mais
pas cette fois-ci.
Il y a bien sûr la qualité de l’homme, un vrai gentleman, a-t-on
répété, une dynamo, un bâtisseur, un amoureux des arts, un homme d’idées
et de conviction. Surtout, il n’était pas nécessaire de partager les
idées de Marcel Côté, chose quand même rare, pour l’aimer. Il suscitait
l’adhésion par cette espèce de bonne humeur espiègle qui le
caractérisait, mais aussi par son franc-parler et son courage, dont
celui de se présenter aux dernières élections municipales, qualités
qu’on ne retrouve pas toujours chez les hommes d’affaires de sa stature. « Il avait l’ambition du provocateur, dit un ancien collègue de Secor, André Coupet, mais sans jamais se prendre pour un autre. »
Pour ma part, je ne l’ai croisé qu’une seule fois, lors de l’entrevue
qu’il m’a accordée pour un documentaire sur la p.-d.g. de Cinar,
Micheline Charest. En tant qu’ex-membre du conseil d’administration de
la boîte malfamée, Marcel Côté aurait bien pu, lui aussi, se défiler.
Personne ne voulait s’associer à celle qui avait participé à détourner,
pas seulement l’oeuvre de Claude Robinson, mais des centaines de
milliers de dollars. Mais, au contraire, l’homme qui avait un doigt dans
le Tout-Montréal avait de fortes opinions sur le système qui
encourageait ce type de banditisme à cravate, et tenait à le dire.
Marcel Côté était un visionnaire, un passionné, un bourreau de
travail, un ambitieux capable de comprendre aussi bien ce qui se passe
outre-Atlantique que ce qui se passe ici, capable aussi d’admettre ses
erreurs. On n’a pas les moyens de perdre des hommes de cette trempe.
Cela explique un peu ma réaction interloquée face à son décès. Mais sa
mort subite, inopinée, y est aussi pour quelque chose. Même s’il est
certainement enviable de mourir debout — à bicyclette encore mieux —, il
y a quelque chose de parfaitement désarçonnant dans cette disparition
soudaine. Comment peut-on être si vivant, un instant, et si mort,
l’instant d’après ?
J’en parle parce que c’est quelque chose dont on parle peu,
finalement. Personne ne nous prépare à cet anéantissement permanent qui
nous pend au bout du nez, ni à la mort qui nous attend personnellement,
ni à celles qui vont parsemer nos vies au fur et à mesure qu’on
vieillit. Il y a des préparations à tout sur cette terre — à
l’accouchement, au mariage, au divorce, à la retraite et même au voyage
—, mais devant cette étape cruciale et incontournable qu’est la mort,
rien. La disparition de la foi religieuse a certainement laissé un vide à
cet égard et tout ce que nous avons trouvé pour la remplacer est une
espèce de stoïcisme de bon aloi. Nous sommes comme des villageois vivant
au bord d’un précipice que tout le monde feint d’ignorer jusqu’au jour
où, le précipice s’étant curieusement rapproché, on tombe dedans, un à
un.
Plus je vieillis, plus je trouve cette main invisible qui plane sur
nos têtes, cette tension permanente qui n’est pas nommée, mais qui est
toujours là, insupportable. Dans un monde où l’on traite la mort de
façon la plus expéditive possible, il est évident qu’on veut tous mourir
en coup de vent comme Marcel Côté. Un tour de magie et c’est fini. Pour
celui ou celle qui « s’en va », sans doute est-ce plus simple,
certainement moins douloureux. Mais pour ceux qui restent ? Pas sûr.
C’est une façon d’apprivoiser l’inapprivoisable que de voir quelqu’un
mourir, et un cadeau à faire que d’offrir sa propre disparition en
spectacle.
On veut tous mourir le mieux possible ; et en dignité si ça se peut.
Encore faut-il démystifier la mort un tant soit peu. Les Mexicains ont
bien raison de promener des squelettes dans les rues le 1er novembre,
question de regarder l’irrémédiable en pleine face.
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