Maintenant que nous avons quatre longues années « beiges » devant nous, croupissant à nouveau sous l’enseigne tristounette du business as usual,
coincés plus que jamais dans nos ambitions, enfirouapés dans nos rêves,
le moment est tout indiqué pour repenser le système politique. Je ne
parle pas ici de représentation proportionnelle, très bonne idée par
ailleurs, mais de quelque chose de plus radical encore : bouder la
notion désuète d’État-nation en faveur de ces « berceaux de démocratie »
que sont les grandes villes.
C’est du moins la thèse intrigante du politologue américain Benjamin
Barber qui voit les maires de métropole comme les politiciens de
l’avenir. Non seulement leur fait-on davantage confiance, dit-il, ils
sont également beaucoup plus efficaces. Moins coincés par l’idéologie et
les stratégies électorales, les maires sont plus pragmatiques, plus
enracinés dans leur milieu et plus aptes à « trouver des solutions », plaide l’auteur de If Mayors Ruled the World : Dysfunctional Nations, Rising Cities et conférencier TED.
On n’a qu’à penser à Denis Coderre et Régis Labeaume pour voir que
Barber a quand même un peu raison. Au moment où nos deux grands partis
roulent à vide — le PQ étranglé par ses propres manoeuvres
électoralistes, le PLQ, sans avoir procédé à un véritable renouveau, élu
par défaut — les maires de Montréal et de Québec, eux, roulent à fond
de train, la tête au-dessus de la mêlée.
« Notre monde politique est de plus en plus
défini par des États dysfonctionnels dans lesquels des nations
souveraines, datant du XVIIe siècle, sont de moins en moins capables de gérer les problèmes transfrontaliers du XXIe siècle »,
dit Benjamin Barber. Terrorisme, immigration, pandémies, marchés
financiers, changements climatiques… les grands défis de l’heure ne
respectent aucune frontière, il faut bien l’admettre, en plus d’être
ceux, en premier lieu, des grandes villes. 80 % des émissions de carbone
viennent des métropoles et 90 % d’entre elles sont situées près de
l’eau. Selon l’analyste politique, nous vivons dans un monde « brutalement interdépendant » et lorsque nous cherchons des solutions politiques, démocratiques, nous nous retrouvons devant « des institutions archaïques conçues il y a 400 ans ».
La démocratie est dans de mauvais draps et c’est justement parce que
nos nations sont de moins en moins capables de trouver des solutions aux
problèmes. (J’y faisais d’ailleurs référence dans ma dernière chronique
en parlant de la désaffection des jeunes face au PQ). Alors que faire ?
Il faut changer le sujet de la discussion, dit Barber, s’intéresser
davantage à ce qui se passe dans les grandes villes et moins à ce qui se
passe au niveau national.
Aux sceptiques qui se demandent ce qu’une ville peut bien réaliser, Barber donne l’exemple de la conférence de Copenhague « où 140 pays sont venus dire que leur souveraineté ne leur permettait pas de relever les défis du réchauffement climatique »
mais où, parallèlement, 200 maires ont répondu à l’invitation du maire
de la capitale danoise, dont les membres du C40, un regroupement de 40
mégapoles qui, depuis 2005, se coordonnent pour réduire les gaz à effet
de serre. Ce type de regroupement, moins spectaculaire que les sommets
internationaux et leurs légendaires prises de bec, mais immensément plus
constructif, est de plus en plus fréquent. On leur doit plusieurs
initiatives, dont celui d’avoir propagé l’idée des vélos communautaires,
l’électrification des transports et les édifices verts. Barber parle
aussi de la ville de Los Angeles qui a nettoyé son port, de New York qui
a entrepris un vaste chantier d’efficacité énergétique, de Bogotá qui a
révolutionné son transport collectif…
Évoquant la nécessité d’instaurer « un parlement mondial de maires » et, avec lui, « des citoyens sans frontières », l’appel de Benjamin Barber n’est pas sans rappeler le « pensez globalement, agissez localement »,
slogan environnementaliste de la première heure. Mais, cette fois, avec
une urgence et une acuité décuplées. Dans les années 70, on était
encore loin du désabusement politique que l’on connaît aujourd’hui,
notamment au Québec où l’on célébrait le « début d’un temps nouveau ». On était surtout loin des problèmes qui assaillent l’ensemble de la planète aujourd’hui.
Cinq cents ans avant J.-C., les Athéniens ont inventé la démocratie afin d’avoir leur mot à dire sur les choses de la cité (« le gouvernement du peuple par le peuple »). À un moment où l’idée du pays bascule ici à nouveau, le moment serait-il venu de récupérer cette idée fondamentale ?
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